Procès Thomas Sankara et douze autres compagnons : Blaise Compaoré le faible pion

Le tribunal militaire a écouté les témoignages de trois militaires qui devaient assurer la sécurité de Thomas Sankara le 15 octobre 1987.

L’ensemble des procès-verbaux d’audition des témoins absents au procès sur l’assassinat du capitaine-président Thomas Sankara et de ses compagnons seront lus. Ainsi, en a décidé la Chambre de jugement du tribunal militaire de Ouagadougou, dès la reprise de l’audience, le jeudi 23 décembre 2021.

Le président de la Chambre de jugement du tribunal militaire Urbain Méda a décidé en application de l’article 119 du code de justice militaire de la lecture des différentes dépositions faites par des témoins devant le juge d’instruction. Ainsi en a décidé le président de la chambre à l’audience du jeudi 23 décembre 2021 à Ouagadougou.

En effet, l’article 119 du code de justice militaire stipule que « lorsqu’un témoin est absent, le tribunal militaire peut passer outre aux débats, si l’intéressé a déposé à l’instruction, lecture de cette déposition peut être donnée à la demande du défenseur ou du ministère public ». De ce fait, la chambre de jugement a opté pour la lecture des dépositions. Il faut noter que dans ce procès, l’audience du mercredi 22 décembre avait cristallisé de vives discussions entre le parquet et la défense, sur la lecture des dépositions des témoins absents.

La partie poursuivante avait requis qu’il soit lu quelques passages des procès-verbaux d’audition. La défense, elle, avait soutenu qu’au regard des déclarations contradictoires et altérées des témoins déjà entendus, il était plus judicieux de s’en tenir qu’aux dépositions des témoins vivants et comparants. Mais le tribunal a fini par délibérer en faveur de la lecture des dépositions.

Ainsi, toutes les dépositions seront donc lues en intégralité au fur et à mesure, à l’exception de celles des témoins cités par la partie civile et l’accusé Jean Pierre Palm. Et c’est le procès-verbal du témoin Abdoul Salam Kaboré, pharmacien colonel, ancien ministre des Sports de Thomas Sankara et responsable du service populaire de la construction de la patrie au moment des faits qui a été lu publiquement en premier.

Dans sa déposition devant l’instruction, le témoin, un proche du capitaine Thomas Sankara, confie que le 15 octobre 1987, il était à son bureau situé au sein du stade du 4 août. Et que c’est dans la soirée que des personnes seraient venues lui dire que la ville était inaccessible parce qu’il s’y passait quelque chose. Face à ces dires, le témoin dira dans sa déposition n’avoir pas été au Conseil de l’Entente le 15 octobre 1987.

Mais ayant connaissance de la situation délétère de la période, des tracts, et tous les bruits qui avaient circulé avant le jour fatidique sur l’éventualité d’un coup d’état, il s’est alors empressé de joindre les chefs historiques de la Révolution, les quatre ténors que sont le président Thomas Sankara, les capitaines Blaise Compaoré, Henri Zongo et le commandant Jean Baptiste Lingani, mais personne ne répondait.

Ayant essayé aussi d’avoir Michel Koama alors commandant de l’ETIR au téléphone, il tombe sur son adjoint Elisée Sanogo qui lui apprend que Michel Koama a été tué. Et c’est plus tard encore qu’il va apprendre que Thomas Sankara avait été lui aussi liquidé. Il s’empresse d’appeler à Koudougou, Boukary Kaboré dit « le lion » alors commandant du bataillon d’intervention aéroporté (BIA), une unité de commandos proche de Sankara.

Dans la déposition il ressort qu’au cours de la discussion, il essaye de convaincre le lion de ne pas réagir afin d’éviter une effusion de sang. Après ces échanges, le témoin dit être rentré chez lui. Il a contacté Jean Pierre Palm, qui l’a invité à venir au Conseil de l’entente, invitation qu’il a déclinée. Il souligne en passant qu’il existait une inimitié entre Palm et Thomas Sankara, mais ne saurait situer la responsabilité de l’accusé Palm dans la mort du capitaine Thomas Sankara.

Sur les responsabilités civiles et militaires de la mort du père de la Révolution burkinabè, le témoin affirme que les exécutants étaient les éléments du Centre national d’entrainement commando (CNEC) et pour les commanditaires il pointe du doigt le capitaine Blaise Compaoré. Pour ce qui est relatif aux responsables civils, le témoin soutient que la révolution s’était fait beaucoup d’ennemis et certains en avaient gros sur le cœur, surtout qu’il n’avait pas d’avantages particuliers qui profitaient aux révolutionnaires, dont certains étaient obligés par moment de faire recours à Blaise Compaoré pour meubler leur quotidien en termes de ressources matérielles.

« Et Blaise profitait de ces sollicitudes pour faire ses recrutements », est-il ressorti dans la déposition du témoin. Kaboré Abdoul Salam dit avoir été détenu pendant huit mois au conseil sur ordre de Jean Pierre Palm, avec comme geôlier le lieutenant Gilbert Diendéré. « Le coup était préparé et organisé par Blaise » Dans sa déposition, Abdoul Salam Kaboré, affirme qu’au départ, Blaise Compaoré ne faisait pas partie des officiers qui ont muri la réflexion de changer la situation « pitoyable » de la troupe, l’avenir de la Haute-Volta, etc. « Blaise Compaoré, était un civil qui, après son baccalauréat, a décidé de poursuivre une carrière militaire. Il a eu un stage au Cameroun et c’est là que Thomas l’a rencontré.

