Marché à bétail de Ouagarinter:Trop d’informel ne gâte pas la viande

Le marché à bétail de l’arrondissement n°5 de Ouagadougou attire du monde. Coincé entre la gare Ouagarinter et un cimetière désaffecté, il joue un rôle important dans l’approvisionnement de la ville en bétail et viande. Des millions de francs CFA sont échangés chaque jour dans cette infrastructure marchande informelle où le vacarme est roi.

Ils viennent de partout, les habitués du marché à bétail de Ouagarinter, dans l’arrondissement 5 de la capitale de Ouagadougou. A 13 heures passées, ce 13 mars 2019, le premier camion de la journée, un «dix tonnes», arrive à l’entrée principale du marché. Les usagers font place au lieu où il doit stationner temporairement, le temps de décharger sa cargaison d’animaux. Après quelques manœuvres adroites, le conducteur stabilise son engin en position de départ c’est-à-dire l’avant tourné vers la sortie. Le véhicule est aussitôt encerclé par de nombreuses personnes ne laissant même pas le temps à ceux qui, depuis l’aube, sont allés à la recherche des animaux auprès des éleveurs dans les marchés du jour. Un vacarme provoqué par les échanges entre ceux chargés de faire descendre le bétail et leurs interlocuteurs restés au pied du mastodonte à six roues s’en suit. Les cris de certains animaux qui ont encore de l’énergie y contribuent. Les moutons et les chèvres sont déchargés en premier lieu. En effet, plus fragiles, ils  ne sont pas entreposés à l’intérieur du camion mais plutôt suspendus aux flancs du véhicule ou disposés sur la partie supérieure du véhicule confectionnée à l’aide de planches en bois. Puis vient le tour des bœufs. Là, la mobilisation et des dispositions techniques sont nécessaires afin de faire face à la fois au poids de l’animal et à ses cornes. Dans un savoir-faire appris auprès des anciens et avec la vigueur qui est la leur, des jeunes déchargent rapidement la cargaison. Ils mènent ces activités au gré des arrivées des camions ou des minibus.

Des jeunes se proposent d’égorger les bêtes dans les domiciles

Après le débarquement des animaux, le véhicule dans un dernier vrombissement se retire pour faire plus d’espace pour les négociations entre acheteurs et vendeurs. Si pour les vendeurs ce sont pratiquement les mêmes en fonction des marchés du jour, tel n’est pas le cas pour ce qui concerne les acheteurs. On y dénombre essentiellement trois catégories : les occasionnels, les réguliers et les grossistes.

Veuve Ouédraogo et Monsieur Ilboudo font partie du lot des acheteurs occasionnels de ce jour. Pour l’une comme pour l’autre, ce sont des fêtes privées qu’ils organisent à leur domicile. «Je veux varier un peu les viandes», explique Madame Ouédraogo qui offre une petite réception à l’occasion du succès de son fils à un  concours. Quant à Monsieur Ilboudo, il prépare la visite d’une délégation de partenaires qui appuient son association de développement. Tous deux soutiennent que les prix sont exorbitants mais compte tenu des enjeux, ils sont bien obligés d’en acheter. Pour l’une et l’autre, de jeunes hommes les aident   à embarquer les animaux et se proposent de les égorger aux domiciles, contre rétribution, naturellement.

Ouangraoua Yacouba, vendeur de viande grillée de petits ruminants à Taabtenga, fréquente le marché depuis 10 ans. Les affaires évoluent en fonction du prix d’achat des animaux, dit-il. «Si nous avons les animaux à bon prix nous réalisons de bonnes affaires. Par contre lorsque les prix montent, nous sommes obligés d’en tenir compte pour non seulement satisfaire notre clientèle mais aussi avoir un peu de bénéfice», fait-il savoir. Trois autres bouchers, d’origine nigérienne, déclinent notre interview avec sourire, prétextant ne parler que haoussa.

