Secteur informel : une si lente transition vers le formel

L’univers du secteur informel au Burkina Faso est divers et ondoyant. L’électronique, la mécanique, le tissage, la restauration, le commerce, la soudure, la transformation agroalimentaire, etc. Malgré les possibilités d’en sortir, nombre d’acteurs s’y maintiennent pour diverses raisons. Tour d’horizon en cette fin d’année dans le monde de l’informalité où la transition vers le formel est très lente voire non désirée par les premiers concernés.

Economie de la périphérie, de la débrouille, activité de survie ou de subsistance ou encore Système D renvoient au secteur informel. Il se caractérise par la précarité des emplois et des moyens de production, l’absence de contrat de travail, de salariat, de sécurité sociale. L’activité économique s’y mène le plus souvent sans existence légale ni de gestion comptable.

Gombila Ernest Kaboré, propriétaire d’un atelier de soudure à Wayalghin, quartier populaire de Ouagadougou, baigne dans cet univers informel. Son unité, créée en 1997, soit depuis 23 ans, n’est jusqu’à aujourd’hui pas immatriculée au Registre de commerce et de crédit mobilier (RCCM) devant lui conférer une existence officielle. Pas non plus de numéro IFU (identifiant financier unique). M. Kaboré lui-même ne dispose pas de carte professionnelle. Les entrées de recettes et les sorties d’argent ne sont consignées nulle part. Aucun lien contractuel n’existe entre lui et ses deux employés et trois apprentis-stagiaires. Aucun membre de son personnel n’est déclaré à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). « Notre activité n’est pas structurée, nous travaillons en désordre ici », lance-t-il, avec un bref éclat de rires.

Gombila Ernest Kaboré, propriétaire d’un atelier de soudure au quartier Wayalghin de Ouagadougou

« Tout récemment, mon bailleur m’a fait savoir que je pouvais me déclarer à la CNSS, y cotiser et bénéficier d’une pension de retraite. Malheureusement, il est trop tard pour moi », regrette-t-il, le visage crispé.

En cette matinée du 16 décembre 2020, assis sur un morceau de bois devant la maisonnette lui servant de siège, le vieux Kaboré observe ses employés à l’ouvrage, dans une partie de la ruelle au bord de laquelle est situé son atelier. Soudure d’une grille par-là, scierie de barres de fer par-ci! Des sonorités hétérogènes se mêlent aux étincelles. C’est le quotidien des lieux qui va souvent de 7 heures à 18 heures. « Malgré mon âge, tous les jours je suis là à 7 heures. Les enfants arrivent souvent au travail à 9 heures », se plaint-il. Au même moment, un camion semi-remorque se gare et attend d’être soudé.

« Nous avons perdu un marché de 6,2 millions … »

Le mariage du vieil homme de 62 ans avec la soudure, devenue sa principale source de revenus, commence en 1981, sur proposition de son beau-père, après cinq années (1976-1981) dans les plantations de cacao et de café en Côte d’Ivoire. Il débute comme apprenti-soudeur, puis employé dans l’entreprise de soudure métallique Pascal Zongo jusqu’en 1994 où l’entreprise ferme boutique. Gombila Ernest Kaboré refuse de sombrer avec l’entreprise. Il a en projet d’ouvrir son propre atelier de soudure. Trois années de creusage de caniveaux dans la capitale lui ont permis de rassembler les moyens pour réaliser son rêve. « Au début, le travail du fer ne m’emballait pas. Je ne regrette pas d’avoir accepté la proposition de mon beau », se réjouit-il. Aujourd’hui, l’activité lui permet de prendre en charge sa femme et ses 4 enfants.

« Par mois, nous n’avons pas moins de 300 000 F de bénéfice. Mais comme le travail n’est pas bien organisé, nous n’arrivons pas à économiser. Tout cela est dû à l’analphabétisme », soutient-il. M. Kaboré dit avoir quitté l’école au CP2, dans son Zorgho natal.
Ici, on ne connaît pas les délices de fin de mois. Le ″butin″ du jour est réparti le soir venu entre le patron, les employés et les apprentis. Le ″chef de chantier″, comme l’appellent affectueusement ses employés, garde une partie des recettes du jour en prévision des charges de loyer, d’impôts qui s’élèvent respectivement à 25 000 F CFA par mois et 50 000F CFA en moyenne l’an. Les deux employés reçoivent par jour entre 3000F et 5000F en fonction des entrées. Les apprentis gagnent chacun entre 700F et 1000F. En cas d’accident de travail « grave », les frais de prise en charge sont partagés entre la victime et le patron, qui gère les blessures mineurs.

