Retour à la case justice

Le passé trouble du Libéria, pays d’Afrique de l’Ouest qui a connu deux guerres civiles (1989-1996 et 1999-2003), refait surface. L’ouverture, hier lundi 10 octobre 2022 en France, du procès de l’ancien chef rebelle, Kunti Kamara, offre l’occasion de revisiter les pages les plus sombres de l’histoire sociopolitique de cet Etat anglophone. Grâce à la ténacité de l’ONG Civitas Maxima qui documente les crimes internationaux pour obtenir réparation au nom des victimes, l’ancien patron du mouvement armé, Ulimo a été inculpé pour complicité de crimes contre l’humanité, tortures et actes de barbarie. Kunti Kamara, qui encourt la prison à perpétuité devra s’expliquer sur des actes commis dans le comté de Lofa, entre 1993 et 1994, au temps où il ne jurait que par les armes.

Les faits remontent à la période de la première guerre civile du Libéria, à laquelle l’Ulimo, proche du défunt Président Samuel Doe avait activement pris part. Il est reproché, entre autres, à Kunti Kamara, d’avoir commandité des viols et des actes d’une extrême violence contre les habitants du comté de Lofa, pour les intimider ou les empêcher de collaborer avec le groupe rebelle adverse, le Front national patriotique du Liberia (NPFL) de Charles Taylor. Selon la Commission vérité et réconciliation du Libéria (CVRL), l’Ulimo est responsable de plus de 11 000 violations des droits humains commises pendant la première guerre civile. Kunti Kamara dont le procès court jusqu’au 4 novembre prochain aura la latitude d’éclairer ses compatriotes sur les atrocités évoquées devant la Cour d’assises de Paris. Son témoignage pourrait apporter plus de lumière sur les horreurs perpétrés pendant les deux guerres civiles au Libéria, avec plus de 250 000 morts. Exécutions sommaires, massacres, viols, mutilations et tortures sont, entre autres barbaries qui ont été observées durant les deux conflits. Toutes les parties au conflit ont leur part de responsabilité dans ce qui s’est passé au Libéria, forces gouvernementales comme groupe rebelles. Les anciens belligérants sont donc appelés à rendre des comptes, de nombreuses vies ayant été fauchées et des familles détruites à jamais.

C’est en cela que la tenue du procès de Kunti Kamara est à saluer, même s’il a lieu hors des frontières libériennes. Si le Libéria a pris ses distances avec les vieux démons, les armes n’ayant plus crépité dans ce pays depuis des années, il faut à tout prix rendre justice aux victimes et à leurs proches. Le temps de la justice n’est indéniablement pas celui des hommes, mais le passé rattrape toujours les auteurs de crimes. Kunti Kamara n’est pas le seul à répondre de ses actes devant l’histoire, hors du Libéria. En juin 2021, un autre commandant de l’Ulimo, Alieu Kosiah, avait été condamné en Suisse pour des crimes de guerre au Libéria. Le fils de l’ancien président libérien, Charles Taylor, lui-même en prison, a été également condamné, en 2008 par un tribunal fédéral américain, pour des actes de torture survenus pendant la deuxième guerre civile. Même si elles sont au point mort ou classées sans suite, des procédures ont été engagées dans d’autres pays occidentaux, à l’image de celle initiée en 2014 en Belgique contre l’ancienne commandante du NPFL, Martina Johnson. Au nom de la compétence universelle pour certains crimes, les lignes bougent à l’international dans la recherche de la vérité et de la justice, ce qui n’est pas le cas au Libéria. Malgré la pression de la société civile, le président George Weah peine à créer une Cour spéciale pour les crimes de guerre, recommandée par la CVRL depuis juillet 2009. On assiste à un immobilisme inexplicable, voire à une sorte d’indifférence. Faut-il y voir une volonté manifeste au sommet de l’Etat de protéger des personnalités soupçonnées d’être impliquées dans les crimes de guerre ? La question mérite d’être posée…

Kader Patrick KARANTAO

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