Un mandat d’arrêt historique

C’est une décision surprenante et historique. La Cour pénale internationale (CPI) a émis, le vendredi 17 mars 2023, un mandat d’arrêt contre le président russe, Vladimir Poutine. Le maitre du Kremlin est accusé de « crimes de guerre » et de « déportation illégale »de 16 000 enfants ukrainiens vers la Russie. Ces faits, en lien avec l’invasion à grande échelle de la Russie en Ukraine, ont été établis par les juges de la première juridiction pénale internationale permanente. Jamais un dirigeant d’un Etat membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies n’a fait l’objet d’un mandat d’arrêt.

Poutine ouvre donc une nouvelle page de l’histoire de la CPI. Au motif que l’Ukraine veut basculer dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui étendrait dangereusement son influence aux frontières de la Russie, Poutine a décidé de prendre de force le contrôle de ce pays. Ainsi, l’ancien chef des services secrets russes a déployé, le 24 février 2022, 200 000 soldats en Ukraine, avec pour objectif d’envahir la capitale, Kiev, et de renverser le régime de Volodymyr Zelensky, en trois jours. Le plan de Poutine a échoué face à la résistance de l’armée ukrainienne, soutenue depuis un bon moment par les Occidentaux. Ce qui a conduit à l’enlisement du conflit. Des sources occidentales évoquent 150 000 morts dans chaque camp, quand l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dénombre plus de 8 millions de réfugiés ukrainiens à travers l’Europe.

Les conséquences de la guerre en Ukraine sont très désastreuses, à telle enseigne que le mandat d’arrêt contre Poutine a été accueilli avec joie par l’Ukraine et les Etats-Unis, deux pays qui ne sont pas membres de la CPI. Vent debout contre l’impunité, les organisations de défense des droits humains, comme Human Right Watch, ont également salué la décision de la CPI. L’atmosphère est tout autre à Moscou, où les allégations contre Poutine sont balayées du revers de la main par les autorités russes, qui ne reconnaissent pas la CPI. Au-delà de la réaction officielle, l’entourage de Poutine se moque du mandat d’arrêt et en rit d’ailleurs. La même posture est adoptée par les admirateurs de Poutine, qui voient en lui, un adversaire de taille face au diktat des Occidentaux. L’ex-président russe, Dimitri Medvedev, a fait dans la raillerie en comparant le mandat d’arrêt de la CPI à du papier toilette, dans un Tweet. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on en rigole, le mandat contre Poutine, qui fait suite à des sanctions économiques, culturelles et sportives contre son pays, porte atteinte à sa réputation. Malgré les honneurs dus à son rang, ce mandat fait de Poutine un délinquant recherché. Ses déplacements à l’international, surtout dans la centaine de pays membres de la CPI, vont être difficiles, voire désormais limités. Mais pour ce qui est de l’arrestation du patron du Kremlin, on ne pariera pas un sous là-dessus.

L’applicabilité des mandats d’arrêt contre des chefs d’Etat en exercice n’est pas une évidence. On le sait, la CPI ne dispose pas de son propre mécanisme d’exécution, elle compte sur les Etats pour mettre le grappin sur l’accusé. En la matière, rien n’est gagné d’avance, puisque les intérêts des pays passent au-dessus de toute considération, fut-elle judiciaire. Ce qui est évident par contre, ce mandat va compliquer davantage le dialogue entre Poutine et les Occidentaux, pour ne pas dire qu’il va allonger davantage la distance entre eux. Même si la guerre en Ukraine venait à finir, ce mandat devra rester en cours, les faits reprochés à Poutine ne devant pas s’effacer du jour au lendemain. En s’attaquant frontalement au président russe, la CPI est dans son rôle de contribuer à la lutte contre l’impunité sur le plan mondial, mais encore faut-il qu’elle travaille à susciter moins de polémique. Certains observateurs se demandent pourquoi des « va-en-guerre » comme les présidents américain, George Bush père et français, Nicolas Sarkozy, respectivement à l’initiative de l’invasion de l’Irak en 2003 et de l’intervention en Libye en 2011, ne sont toujours pas inquiétés. Alors que ces conflits ont également fait des victimes. Est-ce une politique de deux poids deux mesures ?

Kader Patrick KARANTAO

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