Cette gestion informelle de l’entreprise n’est pas sans conséquence sur son développement. M. Kaboré et ses employés semblent en être conscients. « Si l’entreprise avait une existence formelle, j’aurais pu mieux la développer et mes enfants pourraient en profiter », reconnaît le sexagénaire.

Pauline Ouédraogo tisseuse de pagne traditionnel

Kassoum Kaboré, apprenti puis employé dans cette unité de soudure depuis 19 ans, n’oubliera pas de sitôt ce marché de confection de charriots, de roulettes que l’atelier vient de perdre. « Le 15 novembre dernier, nous avons raté un marché de 6,2 millions F CFA de la part d’une structure de la place. La raison est qu’on nous a demandé des documents que nous n’avons pas pu fournir à cause du caractère informel de notre entreprise », confie-t-il, en secouant la tête.

La peur de l’impôt

Pourquoi tant d’années sans jamais franchir le pas vers le formel ? « Ce n’est pas la peur de l’impôt qui nous retient dans l’informel, c’est plutôt l’ignorance. Nous sommes dans un monde de faux, il est difficile d’avoir des hommes de confiance pour vous aider ! Des gens viendront vous demander de donner les documents de votre parcelle, ils vont vous aider et après ce sont des problèmes », argumente le sexagénaire.

Pauline Ouédraogo est dans le tissage du pagne traditionnel, communément appelé Faso danfani, depuis 1988. La cour familiale lui sert d’atelier de production. Elle travaille avec quatre tisseuses qu’elle paye à la tâche, à 750 F CFA ou 1000 F CFA le pagne tissé.

Dame Ouédraogo n’est pas dans l’informalité depuis trois décennies de gaieté de cœur. « Se formaliser est une très bonne chose. Mais cela demande des moyens financiers pour réaliser des investissements et créer un cadre de travail propice. Ces ressources me manquent », explique-t-elle, tête basse.

L’entreprise « Faso Poulets » de Noufou Kaboré

Contrairement à l’unité d’Ernest et Pauline, l’entreprise de Noufou Kaboré, ″Faso Poulets″, a une existence légale. Après avoir pratiqué la vente de poulets auprès de son géniteur dès son bas âge, M. Kaboré a essayé de moderniser l’activité.

Du hangar de fortune de vente de volaille de son père, il exerce aujourd’hui son commerce dans un cadre aménagé, attractif: locaux vitrés, carrelés et propres.

En 2013, son entreprise est immatriculée au RCCM et dispose d’un numéro IFU. Il dispose de la carte de commerçants. Mieux, il a un nom commercial, ″Faso Poulets″, en bonne et due forme. Achat auprès des fermiers et des commerçants et revente de volaille de races locales et de chair, vivante, rôtie ou plumée, constituent le cœur de métier de ″Faso Poulets″. Ce chef d’entreprise emploie une dizaine de personnes dont quatre membres de sa famille.

Le métier semble nourrir son homme. « Nous pouvons vendre 100 poulets par jour. Avant, on ne considérait pas les vendeurs de poulets. Aujourd’hui, lorsque nous nous présentons, nous ne sommes pas ridicules », se satisfait Noufou Kaboré, sourire aux lèvres, chéchia vissé sur la tête. Grâce à cette activité, jadis peu valorisée, le patron de ″Faso Poulets″ roule en voiture, a un chez soi ; lui et sa mère ont effectué le 5e pilier de l’islam, le pèlerinage à la Mecque !

Mais outre les formalités administratives, la gestion de l’entreprise frise l’informel. « Ici, nous ne tenons pas de comptabilité. Le soir, nous faisons le point des ventes et nous rémunérons les employés membres de la famille à 2000F/jour. Les autres employés sont payés à 30 000F par mois », rapporte le patron des lieux.

