« Bobo Orchestra » est un orchestre créé récemment. Composé essentiellement de vétérans de la musique burkinabè, ce jeune orchestre a presté pour la première fois le 21 juin 2019 à Bobo-Dioulasso, à l’occasion de la fête de la musique. Zoom sur ce groupe atypique qui se veut une véritable « troupe d’élites » de la musique bobolaise, voire nationale.
La soirée tirait vers sa fin quand ils ont fait leur apparition sur scène. De la rumba à la salsa, en passant par les rythmes traditionnels et tradi-modernes, ils ont tenu en haleine les mélomanes. Avec sa soixantaine de minutes de prestation, « Bobo Orchestra » a réveillé la grande salle peu assoupie de la Maison de la culture Mgr Anselme-Titianma-Sanon de Bobo-Dioulasso, en cette nuit du 21 au 22 juin 2019.
Nous sommes à la soirée consacrée à la fête de la musique par le ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme. C’était la toute première apparition de ce groupe, jeune par son âge, mais vieux par ses musiciens. « Bobo Orchestra », c’est un staff d’une quinzaine de personnes, dont des « requins » de la musique depuis les années 1960, 1970 ou 1980. Ces figures sont entre autres, Madou Koné, Koumbia Sénémi, Nouhoun Traoré ou encore Stanislas Soré. Les musiciens sont tous issus des orchestres célèbres de la ville de Bobo-Dioulasso.
Il s’agit des orchestres tels que « Les léopards » de la 2e région militaire, « Le Sya Dembe », « Les messagers », « L’Echo de l’Africain », « Le Volta Jazz », « Le Daffra Star », « Le Star band », pour ne citer que ceux-là. L’idée de la mise sur pied du groupe est pourtant partie d’un jeune artiste, Sada Ba, chef de l’orchestre « Le Star band ». Pratiquement le benjamin du groupe, il est, à ce jour, le coordonnateur de « Bobo-Orchestra ». Dreadlocks épaisses, teint clair avec une allure sportive, Sada Ba nous reçoit au « Bois d’ébène » (bar dancing très fréquenté des orchestres bobolais) le vendredi 13 décembre 2019 pour parler du projet.
Hommage aux doyens de la musique
Au début, se souvient le natif d’Accarville (quartier de Bobo-Dioulasso), l’idée était d’organiser un cadre, une occasion de reconnaissance aux doyens de la musique bobolaise. « Nous avons tous grandi avec la musique de ces gens-là et vu l’immensité de leur carrière, ils méritaient d’être honorés », lance-t-il. C’est alors qu’il a entrepris de regrouper, avec leur aval, les vétérans des orchestres renommés de la ville de Bobo-Dioulasso au sein d’un même orchestre.
Ce qui donnera naissance à « Bobo Orchestra ». La fête de la musique, le 21 juin 2019, a alors été une aubaine pour concrétiser ce rêve. Approchées, les autorités de la culture n’ont trouvé aucun inconvénient ; elles ont, au contraire, salué l’idée, relate le chef du « Star band ». Le ministre en charge de la culture, Abdoul Karim Sango, a pu savourer les belles mélodies du groupe des « papys ». « C’est avec beaucoup de bonheur que nous avons assisté à la prestation de ce groupe qui remonte dans les années 1970 », affichait-il à la fin de la soirée.
Abdoul Karim Sango, comme le mentionne Sada Ba, a, sur-le-champ, souhaité que l’initiative ne meure pas après la fête de la musique. « Bobo Orchestra » n’est pas un orchestre classique comme on peut le croire, avec un groupe qui se retrouve en permanence. Il se veut, précise le coordonnateur du groupe, une troupe d’élites de la musique, à l’image des célèbres orchestres « Africando », « Aragon » (Cuba), ou encore le « Bembeya Jazz » (Guinée).
« C’est un orchestre que nous voulons utiliser comme orchestre officiel qui va jouer lors des cérémonies officielles », explique-t-il, enthousiaste. « Bobo Orchestra » a plein de projets dans le panier, à en croire son coordonnateur. « Les anciens ont plein de choses à nous proposer », avertit-il. Sada et sa bande comptent non seulement produire de nouvelles œuvres, mais aussi revisiter les anciens répertoires des « vieux » et même de certains regrettés musiciens.
