26e édition du Fespaco: Les boissons locales quasi-inexistantes

La Maison Bio a proposé du jus de carotte et d’orange.

Les boissons produites artisanalement au Burkina Faso sont à peine visibles à la 26é édition du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco) qui s’est déroulée 23 février au 02 mars 2019. Leur distribution à ce festival avait été expressément autorisée après une dénonciation, sur les réseaux sociaux, d’un hypothétique droit d’exclusivité accordé à un grand distributeur.

Un stand, deux promoteurs ; voilà résumée la présence visible des jus de fruits et de légumes produits artisanalement ou en semi-industriel au Burkina Faso, sur les trois (3) aires marchandes ouvertes à la 26é édition du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco).

A quelques jours de l’ouverture du festival, des rumeurs, relayés sur les réseaux sociaux, laissaient croire qu’ils y étaient interdits de vente, au profit des boissons industrielles commercialisées par la Société de distribution de boissons (Sodibo). Le festival a été obligé d’intervenir pour éclairer l’opinion. Dans un communiqué daté du 21 février 2019, on pouvait lire : «la vente des jus de production locale est autorisée sur l’ensemble de ses galeries marchandes».

Mme SylvieValéa, une des rares amatrices de jus naturels rencontrée au Festival.

Cela a-t-il occasionné une invasion des jus locaux aux Fespaco ?
Pour le vérifier, rien ne vaut une visite lorgneuse, stand par stand, à commencer par le siège du Fespaco, ce 28 février 2019. Il est 15h43, il fait un peu chaud et les festivaliers se désaltèrent ou picolent. Au constat, au milieu des maquis et des fumées et odeurs dues au grillage de viande, les festivaliers vident clairement des bouteilles de bière et de boissons gazeuses.

Nombreux et bruyants côté-Est, les maquis ne servent que des boissons Sodibo, y compris l’eau de marque Laafi. Des stands de couleur jaune, visibles à l’entrée et un peu plus loin, sont remplis de boissons sucrées carbonatées de la marque Sodibo (Youki, Fanta, Coca-cola, XXL Energy, etc).

Quelques festivaliers s’en approvisionnent, sans s’y attarder. C’est le résultat d’une tournée rapide. Pour l’affiner, nous repartons pour un second tour. Au finish, toujours pas de dolo, ni de bissap, ni de jus de weda. Pas même dafani, nom du producteur de jus de mangue et d’orange connu des consommateurs burkinabè.

Pas de jus naturel burkinabè non plus à la Place

Tout de même, en scrutant scrupuleusement les moindres recoins, on a fini par découvrir, abandonnées sur la table d’une restauratrice, deux petites bouteilles vides de jus présumé. De même, un visiteur, qu’on n’a pas pu rattraper, tenait dans ses mains un carton dafani. Un représentant de Sodibo, retrouvé sur les lieux, a gentiment refusé de donner des éclairages sur le contrat d’exclusivité qu’aurait eu sa société. Il avait prévu de rappeler mais ne l’a pas fait.

En résumé, au siège du Fespaco, mis à part les produits Sodibo, il n’y a que des traces à peine détectables de boissons made in Burkina en vente.
Pour le chapitre suivant, nous mettons le cap sur la Place de la nation. Les deux fouilles des services de sécurité se passent avec succès. Au premier regard, on constate des chapiteaux abritant des restaurants VIP.

« Le Borfo », c’est le nom d’un d’entre eux. Vite, on avance vers l’espace select et climatisé abritant les stands promotionnels des pays invités, des Editions Sidwaya et de bien d’autres entreprises. Il n’y a visiblement pas de place pour les vendeurs de boissons dans cet endroit feutré. Un tour des lieux le confirme. Certes, dans le vaste stand du Rwanda, on peut trouver du café.

Mais il est en poudre et n’est donné qu’au visiteur privilégié ou chanceux. Le grand monde de la galerie marchande se trouve plutôt du côté ouest. Pour y aller, il faut ressortir. Une fois sur le lieu, là aussi, aucune trace de boissons locales autre que celles du distributeur affilié à Brakina. Au moins, de magnifiques produits de la poterie burkinabè y abondent.

On n’a guère besoin de chercher loin pour les voir. Des canaris pour les fleurs, il y en a à foison, mais aucun canari de dolo, même vide, n’est présent. Dans ces conditions, il ne reste plus qu’à inspecter le dernier site : la Maison du peuple.

A ce niveau, le badge aidant, on se retrouve assez facilement à l’intérieur. L’espace marchand de la Maison du peuple est organisé un peu comme au siège du Fespaco : Le côté centre-ouest, une zone d’exposition mi-couverte, est occupé par les acteurs d’habillements, de l’artisanat alimentaire ou même de la médecine traditionnelle.

On y applique les techniques du «marketing sauvage» qui semblent avoir pris naissance au Grand-Marché de Ouagadougou, situé à un vol d’oiseau de là. Elles consistent à héler, à tirer par l’habit ou à se dresser sur le chemin du client, pour lui présenter des marchandises.