Des freins à la formalisation

En plus de la rémunération des employés, il paye annuellement 200 000 FCFA de taxe communale d’occupation de l’espace vide, 150 000 FCFA de charges locatives mensuelles et 200 000 F CFA d’impôts, au titre de la contribution des microentreprises précédemment appelée contribution du secteur informel.

Selon Noufou Kaboré, la crainte de la hausse de l’impôt freine l’élan de nombre d’acteurs du secteur informel à aller vers le formel. « Payer l’impôt est une obligation légale à laquelle tout le monde doit se soumettre, pourvu qu’il soit à la portée du contribuable. Le problème avec les agents des impôts, c’est lorsque tu améliores ton cadre de travail pour attirer la clientèle, ils t’imposent plus. Pour eux, c’est parce que tu réalises de gros profits que tu fais des investissements ! Alors que souvent, tu t’es endetté pour espérer conquérir les clients », déplore-t-il.

Quand il a pris la décision d’améliorer ses points de vente des poulets, il a dû outrepasser les avertissements de son entourage. « Si tu poses un carreau ici, tu auras fort à faire avec les impôts », lui ressassait le voisinage. « Beaucoup pensent que se formaliser, c’est donner l’occasion à l’administration fiscale de les ficher et de les traquer régulièrement oubliant que l’entrepreneur est le premier bénéficiaire de la formalisation», renchérit l’inspecteur des impôts et chef de service de la législation à la direction générale des impôts, Idrissa Ouédraogo. Pour ce commerçant « moderne », les poulets importés de qualité douteuse, le désordre dans la commercialisation de la volaille surtout pendant les fêtes freinent véritablement le développement de son entreprise. La veille des fêtes, des vendeurs informels spontanés, que le fisc ne pourra jamais imposer et qui n’ont aucune charge locative, de personnel, viennent des villages ou des fermes et vendent directement des gallinacés, à moindre prix, dans les rues de Ouagadougou, dénonce-t-il.

Noufou Kaboré plaide pour une meilleure organisation du commerce de volaille, avec un minimum de garde-fous. A cela s’ajoute la difficulté d’accéder aux financements. « Si tu demandes un prêt bancaire de 5 millions FCFA, on te dira que c’est trop pour un simple vendeur de poulet ! Ce sont des idées dépassées ! 5 millions ne sont que le prix d’achat de
2 000 poulets de 2500 F. Pendant les fêtes de fin d’années, nous pouvons vendre 1500 à 2000 poulets. Sur les 5 millions, nous pouvons réaliser un bénéfice d’un million FCFA», détaille-t-il.

Mathieu Tiendrébéogo, vendeur de motocycles

La question des garanties constitue un autre souci pour les acteurs de l’économie informelle, souligne Mathieu Tiendrébéogo, un jeune vendeur de motocycles. Sa société TMS Motos, créée en 2018, n’a pas encore d’existence formelle. « J’ai préféré commencer par ouvrir un commerce informel avant de le formaliser. Si je dois attendre toute la documentation nécessaire avant de me lancer, les papiers risquent de venir trouver que les maigres ressources mobilisées çà et là ne sont plus là», argumente-t-il.

L’incitation par la commande publique

Pour le soudeur Kaboré, l’Etat peut, à travers des petits marchés publics, en tenant compte de la spécificité du secteur informel, aider les petites unités économiques à se développer, à se formaliser et à créer davantage d’emplois. « Mes deux employés et leurs familles vivent de mon atelier. Je contribue à lutter contre le chômage », s’empresse-t-il d’ajouter. Il y a des entreprises qui ont des marchés de l’Etat de 100 mille tables-bancs, poursuit-il. Faire une commande publique de seulement 1000 tables-bancs à une petite entreprise de soudure suffirait à la propulser vers la formalisation, foi de ″chef de chantier″. Selon le président du Conseil national de l’économie informelle (CNEI), Salifou Nikiéma, pour inciter le secteur informel à faire le pas vers le formel, il y a un paquet de choses à faire. Tout d’abord, un travail de fonds à réaliser en matière de communication pour dissiper les a priori et opérer le nécessaire changement de mentalités.

