Usage de pesticides dans le maraichage : un couteau à double tranchant

Le domaine du maraichage au Burkina Faso connait une utilisation croissante de pesticides permettant de minimiser les pertes de récoltes causées par les ravageurs et de stabiliser les rendements. Cependant, les pratiques phytosanitaires des maraichers peuvent être sources de nuisance pour l’environnement, l’homme et les animaux.

Selon le DPVC, Dr Diakalia Son, le ministère envisage développer une stratégie nationale de lutte contre la vente anarchique et la livraison abusive des pesticides.

Mardi 22 avril 2022, il est 7 heures sur les rives du barrage de Boulmiougou à la sortie Ouest de Ouagadougou. Pendant que certains maraichers sont en plein arrosage de leurs planches, d’autres sont préoccupés par le repiquage de pieds de salade, de choux. Abdoul Karim Ilboudo, lui, s’attèle à la pulvérisation de ses cultures contre les maladies et les ravageurs. « Je suis venu pulvériser mes plants de persil contre les espèces nuisibles. Je fais mon traitement avec un pesticide appelé ‘’Savahaler’’ », nous lance-t-il, sans la moindre protection contre les produits chimiques. Abdoul Karim Ilboudo tire depuis quelques années sa pitance quotidienne du maraîchage. Autre site, même réalité. Au site maraicher de Tanghin (quartier de Ouagadougou), Karim Zango, la cinquantaine bien sonnée, pulvérise ses cultures de tomates, de choux, de poivrons qui s’étendent à perte de vue à l’aide d’un produit chimique dénommé ‘’ l’Emacot ’’, lit-on sur le support, jeté à même le sol.

90% des maraichers utilisent les pesticides

Comme ceux-là, 90% des maraichers au Burkina Faso utilisent les pesticides chimiques, informe le Directeur de la protection des végétaux et du conditionnement (DPVC) au ministère en charge de l’agriculture et par ailleurs spécialiste en phytopharmacie et en protection des végétaux, Dr Diakalia Son. Une étude réalisée en 2016, auprès de 200 producteurs sur les sites de Tanghin et Boulmiougou, où se pratique une forte activité de production maraîchère et publiée en 2017 dans Journal of Applied BioSciences (JABS) (ISSN : 1997-5902), révèle que 65% des pesticides utilisés sont classés selon l’échelle de toxicité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et 67 % sont destinés au traitement du coton. Même si des maraichers affirment qu’ils utilisent des pesticides destinés à la culture maraichère, l’autre constat est que la majorité se procure des produits au marché de Sankariaré (Ouagadougou). « Pour le traitement de nos cultures, nous sommes obligés d’aller payer les insecticides au marché », confirme le maraicher Hamidou Ouédraogo. Visiblement mal informé et sans formation, celui-ci met tout en œuvre pour sauver sa production.

Homologués mais non autorisés

Bien que la commercialisation des pesticides soit soumise à une autorisation préalable et un agrément de vente, à Sankariaré, des produits chimiques agricoles se vendent comme de petits pains. « Normalement, ceux qui doivent vendre les pesticides ont des agréments. Pour cela, nous faisons l’effort de publier la liste de ceux qui sont agréés par commune puis, nous les acheminons au niveau des régions », clarifie, M. Son. Il confie que le Burkina Faso dispose d’une vingtaine de postes de contrôle phytosanitaire, mais au regard de l’insécurité, certains fonctionnent au ralenti et d’autres fermés. La porosité des frontières, déplore-t-il, profite aussi à des commerçants qui s’introduisent avec des produits frauduleux. Conséquence, résume-t-il, des pesticides non homologués se retrouvent sur le terrain des exploitants maraichers.

« Cela fait que nous sommes obligés souvent de faire des contrôles inopinés », relate-t-il. Or, aux dires du DPVC, l’homologation d’un pesticide permet de vérifier son efficacité à lutter contre le ravageur, sa toxicité contre l’homme et ses effets néfastes contre l’environnement. Il précise, cependant, qu’un pesticide peut être homologué mais pas autorisé dans le maraichage. Mais, la majorité des producteurs étant analphabète, souligne-t-il, se réfère aux images d’utilisation du pesticide dont le contenu de l’emballage peut s’avérer frauduleux. « Il faut qu’on sensibilise certains vendeurs pour qu’ils nous évitent l’achat de pesticides ou de semences contrefaits », tempête le maraicher Boukary Illy, rencontré devant une petite boutique de vente d’intrants agricoles, située à proximité d’un site maraicher. Le visage grave, le quadragénaire s’emporte parce qu’il est victime d’une arnaque liée à la contrefaçon d’une boite de semences qui lui a été vendue. « Ma pépinière de céleri a complètement échoué, supposons que cela était un pesticide. Quel dommage cela allait-il causer ? », s’interroge-t-il.