Au bout d’une allée, non loin de l’un des deux éléphants dressés devant l’entrée du principal bâtiment de la Maison du peuple, une petite fille ambulante tient sur sa tête le couvercle d’un récipient contenant de l’eau en sachet plastique et trois petits bidons de bissap et de jus de gingembre.

Plus encline à vendre ses produits qu’à situer les origines ou la position de sa patronne, elle n’a pas trouvé de temps pour des échanges.
En parcourant les stands, sur la dernière ligne et face aux maquis implantés côté Est, on tombe sur le stand de la Maison Bio. Enfin ! De la tournée, c’est le seul stand de jus produit au Burkina Faso par une Burkinabè telle que les internautes, défenseurs de boissons locales, pouvaient se l’imaginer.

Il est occupé en effet par une jeune promotrice, Talian Baguian, qui dit avoir hérité cette activité de son père. Deux boissons sont proposées aux clients : Le jus de carotte et le jus d’orange, vendus respectivement à 1000 FCFA et 700 FCFA le litre ou 400FCFA et 300 FCFA le verre.

«Il n’y a pas de clientèle»

On apprend auprès de l’exposante que la Maison bio est une petite unité de production de boissons naturelles située à la ZAD (Ouagadougou), qui transforme en jus la pastèque, la papaye, le tamarin et l’ananas.

Sa promotrice, Talian Baguian, n’est pas confiante de sa situation économique, à deux jours de la clôture du festival. «Ca sort un peu, il n’y a pas de clientèle », dit-elle. Elle dit avoir loué le stand à 200 mille FCFA et se demande s’il elle pourra rentabiliser cette affaire. Retrouvée le samedi 2 mars, elle a confirmé ces premiers dires, avec un sourire cette fois-ci. Elle estime, néanmoins, à une dizaine le nombre de contacts de gens intéressés par ses jus.

Bien avant elle, assis dans la zone des maquis et sirotant une bière, Amidou Barro a confié que la vente des jus locaux à ce festival n’est pas forcément juteuse. Ce promoteur de jus dispose d’une petite unité basée à Bobo-Dioulasso et d’un magasin à Ouagadougou, dans le quartier Wemtenga.

Interrogé sur l’attrait de sa boisson «Timimany» pour les clients du festival, il s’est montré réservé. «Je ne dirai pas ‘bien’, je ne dirai pas ‘mal’, c’est un nouveau produit, mais on est confiant pour la suite».

Selon ses dires, il n’a pas loué de stand, mais a plutôt négocié avec un maquis pour écouler ses produits. Il déclare aussi n’avoir suivi «aucun protocole» pour faire entrer ses produits à la Maison du peuple.

Au siège du Fespaco et à la Place de la nation, les boissons, alcoolisées ou non, sont de Sodibo, filiale de la Brakina.

La visite du soir étant presque terminée, on se fait déjà une idée précise. Visiblement, les jus locaux ne sont pas prisés au Fespaco. Ils ont cependant quelques inconditionnels. Sylvie Valéa, une bouteille de jus Timimany posée devant, confie qu’elle ne recourt qu’aux boissons gazeuses uniquement lorsqu’il manque de jus de fruits faits localement.

Autrement dit, elle abhorre les boissons distribuées par la Sodibo. Elle vante alors les qualités des jus de produits locaux en ces termes : «c’est naturel, pas de problème de digestion, ni de remontée gastrique». Apollinaire Ouédraogo, un autre amateur de jus locaux, trouve que ces produits sont de «très bonne qualité» et qu’en les consommant, on apporte un soutien aux producteurs locaux.

A part ça, la tournée a montré qu’il y a peu de «jus locaux». Des confrères de Fasozine disent, sans autres détails, avoir vu le 1er mars, du «dolo mossi, bissa, samo». Peut-être que les choses ont changé. Pour le vérifier, s’impose une visite le samedi, jour de la clôture officielle de la manifestation.

Infime changement aux derniers jours

Le samedi, dans l’après-midi, retour à la Place de la nation. Les chapiteaux abritant l’exposition Yennega (stands promotionnels) et les restaurants VIP sont vides, la climatisation arrêtée. Deux groupes d’ouvriers s’activent à charger leurs tricycles de tables démontées. Ils nous conseillent, espérant que nous en avons besoin, de faire le tour pour trouver les gens.

Sur leurs aimables indications, on se retrouve sur l’espace marchand, grouillant de clientes et clients de la dernière heure. IL y a une petite différence avec l’ambiance du jeudi car on dénombre, cette fois-ci, au moins trois femmes vendant de l’eau dans des caissons. Elles sont assises sous des ombrelles et au bord extérieur nord de la zone marchande. L’une d’elles se présente sous le nom de Yoni.

Elle ne veut pas être prise en photo, mais elle tient à dire que «les choses ne marchent pas bien». En se renseignant avec la «belle-sœur» de l’artiste Yoni (ce sont ses dires), sur le jus de produits burkinabè, elle se déclare en être une productrice. Du fond d’un caisson, elle tire deux bouteilles plastiques de jus de gingembre.