Salifou Nikiéma, président du Conseil national de l’économie informelle (CNEI)

Car, dans la perception collective des acteurs informels, il existe une corrélation évidente entre hausse de l’impôt et formalisation. Mieux, ils ne voient pas d’avantage à créer des entreprises formelles, de perspectives d’amélioration des affaires avec la formalisation. « Si la CNSS et la direction générale des impôts mettent en place un fonds de garanties permettant d’avoir des financements sans garantie, avec par exemple pour conditions d’accès, le respect de ses obligations fiscales et de ses cotisations sociales des trois dernières années, on verrait une course effrénée vers la formalisation », soutient M. Nikiéma. Pour donner également du souffle à ce secteur de la ″débrouille″, le président du CNEI invite la puissance publique à faire respecter la règlementation commerciale.
Il dit ne pas comprendre que des grossistes fassent du détail, en violation des lois, au vu et au su de tous ! La solution réside aussi dans l’incitation à la consommation locale, en réservant 35% à 45% de la commande publique au secteur informel, propose-t-il. Selon le président Nikiéma, il n’y aura pas de développement sans l’économie informelle qui représente 92% de la population active.

Il en veut pour preuve, le Rwanda qui est parvenu au niveau de développement où il se trouve aujourd’hui grâce à un meilleur encadrement et accompagnement du secteur informel. Mais tout cela doit se faire dans la concertation avec les acteurs pour un meilleur ciblage des problèmes. Car, conclut-il, les maux de notre pays viennent de nos intellectuels qui s’enferment dans des bureaux climatisés pour prendre des décisions ou des lois qui sont en déphasage avec les préoccupations de ceux qui croupissent sous le soleil et la pluie!

Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com

 


Les avantages de la formalisation.

Chaque année, en moyenne 12 000 entreprises formelles sont créées au Burkina Faso, selon la Maison de l’entreprise du Burkina Faso (MEBF). La formalisation offre à l’entreprise une reconnaissance officielle avec les droits et privilèges y afférents, l’accès aux marchés publics, aux financements, aux avantages fiscaux de la loi sur la promotion des PME et la charte des PME. En cas d’évènements malheureux (sinistre, inondations de 2009, manifestions de 2011, COVID-19), la tenue d’une comptabilité permet de faire le point des dommages subis pour d’éventuelles réparations ou compensations. La formalisation permet à l’Etat de disposer de données fiables pour la planification du développement, la prévision des recettes fiscales. Elle est source d’élargissement des recettes fiscales, d’augmentation des ressources publiques.

Pour favoriser l’implantation d’unités économiques formelles, l’autorité a réduit les procédures et les délais de création d’entreprises qui sont passés de plusieurs semaines à 24 heures à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso et 72 heures en régions. Depuis mars 2020, la MEBF a mis en place une plateforme de création d’entreprises formelles en ligne (https://www.creerentreprise.me.bf/ ).

M.S

Source : MEBF


60% du secteur informel défavorable à l’impôt

Selon une enquête de l’INSD sur l’emploi et le secteur Informel en 2018, il existe 2,2 millions d’unités de productions informelles non agricoles au Burkina Faso. 96% ne sont inscrits dans aucun registre administratif. 60 % d’entre elles déclarent ne pas être disposées à payer l’impôt.

Selon la Direction générale des impôts (DGI), en fin octobre 2020, les microentreprises ou le secteur informel représentait 71% des contribuables. Il est constitué d’unités économiques dont le Chiffre d’affaires (CA) est inférieur à 15 millions F CFA. L’impôt synthétique forfaitaire appliqué à ce secteur varie entre  2000 F CFA  et 200 000 F CFA. La contribution du secteur informel aux recettes fiscales, devenue contribution des microentreprises depuis 2015, est de 2 milliards de F CFA en moyenne, soit 0,28% des recettes fiscales totales. En 2019, sur les 844 milliards F CFA de recettes fiscales, les microentreprises ont contribué à hauteur de 2 milliards F CFA contre 78 milliards  pour les moyennes entreprises et 715 milliards F CFA pour les grandes entreprises. Une contribution jugée faible par le fisc au regard du potentiel existant. Une contreperformance performance liée en partie au « caractère mobile et insaisissable » des agents de l’économie informelle. Dans l’optique d’améliorer cette contribution à la mobilisation des ressources domestiques, la DGI dit multiplier les sensibilisations et les réformes pour promouvoir le civisme fiscal et la formalisation. Dans la loi de finances 2021 une innovation majeure est introduite : le régime déclaratif pour les personnes physiques ayant 5 à 15 millions de CA et les personnes morales dont le CA est inférieur à 15 millions. Dans le processus de digitalisation, il est prévu une plateforme numérique d’enregistrement des contribuables du secteur informel sur des tablettes avec des données géo localisées. Avec ces réformes, l’administration fiscale entend faire passer la contribution des microentreprises à 6 milliards FCFA en 2021.