La monnaie ghanéenne perturbe les affaires

Ces clients réguliers disent néanmoins s’approvisionner chaque fois que de besoin dans ce marché à bétail pour faire tourner leurs différents business de viande grillée. Oiena Tampougré, lui est venu de Ziou (Nahouri) pour s’approvisionner en animaux qu’il ira revendre au marché hebdomadaire de Djelwongo, à la frontière Burkina-Ghana. Il se plaint de deux choses qui ont dérégulé le marché à bétail de Ouagarinter. Premièrement il y a ceux qu’il appelle les «corsaires» (néologisme signifiant intermédiaires) qui, dès l’arrivée des animaux s’en accaparent pour majorer les prix. Ainsi, explique-t-il, si le propriétaire de l’animal demande 15 000 FCFA, il le vendra à 20 000 FCFA, ce qui l’aide dans ses charges familiales. La seconde difficulté, ajoute Oiena, est liée au cours de la monnaie ghanéenne, le Cedi. Il est très changeant d’un marché à l’autre par rapport au franc CFA, explique-t-il. « Actuellement, le cours du CFA est plus élevé que celui du Cedi. Le marché dernier, j’ai échangé un million de Cedi à 12 000 FCFA pour venir m’approvisionner en bétail ici à Ouagadougou. A mon retour à Djelwongo, après avoir vendu mes animaux en Cedi, quand j’ai reconverti ma recette en franc CFA, j’ai constaté que le cours était de 10 250. A combien s’élève ma perte, selon vous ?». Il souhaite que le maire de Djelwongo oblige les acheteurs ghanéens à convertir leur monnaie en CFA à la frontière avant de faire les achats au marché. « Ainsi, si tu achètes un animal à 15 000FCFA et le revend à 15 250 FCFA, tu sais à combien s’élève ton bénéfice. Aidez-nous dans ce sens », supplie Oiena.

De nombreux autres acteurs contribuent à l’animation du commerce de bétail en fonction des opportunités. Tiemtoré Souleymane, la quarantaine révolue dont plus de 10 ans au marché à bétail, ne se rend plus dans les marchés locaux pour amener les animaux à Ouagadougou « Je me rendais aux marchés de Kaya, Barsalogho, Korsimoro (Sanmatenga) et de Mogtédo (Ganzourgou) ». Il justifie cela par le fait qu’il n’y a plus de clientèle. Bagagnan Ali, lui, se contente pour le moment de revendre les animaux, sauf à l’approche des grandes fêtes où il se rend dans des marchés comme ceux de Kaya et Djibo. Il dit être satisfait actuellement du marché car il arrive à réaliser de bonnes affaires. Bouda Mohamadi, 33 ans dont plus de 13 au marché à bétail de Ouagarinter, rend grâce également à Dieu car les affaires se portent à merveille. Il dit se rendre dans les petits marchés situés dans un rayon de 100 km de Ouagadougou pour y acheter ses animaux. Il s’agit par exemple des marchés de Korsimoro, Mogtédo et Yilou (Bam). El hadj Congo Abdoul Salam, 50 ans, plus de 30 dans l’achat et la vente de bétail, vient d’arriver avec des animaux dont deux bœufs acquis à 200 mille FCFA. Il compte les revendre « avec un petit bénéfice » car « le marché n’est pas bon », dit-il le sourire en coin.

 L’aliment pour bétail, un autre marché

En tout état de cause le marché à bétail de Ouagarinter est ouvert sept jours sur sept tout au long de l’année. De nombreuses activités indirectes liées à ce marché permettent à des chefs de famille de trouver leur compte. Par ici, ce sont des vendeuses de son de maïs et de haricot, de tourteaux de graines de coton et un vendeur de fourrages qui s’activent pour servir leur client. C’est ainsi que dames Gandèma Marcelline (3 enfants) et Nikièma Téwendé (2 enfants) ont à leur charge plus d’une douzaine de personnes grâce au commerce des aliments pour bétail. Par là, ce sont des gérants de parking qui veillent sur les dizaines d’engins à deux roues des différents acteurs du marché et sur les quelques véhicules des clients venus s’approvisionner en bétail. De jeunes filles pour l’essentiel, des glacières en équilibre sur la tête ou posées à même le sol, proposent de l’eau glacée ou des jus et boissons locaux. Le vieux Ablassé Ilboudo, 70 ans révolus dont plus de 40 au marché à bétail, lui, ne vend plus que des cordes. Des cordes qui permettent à Oumar Zangré, 17 ans, et aux autres jeunes gens de sa génération d’attacher les animaux qu’ils lavent avant d’être exposés à la vente. Des gargotes permettent de s’alimenter sans avoir à abandonner son poste de travail. Bref, tous ces petits métiers font du marché à bétail de Ouagarinter un infrastructure marchande autonome.

En somme, au marché à bétail de Ouagarinter, même si les fortunes sont diverses, des affaires, on en fait tous les jours. C’est dire que ce marché, quoique de type informel et insalubre, joue un rôle important dans l’approvisionnement de la ville de Ouagadougou en bétail et viande. Il est temps que les autorités municipales prennent à bras-le-corps sa gestion par la réalisation d’une infrastructure digne de ce nom. Des taxes pourront alors y être perçues au profit du budget communal.

Alassane NEYA