Il s’est collé à Thomas Sankara pour prendre le pouvoir, car il savait ce qu’il voulait. Depuis leur rencontre au Cameroun, il n’a plus lâché Sankara. Et c’est grâce à Sankara que Blaise Compaoré a intégré le premier groupe d’officiers voltaïques composés de moi-même, pharmacien commandant en son temps, Jean Baptiste Lingani, Henri Zongo et Thomas Sankara. Et le coup d’état qui avait porté Jean Baptiste Ouédraogo au pouvoir avait été orchestré par ces jeunes officiers en attendant leur tour.

Ce n’est donc pas de son récit, que Blaise Compaoré a pris le pouvoir pour le remettre à Thomas Sankara comme beaucoup le pensent. C’était un coup bien préparé, où chacun a brillamment joué la partition qui lui était attribuée », a mentionné le témoin devant le juge d’instruction. Le témoin dit de Blaise Compaoré, qu’il n’était pas un guerrier comme l’était Sankara, un vrai militaire dans l’âme. « Thomas Sankara, quand il conçoit un plan, il se met devant pour l’exécuter.

Alors que Blaise Compaoré lui, il conçoit, et envoi quelqu’un d’autre exécuter à sa place. Je n’avais pas confiance en lui », explique le colonel pharmacien à la retraite. Il ajoute aussi que Blaise Compaoré étant le pion faible, il s’est laissé influencer à l’internationale par des personnalités comme (Houphouët Boigny, Jacques Chirac, Sassou N’Guesso), qui, comme lui, ne croyaient pas en la Révolution.

Le témoin est formel, Blaise Compaoré ne croyait pas en la révolution, car « on a vu comment le pays est devenu après son accession au pouvoir », ajoute le témoin avant de préciser que dans la préparation du coup d’Etat du 15 octobre 1987, un hélicoptère venu du Togo avec des soldats à son bord, était prêt à décoller avec Blaise Compaoré si le coup venait à échouer. Mais, pour le témoin, Thomas Sankara a été mal compris, car en lieu et place d’un assassinat, les choses auraient pu se passer autrement le 15 octobre 1987.

« Thomas Sankara n’était pas de ceux qui s’accrochaient au pouvoir, car il pensait déjà à se retirer de la conduite des affaires de l’Etat. Un jour de retour d’une mission de la République Sahraouie, Thomas Sankara m’a demandé dans l’avion comment ils allaient faire après tout ça pour devenir de simples citoyens lambda ? Et je lui ai dit qu’on va trouver une solution », a dit le témoin pour dire que le président était prêt à démissionner.

A la suite du pharmacien colonel, la déposition du témoin Adama Drabo, capitaine de gendarmerie à la retraite, membre du service de renseignement au moment des faits, a, dans sa déposition, reconnu également que le 15 octobre 1987 était bel et bien préparé. Des signes avant-coureurs étaient palpables et lui-même en tant que personnel du renseignement opérationnel affirme avoir vu à un moment donné le dénouement de cette crise entre les révolutionnaires.

« Le coup d’Etat du 15 octobre était préparé, mais je n’ai pas eu le temps de prévenir le président Sankara », a-t-il dit. Dans sa déposition il affirme que le président du Faso s’est retrouvé seul à un moment donné, car les autres chefs de la révolution comme Henri Zongo, Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani, Jean Pierre Palm avaient fini par donner dos à Sankara. Ce qui rime avec la déposition du témoin Bafassé Siri Coulibaly caporal à la retraite qui affirme que le 15 octobre le lieutenant Gilbert Diendéré a demandé à toute la garde du Conseil de l’Entente de se désarmer, car une assemblée générale sans arme était prévue.

Du coup, explique le témoin toutes les kalachnikovs ont été retirées et rangés dans le magasin. « C’est au moment que nous avons déposé les armes et nous attendions l’AG à laquelle nous sommes conviés que les tirs ont commencé. Nous avons vu le commando pénétrer dans la cour du Conseil, se diriger vers le secrétariat de la permanence jusqu’à la salle où le président tenait sa réunion avec ses proches, avant de commencer à tirer. Nous avons assisté impuissant de riposter », a déploré le témoin dans sa déposition.

Ainsi, le procès du coup d’Etat du 15 octobre 1987 est rentré dans une nouvelle phase celle de la lecture publique des dépositions faites devant le juge d’instruction. Après avoir épuisé une liste d’environ 80 témoins physiquement aptes à passer à la barre pour déposer ce qu’ils ont vu, entendu ou appris, pour éclairer le tribunal militaire et les différents conseils d’avocats, les dépositions des témoins dont le parquet n’arrivent plus à joindre, c’est-à-dire ceux qui ont des soucis de santé et ceux qui sont absents du pays, le tribunal militaire a décidé que le parquet va s’appuyer sur l’arrêt de renvoi pour lire leur déposition.

Face aux dépositions qui ont été lues, les avocats de la défense comme celle de la partie civile ont, en l’absence physique des témoins réservé leur droit de tirer les conclusions des lectures faites lors des plaidoiries. Plusieurs autres dépositions seront lues dans les jours à venir avant de passer à la phase des plaidoiries.

Wanlé Gérard COULIBALY

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