Du pesticide sur toutes les cultures

Des maraichers se procurent des pesticides dans cette boutique de vente de produits phytosanitaires.

De nos jours, les pesticides sont utilisés dans presque tout ce qui est cultivé, même dans les petits potagers. « Si nous n’utilisons pas les produits chimiques dans nos cultures, nous n’allons rien récolter surtout en cette période de chaleur », affirme le jardinier Karim Zango. Ce qui dénote selon les spécialistes que les fruits et légumes représentent un danger permanent d’autant plus que beaucoup sont consommés crus, souvent sans être bien lavés. La vendeuse de salade au quartier Katr-yaar, Aguirata Compaoré, qui se ravitaille régulièrement sur un site maraicher, estime que leur devoir est d’acheter et d’aller vendre. Pour elle, il revient aux consommateurs de s’en charger pour éviter les résidus de pesticides dans leurs assiettes.

Source d’infertilité

Pourtant, de l’avis du Dr Diakalia Son, la quasi-totalité des fruits et légumes (salade, choux, tomates…) consommés crus sont les plus exposés à la contamination des pesticides. A l’en croire, les dangers liés à la présence de résidus de pesticides dans les fruits et légumes sont de deux groupes. Il s’agit de l’intoxication aiguë qui, après la consommation des aliments, peut provoquer des maux de ventre pouvant aboutir à la mort. Les Burkinabè ont encore en mémoire le drame survenu en 2019 à Didyr, dans le Sanguié (Centre-Ouest) où 13 personnes d’une même famille ont trouvé la mort après une consommation d’aliments contaminés aux pesticides. En 2021, au moins sept personnes sont mortes, a priori d’intoxication alimentaire, dans le village de Danhal Kpangara, dans la province du Poni (Sud-Ouest). L’intoxication chronique, explique-t-il, peut prendre des années. La consommation des aliments contenant des résidus de pesticides expose à des risques d’infertilité car pouvant avoir des impacts sur les spermatozoïdes. « Les femmes et les enfants sont très exposés. En plus de créer des maladies cancéreuses, elles peuvent être victimes de fausses couches. Dans nos villages, le phénomène des enfants qui naissent avec des malformations est en partie liée à l’excès de l’utilisation des pesticides », précise-t-il. Pour consommer une culture qui subit des traitements aux pesticides, conseille-t-il, il faut respecter le Délai avant récolte (DAR) pouvant atteindre une à deux, voire trois semaines pour ceux étant toxiques. S’agissant de l’environnement, les pesticides disposent d’effets sur le sol, l’eau et l’air, déclare le spécialiste en phytopharmacie. Ils tuent, indique-t-il, les espèces dont les vers de terre nécessaires pour ramener la matière organique qui enrichit la production et permet l’infiltration de l’eau. « Si l’eau de surface est contaminée, tous ceux qui y vivent dont les poissons le seront aussi », détaille-t-il. Les pesticides peuvent également empoisonner les nappes phréatiques alors qu’il s’agit d’une eau utilisée pour la consommation.

A en croire le DPVC, le ministère en charge de l’agriculture mène des actions de sensibilisation et des formations au profit des producteurs à travers des agents régionaux pour une meilleure compréhension de l’utilisation des pesticides. Diakalia Son annonce d’ailleurs que son département envisage installer un centre d’appel pour permettre aux producteurs d’avoir toutes les informations sur l’utilisation des pesticides. Au regard de ces conséquences, des perspectives de réduction de l’emploi des pesticides et leurs effets sont envisageables par le ministère. « Nous conseillons les producteurs d’utiliser l’huile de neem. Nous avons la chance d’avoir du neem. A partir de ses graines, nous pouvons en faire des biopesticides », indique M. Son. A l’entendre, ceux-ci jouent un rôle préventif. « Les agents d’agriculture nous ont proposé l’huile du neem, c’est efficace mais elle est en phase d’expérimentation », reconnait Valentin Zoundi, maraicher sur le site de Boulmiougou. La lutte contre l’intoxication alimentaire étant une préoccupation, le DPVC demande le concours des acteurs pour y arriver.

Aly SAWADOGO

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