M.S

Sources : DGI, INSD


L’informel : Regards croisés d’experts

A travers des loupes qui leur sont propres, des personnes avisées livrent leur lecture de l’économie informelle et ébauchent des solutions pour une transition réussie vers le formel.

Dr Boukary Sawadogo, spécialiste en management des PME

Des études n’ont cessé de montrer le poids du secteur informel dans les économies africaines. « Au Burkina Faso, le secteur informel constitue le premier employeur. Il occupe plus de 80% de la population active, même si les emplois y sont précaires », a souligné le directeur du Centre de gestion agréée (CGA), Dr Boukary Sawadogo, spécialiste en management stratégique des PME.

Au-delà de son importance, l’économie informelle reste un phénomène complexe qui nécessite une large grille de lecture pour mieux l’appréhender. Selon le directeur de l’économie informelle, au ministère en charge de l’emploi, Mahamadou Cissé, l’informalité est une résultante de la structure de l’économie nationale. «L’informel ne vient pas du néant. Il est dû à l’incapacité de l’économie à absorber les nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi dans des cadres formels comme la Fonction publique  ou les entreprises privées formelles », a-t-il analysé.

Mahamadou Cissé, directeur de l’économie informelle, au ministère en charge de l’emploi

Pour lui, la transition vers le formel est freinée par un ensemble de facteurs structurels à savoir l’incapacité  d’accéder aux équipements de productions modernes, aux financements conséquents, aux infrastructures appropriées, aux débouchés, etc. L’informalité peut être également analysée comme un phénomène dicté par le faible pouvoir de la population. « Supposons que la commune décide de remplacer le parc vieillissant des taxis de la capitale par des véhicules neufs et modernes. La  capacité financière de la population permet-elle  aujourd’hui de passer de 300F à 1000F la course », s’est interrogé M. Cissé.

Face à cette complexité, réussir le processus de transition de l’économie informelle vers celle formelle nécessite une réponse holistique. Selon Dr Sawadogo, il est impérieux de disposer d’une stratégie nationale intégrée d’accompagnement qui permet aux départements sectoriels et aux structures d’appui de jouer, dans la synergie, leur partition. Cette stratégie pourrait se décliner en projets dédiés au secteur informel et segmentés par types d’activités, avec des financements conséquents, comme l’a préconisé le directeur de l’économie informelle.

L’ensemble de ces mesures doit s’accompagner de mécanismes incitatifs qui poussent à sortir de l’informalité. « Il faut œuvrer à ce que le gain de la formalisation soit supérieur à celui de l’informalité », a suggéré l’expert en management des petites et moyennes entreprises. En tout état de cause, l’économie informelle doit être au centre des priorités des pouvoirs publics. Cela commence par réviser la règlementation fiscale afin de l’adapter à la spécificité du secteur informel, d’alléger les procédures, de démystifier la chose fiscale

M.S.


« Personnellement, je ne souscris pas à l’idée de formaliser le secteur informel », Pr Idrissa  Mohamed Ouédraogo

Pr Idrissa  Mohamed Ouédraogo, enseignant-chercheur en économie

« Au Burkina Faso, le secteur représente plus de 70% de la population active en milieu urbain. Il contribue pour près de 30% au PIB contre 23% pour le secteur secondaire moderne et 37% pour l’agriculture. Le secteur informel contribue pour 63% à la formation de la valeur ajoutée dans le secondaire et pour 55% dans le tertiaire.

Les acteurs de l’informel sont des producteurs qui ont une bonne connaissance de leurs clients, de leurs besoins et de leurs capacités financières. Les biens et services sont produits et calibrés en fonction de la demande des clients.

