Ruée vers la majorité

L’entrée au gouvernement Dabiré II de l’ex-chef de file de l’opposition politique n’était donc qu’un début. La Nouvelle alliance du Faso (NAFA), le Mouvement africain des peuples (MAP), le Parti de la Justice et du Développement (PJD) et peut-être d’autres partis ou formations politiques rallieront la majorité présidentielle dans les jours à venir. Ces dernières semaines ont été caractérisées par une vague de conversions de nombreux partis d’opposition vers le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et le président Roch Marc Christian Kaboré afin d’œuvrer à ses côtés pour l’avènement d’une véritable réconciliation nationale que les nouveaux alliés appellent de leurs vœux depuis quelques années. Certains analystes n’excluent même pas une offre de ralliement de l’ex-parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Au point de susciter des interrogations, voire des inquiétudes sur le devenir d’un processus démocratique que d’aucuns s’empressent déjà de qualifier de non partisan au regard de l’atrophie de plus en plus remarquable de l’opposition.

Cette soudaine ruée vers la majorité relève-t-elle réellement du souci des acteurs politiques de donner à la réconciliation nationale en marche, toutes les chances de succès ? Faut-il placer la donne actuelle au rang des manœuvres politiques, patience au soleil en attendant le retour de l’ombre ? La réponse divise une opinion qui se perd parfois en conjectures. Si l’on convient que l’œuvre de réconciliation nationale impose l’union sacrée pour faire face victorieusement à ce défi capital pour l’avenir du pays, ce large rassemblement ne contient-il pas des “germes mortifères “ pour la démocratie burkinabè qui a expérimenté d’autres méthodes dans un passé proche ou lointain avec un bonheur relatif ? Il vous souviendra en effet qu’au lendemain de l’indépendance nationale, le premier président de la Haute-Volta d’alors, Maurice Yaméogo, avait, à coup “d’OPA” (Offre publique d’achat) forcé ou volontaire, réussi à “caporaliser” l’ensemble des partis politiques de l’époque pour faire du RDA le parti unique régnant sur le pays. Une opération qui ne lui avait pourtant pas porté bonheur avec la chute de la première République dans les conditions que l’on sait.

Plus près de nous, le régime de Blaise Compaoré, sans aller à cette extrémité, a, à travers son large rassemblement pour la démocratie et le progrès en 1996, réussi à “fabriquer “ un mastodonte politique qui écrasait tout sur son passage. L’adoption d’une dose de proportionnelle a permis à certains des opposants actuels d’être élus à l’Assemblée nationale monocolore. La faiblesse de l’opposition a eu, comme par un effet d’appel d’air, à favoriser l’émergence d’une autre spécificité burkinabè : une société civile très marquée politiquement, prompte à demander des comptes aux gouvernants, comme pour jouer le rôle d’une opposition politique apathique.

Mais comparaison n’est pas raison. Surtout que ce à quoi nous assistons actuellement est caractérisé par des ralliements volontaires non dénués toutefois de calculs. Mal canalisés, ils nous font courir des risques inhérents à une démocratie “consensuelle “(absence de débats vivifiants, sclérose profonde pour ne pas dire nécrose) en faisant référence au Mali de Amadou Toumani Touré (ATT) et de Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).

En réussissant ce compromis historique dans un contexte particulier (crises sécuritaire et sanitaire) qui a permis un renouvellement des institutions de la République à l’issue des élections couplées du 22 novembre, la classe politique est appelée à jouer le jeu politique selon la volonté exprimée du peuple souverain.

Mahamadi TIEGNA
Mahamaditiegna@yahoo.fr

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