…« artiste du peuple »…
Ce qui permettra de remettre ces œuvres sur des supports numériques. « A l’époque, les enregistrements se faisaient de façon rudimentaire et difficile », justifie le cadet du groupe dont le défi majeur est de réunir maintenant un équipement de qualité. D’où l’appel aux responsables de la culture et à toutes les bonnes volontés. « Tout le monde est concerné par le projet parce que la musique, si tu n’en fais pas, tu l’écoutes», lance Sada Ba. A travers son nom déjà, nous fait remarquer Sada, « Bobo Orchestra » résonne en Salsa, mais le groupe pratique une gamme variée de rythmes musicaux tels que la Rumba, les rythmes tradi-modernes, et surtout la musique rétro.
Nous avons pu approcher quelques-uns de ces vétérans du quatrième art. Madou Koné est l’un d’entre eux. La musique l’a amené un peu partout sur les grandes scènes à travers le monde. De son vrai nom Mamadou Koné, ce natif de Bobo-Dioulasso est artiste musicien, auteur-compositeur, chanteur, chanteur-interprète, balafoniste, guitariste. C’est avec beaucoup d’émotion que ce géant de la musique nous retrace sa carrière bien fournie, le samedi 7 décembre 2019. L’homme au chapeau fièrement arboré se rappelle comme si c’était hier, ses débuts dans la musique en 1972, à la Maison des jeunes et de la culture de Bobo-Dioulasso.
Ses grands débuts dans le domaine commencent en 1976 quand il a été sélectionné dans l’équipe nationale pour représenter la république de la Haute-Volta à l’époque, au Festival panafricain des arts et de la culture à Lagos en 1977. Après une brillante participation, il créa en 1982, de retour à Bobo-Dioulasso, le groupe de musique et de danse traditionnelle « L’ensemble Kôkô de Bobo-Dioulasso ». Un groupe avec lequel il va connaître plein de succès et de scènes à travers le monde.
Premier prix de la musique traditionnelle instrumentale et vocale, successivement de la 2e édition de la Semaine nationale de la culture (SNC) en 1984 à Gaoua, de l’édition 1986 à Bobo-Dioulasso, et de Koudougou-Réo en 1988. Ce qui lui vaudra d’être consacré « artiste du peuple » (Ndlr : l’artiste du peuple ne prend plus part aux compétitions de la SNC). Une participation au festival de la Francophonie à Limoge en France en 1985, une tournée en Inde en 1987. Bref, Madou Koné avoue avoir fait avec « L’ensemble Kôkô », presque toutes les grandes manifestations culturelles nationales et internationales où le Burkina Faso était représenté.
Il est aussi à mettre dans ses œuvres, la chanson culte « je m’en vais à Bobo » composée en 1990 et qui deviendra comme l’hymne de la SNC. Stanislas Soré, bien connu sous son nom de comédien, Abou (Dans la série télé « Au royaume d’Abou »), totalise 45 ans de carrière dans la musique. Batteur, chanteur, et joueur de timbales, la musique, se remémore-t-il, il l’a commencée depuis son école primaire. En 1972, il intègre la formation B de «Volta jazz ». Il gravira vite les échelons pour rejoindre la formation A, où il remplace le «Gandaogo national (George Ouédraogo) » qui venait de quitter, comme toumbiste. Il a aussi été au Bénin en 1981, où il a côtoyé l’orchestre « Poly-Rythmo » de Cotonou. De retour au pays en 1982 Stanislas Soré intègre « Les léopards », en tant que civile. La musique était pour lui, une question d’amour et de passion.
Le suivant, Koumbia Sénémi, a aussi une carrière bien élaborée. Né à Bobo-Dioulasso au début des années 1950, il est actuellement le chef d’orchestre du « Sya Dembe ». Il est auteur-compositeur, chanteur, flûtiste. Il touche à tous les instruments musicaux, même si son instrument de prédilection, confie-t-il, est la flûte. Ce doyen qui est dans la musique depuis 1966 refuse de vieillir. « La musique n’a absolument rien à avoir avec l’âge, au contraire l’inspiration s’accroît avec l’ancienneté », insiste-t-il.