Personnellement, je ne souscris pas à l’idée de formaliser le secteur informel. J’ai la ferme conviction que ce secteur a une logique interne qui respecte les principes du marché et certainement mieux que le secteur dit formel. Je me demande si ce n’est pas ce dernier qui doit plutôt s’inspirer des pratiques économiques qui prévalent dans l’informel.

Le fonctionnement de nos économies et les politiques mises en œuvre pour réguler le système économique sont très rebutants pour la majorité des agents du secteur informel. Parmi les raisons qui font que les agents économiques préfèrent exercer dans l’informel, la fiscalité et les tracasseries administratives se placent au-devant des choses. La persistance de ces causes explique certainement les réticences de nombreux acteurs à se plier à la formalisation.

En dépit du rôle primordial de l’économie informelle dans nos pays, l’attitude prédominante est de considérer le secteur informel comme étant un secteur qui a des effets défavorables sur le processus de développement économique, et par conséquent doit être réduit au minimum. On a très souvent considéré ce secteur comme celui de la pauvreté et de la marginalité. Les faits semblent pourtant indiquer le contraire. Il n’est plus rare, en effet, de trouver dans le secteur informel des entrepreneurs qui ont un revenu plus élevé que certains agents du secteur formel. Même s’il faut noter que la proportion de salariés pauvres est beaucoup plus élevée dans ce secteur, du fait que les salaires appliqués dans l’informel sont généralement plus bas que ceux du formel. Cela n’autorise pas cependant à assimiler le secteur informel à la pauvreté et à la marginalité.

Contrairement aux idées couramment admises, l’informel ne doit plus être considéré comme un secteur relais, marginalisé, dans lequel des agents en quête d’emploi exerceraient des activités de subsistances dans l’attente d’un meilleur emploi dans le formel. De nos jours, les agents économiques s’installent dans ce secteur en vue d’y exercer leurs activités de façon pérenne. Le secteur informel est ainsi devenu un phénomène permanent dont la capacité d’adaptation aux mutations économiques est notable. »


« Des logiques sociales bien ancrées font que le secteur informel résiste à la formalisation », dixit Dr Payaïssédé Salfo Ouédraogo.

 L’enseignant-chercheur à l’Université Joseph Ki-Zerbo, Dr Payaïssédé Salfo Ouédraogo, spécialiste des études sociologiques des pratiques économiques, décrypte les facteurs  qui maintiennent les acteurs du secteur informel dans l’informalité.

Sidwaya (S) : Quel regard le sociologue porte-t-il sur le secteur informel ?

Dr Payaïssédé Salfo Ouédraogo, enseignant-chercheur en Sociologie, spécialiste des études sociologiques des pratiques économiques

Dr Payaïssédé Salfo Ouédraogo (P.S.O) : Le secteur informel, en tant que groupe socioprofessionnel, est souvent analysé par opposition au secteur formel. Il est constitué de petites activités informelles qui permettent à un grand nombre d’individus d’assurer les besoins quotidiens de la vie en société.

On peut le scinder en deux: le secteur informel de subsistance, constitué de toutes ces petites activités de survie avec des chiffres d’affaires de 25 000 F CFA, 50 000 F CFA; le secteur informel de complaisance, constitué de toutes ces activités et entrepreneurs qui s’y plaisent car ils y tirent un certain nombre d’avantages, pas seulement fiscaux. Ils y réalisent des chiffres d’affaires importants qu’ils dissimulent. Ils feignent  les apparences de pauvreté. Ils y gagnent, d’un point de vue sociologique et économique.

S : A quelles logiques répond ce secteur?

P.S.O : Les logiques du secteur informel sont plurielles. En sociologie, le fait social est total et l’économie n’est pas une sphère autonome. Les individus ont une pluralité de raisons d’être dans l’informel.  Du fait du poids du social  on n’y recrute pas des compétences extérieures mais un frère, une sœur, un cousin. Il y a une sorte d’enfermement dans des ghettos familiaux, communautaires. Cela répond à des nécessités fonctionnelles de la société où les solidarités familiale et communautaire sont prégnantes.