«Voilà, mais ça ne marche pas», insiste-t-elle. Les vendeuses d’encens, assez nombreuses et ingénieuses sur les lieux, embaument les allées. A part ça, il n’y pas de marchands de jus locaux visibles. Qu’en est-il de la Maison du peuple ? Pour y aller ce jour de week-end, mieux vaut, par endroits, abandonner la voie principale, prise d’assaut par d’innombrables usagers, pour raser la devanture de la SONABEL, de Ran-Hotel et du bâtiment Onatel.

Entre les barricades sécuritaires et le monde qui afflue de toutes parts sur les lieux, il faut faire un petit effort avant de retrouver le passage qui conduit à la porte d’entrée. Devant la porte, gardée par des policiers, naturellement, il y a une longue file d’attente. Mais les détenteurs de badges, peu nombreux et alignés à part, n’ont pas à patienter. De l’intérieur, nous repartons sur l’alignement des stands aux contenus à dominance agroalimentaire.

Pourquoi ne pas s’arrêter au stand de la société Faso Raaga, négligé lors du premier passage, jeudi ? Le promoteur de cette entreprise burkinabè, Gansagné Haïdara, expose du jus Ivorio, une marque ivoirienne, du chocolat et du beurre de table importés du Sénégal. Il est aussi revendeur de produits non alimentaires comme le papier hygiénique. A priori, il n’est donc pas concerné par le business des «jus locaux».

Mais il fallait le vérifier avec le promoteur lui-même. Il accepte se confier sur ses affaires, qui à l’écouter, ne se déroulent pas comme souhaité. Pour lui, le fait d’avoir trois aires d’exposition (Maison du peuple, Place de la nation et Siège du Fespaco), réduit l’affluence sur chacune d’elles et explique la morosité supposée des affaires. C’est bien noté.

La chasse aux promoteurs de jus naturels se poursuit et mène au stand de la Maison Bio, déjà visitée deux jours auparavant. Sa promotrice paraît plus détendue, moins préoccupée, mais ne change pas d’avis sur ses gains à ce festival. «C’est la même chose (qu’avant-hier, ndlr)», dit-elle en souriant.

Non loin de là, il y a un stand où son exposé du jus de souchet, encore appelé pois sucré. Il semble avoir poussé du sol. L’exposante, Mme Sophie Sigouinda explique que ce stand s’ouvrait tard les autres jours et que c’est la raison pour laquelle il n’était pas visible lors de la première visite. Pour ce qui nous intéresse, Mme Sigouinda, employée de la société Horchata Costa, révèle que le jus en carton qu’elle expose, est fabriqué par des partenaires espagnoles, avec des souchets cultivés au Burkina Faso. Non plus, ce stand est donc hors d’objet de notre reportage. C’est aussi le dernier de la tournée du jour.

En dehors de ça et malgré l’autorisation publique de leur vente, les «jus locaux» n’ont pu décrocher le prix du public à cette 26e édition du Fespaco, selon notre constat. La bière locale de mil (dolo), les boissons sucrées fait maison (bissap, gnamakoudji jus de wéda, jus de mangue, jus d’ananas) et même le dafani ont «conquis» un droit de cité finalement peu exploité.

De façon générale, et en pareilles circonstances, les Burkinabè préfèrent la bière industrielle et les boissons gazeuses qu’ils ont l’habitude de consommer lors des soirées arrosées. La tambouille d’avant l’ouverture du Fespaco reste finalement une action de principe et un «événement facebook» en attendant la promotion des jus locaux auprès du grand public, lors des manifestations majeures du pays.

Aimé Mouor KAMBIRE


Le Fespaco, un événement de 2,8 milliards FCFA

La 26e édition du Fespaco s’est ouverte du 23 février au 02 mars 2019 sous le thème «Confronter notre mémoire et forger l’avenir d’un cinéma panafricain dans son essence, son économie et sa diversité». Elle est historique en ce qu’elle coïncide avec le cinquantenaire de la création de cet événement. C’est aussi une occasion de faire de bonnes affaires.

Le budget de l’organisation du festival a été estimé à 2 milliards 250 millions, avec une contribution significative d’un milliard des finances publiques de l’Etat burkinabè. Environ 200 films ont été présentés à Ouagadougou, mais aussi à Bobo Dioulasso et à Ouahigouya pour plus d’un millier de visiteurs.

Les présidents Paul Kagamé du Rwanda, Ibrahim Boubacar Kéita du Mali et Roch Marc Kaboré du Burkina ont assisté à la cérémonie de clôture au Stade Joseph Conombo. Le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Mahamat Faki, a répondu présent à l’ouverture du festival.
A.M.K


Le FESPACO reconnaît l’exclusivité accordée à SODIBO

Le FESPACO a reconnu avoit accordé, au titre d’un partenariat renouvelé, l’exclusivité de la distribution des boissons à la SODIBO au siege du festival et à la Place de la nation. A la suite des reactions populaires et après des échanges avec les responsables de la SODIBO, les boissons non concurrentes à celles du partenaire ont été autorisées.

A.M.K


Le communiqué du Fespaco autorisant la vente des jus de produits naturels.