Critiques des anciens
A cause de la musique, nous relate le sexagénaire, il n’a pas eu un long séjour sur les bancs. Mais loin de lui un quelconque remord. « Les diplômes que je n’ai pas eus à l’école, je les ai eus dans la musique », brandit-il fièrement. Il est titulaire d’un « CS1 harmonie », d’un « CS2 harmonie », et d’un « BT1 harmonie » et se targue même de pouvoir enseigner dans n’importe quelle école de musique. De l’orchestre « Le Tindia Bande » d’Accarville, aux « Léopards» en passant par les « Kings d’Abidjan » (1969-1970) et « Lokaba Orchestra » (dirigé en son temps par le père de l’artiste ivoirien Serge Kassi), Koumbia Sénémi a également eu une carrière bien fournie. Cette carrière, il dit la devoir en grande partie à l’armée qu’il a intégrée en 1973 de retour d’Abidjan. Il débute dans une unité de la première compagnie du Groupement d’instruction des forces armées voltaïques (GIFA) en 1973, où il eut comme premier formateur, un certain capitaine Thomas Sankara. « J’ai fait 32 ans de service militaire, de 1973 à 2006.
Je remercie l’armée qui m’a permis d’apprendre beaucoup dans la musique », reconnaît-il. Les anciens ne manquent pas de regard critique à l’égard de la jeunesse actuelle. « Dans les années 1980, le live était en vogue. Aujourd’hui, vous avez des artistes qui ne peuvent pas jouer leurs propres morceaux en live », dira Stanislas Soré. Avant d’ajouter que de nos jours, les « gombos » (ndlr : cachets) ont malheureusement pris le pas sur la passion. Pour lui, la musique demande beaucoup d’application. Comme quoi, dit-il, la musique bien faite traverse le temps. « Vous avez des musiques des années 1950 qui sont toujours à la page. Tout cela, parce qu’elle a été bien travaillée», confie-t-il.
Et Madou Koné de renchérir que nombreux sont actuellement les jeunes musiciens qui n’ont pas les techniques de base de la musique. « J’ai rencontré beaucoup de jeunes chanteurs qui ne peuvent pas chanter dans un orchestre », déplore l’artiste du peuple. Pour lui, la musique burkinabè a quand même évolué positivement, en ce sens qu’il y a des artistes qui se dégagent du lot et qui font vraiment du « bon boulot ». Madou Koné regrette néanmoins que la jeunesse d’aujourd’hui soit pressée, au risque de ne pas prendre assez de temps pour se former.
« Il y en a qui chantent deux ou trois chansons, avec l’aide de la technologie, et quand ça a du succès, ils se disent qu’ils sont musiciens », dit-il. Koumbia Sénémi, lui, reproche la monotonie dans les œuvres de certains artistes. Quatre principes, fait-il comprendre d’entrée, régissent l’exécution d’une œuvre musicale. Ce sont le phrasé, l’accentuation, la nuance, et le caractère. Une des tares de la jeune génération, à l’écouter, est la monotonie dans l’exécution de ses œuvres.
« Si tu utilises à chaque fois les mêmes principes, tu seras dans la monotonie, et on aura l’impression que tu joues toujours le même morceau », fait-il remarquer. Pour le doyen du « Sya Dembe », « Mieux vaux faire un album bien travaillé que plusieurs sans valeur ». Il dénonce, par ailleurs, le fait que tout soit centralisé à Ouagadougou, au détriment des autres villes. « Tout se passe à Ouaga. Il faut être à Ouagadougou pour être musicien aujourd’hui», fulmine le vieux musicien.
Alpha Sékou BARRY
alphasekoubarry@gmail.com
« Première sortie à Ouagadougou le 24 janvier 2020»
Le groupe fera sa première sortie sur scène à Ouagadougou le 24 janvier prochain, au Centre national des arts du spectacle et de l’audiovisuel (CENASA). Cette sortie, selon le coordonnateur, est en quelque sorte une présentation officielle aux mélomanes de la capitale.
A.S.B