Le secteur informel offre aussi l’avantage d’une dissimulation de la richesse. Nous sommes dans une société ankylosée dans des traditions, des croyances  en des forces souterraines, mystiques et magiques. Des logiques d’égalitarisme, de nivellement des statuts sociaux qui y règnent  font que personne ne veut se détacher du lot, sous peine de sanctions des forces invisibles. On y évalue toujours les richesses avec une tendance à la minoration. Quand on a   cent bêtes, on dira qu’on en a cinquante. Rester dans l’informel constitue donc une soupape de sécurité qui répond à la logique sociale de nivellement par le bas. Au contraire de l’homo œconomicus  qui cherche à accumuler, à maximiser son profit, l’homo africanus limite toujours ses besoins pour atteindre l’abondance. Ainsi, des gens se plaisent dans leurs petites boutiques malgré les possibilités évidentes de l’agrandir, de gagner plus.

S : Au-delà du social, n’y a-t-il pas d’autres facteurs explicatifs  du rejet  du formel?

P.S.O : Contrairement à l’opinion courante, ce ne sont pas des raisons économiques mais plutôt sociologiques qui poussent à rester dans l’informel. Des variables sociologiques lourdes font que des  acteurs du secteur informel ont intérêt à y rester. Au-delà des logiques égalitaristes, l’informel joue un rôle de sauvegarde des mécanismes traditionnels de solidarité familiale et communautaire.

S : D’aucuns soutiennent que la peur de l’impôt constitue un frein à la formalisation…

P.S.O : L’explication fiscale n’est pas suffisante. Elle peut être une des raisons, car  l’informalité donne un certain nombre d’avantages fiscaux. On y  applique une fiscalité globale, synthétique, un forfait annuel. Alors que la formalisation implique un changement de régime fiscal où l’on impose le bénéfice, la TVA, etc. Les implications économiques de formalisation telles la bancarisation, la tenue d’une comptabilité, l’amélioration du cadre de l’entreprise, exposent l’immensité de votre revenu au grand public. Payer l’impôt ou plus d’impôt n’est pas le  problème mais  plutôt le risque d’exposer sa richesse.

S : L’enferment dans l’informalité n’est-il pas dû aussi à la méconnaissance des avantages du formel tels l’accès à la commande publique, les possibilités d’internationalisation …?

P.S.O : Ce n’est pas sûr que les acteurs de l’économie informelle visent à  se positionner à l’international, à accéder aux marchés publics. Ils n’ont pas confiance en l’Etat. Ils ont une certaine représentation des marchés publics. Pour eux, l’Etat est un mauvais payeur. Les avantages qu’offre la formalisation ne sont pas bien  reçus par ces acteurs. Ils préfèrent rester dans l’informel, simuler les apparences de pauvreté pour se sauver et sauver leurs entreprises.

S : Avec ces représentations très ancrées, que faire pour amener le secteur informel vers le formel?

P.S.O : Les sociétés n’avancent pas comme les individus, mais par tendances lourdes. Elles prennent du temps pour faire un pas, mais quand elles l’auraient fait, c’est un pas décisif. Il faudrait travailler à redonner confiance à ces acteurs vis-à-vis des prestations liées à la formalisation notamment la commande publique  et à les informer  suffisamment sur le poids de l’impôt à affronter quand ils seront dans le formel.

Il faut aussi œuvrer à articuler les contraintes sociales avec les exigences de formalisation à sensibiliser, renouveler les mentalités, rassurer que la formalisation n’entraine pas un rejet du social, du culturel mais seulement une reconfiguration. Il faudrait véritablement les préparer à affronter le formel, car des logiques sociales bien ancrées font que le secteur informel  résiste à la formalisation.

S : Les mécanismes d’incitation tels que les allègements fiscaux, l’accès aux crédits ne constituent-ils pas une alternative ?

P.S.O : Les allègements fiscaux et l’accès aux financements pourraient être un palliatif mais  ne résolvent pas tout le problème, car les résistances sont vivaces. Il faut mettre l’accès sur les pesanteurs sociologiques qui constituent un obstacle à la formalisation. Agir seulement sur les leviers économiques et financiers ne résoudrait pas tout le problème.

Interview réalisée par

Mahamadi SEBOGO


 

Laisser un commentaire