Filière oignon : des greniers de conservation pour pallier la mévente

Au Burkina Faso, en général au cours des mois de mars et d’avril, les marchés sont inondés d’oignons si bien qu’ils sont vendus à vil prix. En effet, à cette période de l’année, les producteurs bradent le sac de 50 kg à 5 000 FCFA et celui de 120 kg 15 000 FCFA. Alors qu’au bout de 3 à 4 mois de conservation ils gagneraient aux moins le triple de ce prix. D’où des initiatives de conception de greniers de conservation, parmi lesquels on peut citer le Tilgr Baoré, le Ruudu ou la Voûte nubienne.

La production d’oignon est en pleine croissance au Burkina Faso depuis quelques années. Une situation qui a permis à la filière de se hisser en tête des cultures maraîchères. Les principales zones de production sont la Boucle du Mouhoun, le Centre-Ouest, le Nord, le Centre-Nord. Selon le recensement général de l’Agriculture (2006-2010), la culture d’oignon constitue 32,4% de la production maraichère et mobilise plus de 160 000 producteurs dont 28% de femmes. Le pays se classe au 4e rang en Afrique de l’Ouest avec plus de 240 000 tonnes d’oignon produites annuellement. Les paysans conservaient les oignons de façon traditionnelle, en vrac à l’abri sous des feuillages ou dans des greniers surélevés, apprend-on.

C’est «la méthode vrac» qui permet de conserver des oignons, mais pas d’assurer de bonnes conditions de stockage pour une durée suffisamment longue. Les pertes demeuraient élevées, (20 à 30 faute de pouvoir évacuer l’humidité. D’où la prolifération de moisissures et d’insectes. Avec l’augmentation de la production, les maraichers sont confrontés au problème de mévente de leurs produits. Une des solutions viendrait de la recherche des moyens de conservation. Comment stocker plus longtemps l’oignon et le vendre au moment où la demande est forte ? A la recherche de cette solution, ils ont expérimenté plusieurs techniques.

Une découverte qui révolutionne la filière

Le grenier «Tilgr Baoré», signifie en langue nationale mooré «le grenier libérateur». L’inventeur de ce type de grenier est Lassané Ouédraogo dit «Petit», président de l’Association Tickwendé des Producteurs d’oignon du Yatenga (ATPOY) dans la région du Nord). Cette association compte 1772 adhérents dont 1264 femmes, soit 85% des membres. La trouvaille de «Petit» est un outil de stockage et de conservation de produits maraîchers frais. L’oignon peut y être conservé pendant 10 mois avec un taux de perte de 1 à 2%, selon l’intéressé. Celui-ci explique sa source d’inspiration à partir d’un souci stockage sur une longue durée de l’oignon afin de le vendre au moment où la demande dépasse l’offre. La cinquantaine bien sonnée, l’innovateur du grenier Tilgr baoré, ajoute : «La maraicher-culture est une passion pour moi. Je l’ai commencé depuis ma classe de 6e chez mon tuteur. On était nombreux.

Pour l’aider à supporter les charges il nous a demandé de l’appuyer dans l’entretien de sa maraicher-culture. J’ai aimé. Et depuis lors je n’ai plus abandonné cette activité». Après avoir fait d’elle son principal job, il dit avoir rencontré d’énormes difficultés notamment dans la conservation. Mais il ne s’avoue pas vaincu. Après 9 années de recherche il trouve la case «Tilgr baoré». Avec la baraka de la Coopération suisse, celle-ci est réalisée. Le Chargé de programme développement économique local au bureau de la Coopération suisse à Ouagadougou, Salifou Saré, explique. «Il a reçu le soutien de la coopération à travers le Programme d’appui à la modernisation des exploitations agropastorales familiales (PAMEFA) qui depuis 2007 accompagne la production maraîchère dans les régions du Nord et du Centre-Ouest. L’Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche et des innovations (ANVAR) a aidé à travailler cette case».

A entendre M. Saré, l’objectif poursuivi était de soutenir l’innovateur pour que le grenier soit utile et accessible d’une part, et d’autre part, d’organiser les groupements en les dotant de ce grenier. D’une capacité minimale de 10 tonnes, il est conçu à partir de matériaux locaux (fer et paille) et permet aux maraîchers de vendre leurs oignons au moment où les prix sont les plus rémunérateurs. Les consommateurs disposent en toute saison d’oignons de qualité et en quantité. Selon M. Ouédraogo, il y a 9 modèles dont la capacité varie de 10 à 50 tonnes.

Il a indiqué que «Le prix de la confection des 10 tonnes varie de 1 750 000 FCFA à 2 millions dans la zone de Ouagadougou. Il varie entre 1 million cinq cents et 1 million sept cents dans la région du Nord». Cette innovation est soutenue par le Forum national de la recherche scientifique et des innovations technologiques (FRSIT). Celui-ci l’a inscrite sur la liste nationale des innovations. M. Lassané Ouédraogo a confié que Tilgr Baoré bénéficie de la protection de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI). Aujourd’hui, le grenier Tilgr Baoré connait un franc succès auprès des producteurs et commerçants d’oignon au regard des fortes commandes et du nombre de greniers déjà réalisés au niveau national et hors du pays. «Actuellement nous avons des commandes venant du Burkina Faso, du Mali, de la Gambie, du Sénégal.

Au total 215 cases sont à réaliser», a-t-il ajouté. Il a par ailleurs affirmé que son association a cultivé 123 hectares d’oignons et que seulement 10% seront vendues aussitôt. Tout le reste sera conservé. L’avenir est prometteur pour «Petit». «Le gouvernement israélien nous a promis que si on lui propose un produit de bonne qualité, il sera mis à notre disposition un avion par mois pour ravitailler un marché à New-York», a révélé Lassané Ouédraogo. Un autre type de moyen de conservation est le «ruudu». C’est un silo en paille dont la capacité de stockage est de 3 tonnes maximum. Sans oublier les voûtes nubiennes qui sont des maisons en banco aérées. Leur capacité de stockage peut atteindre 10 tonnes.

Pour éviter aux producteurs d’assister impuissants au pourrissement de leurs produits, des structures comme le Programme d’appui aux filières agro-Sylvo-pastorales (PAFASP), l’ONG Solidar Suisse au Burkina Faso, ont apporté des soutiens technique et financier dans la construction de ces infrastructures de conservation. L’ONG Solidar Suisse au Burkina Faso, par exemple a soutenu en 2018, l’association manegdbzanga (femmes) et l’association wendbenedo (hommes) du village de Ladwenda, commune de Ziniaré (région du Plateau central), à disposer d’un magasin commun de conservation d’oignon. Ce moyen de conservation a une capacité de stockage de 10 tonnes.

La conservation est tributaire de la qualité des oignons

La conservation dépend en partie de la qualité des oignons. Pour obtenir des produits de bonne qualité, un certain nombre de conditions sont à remplir au stade de la production, selon les spécialistes. A entendre Dr Koussao Somé, sélectionneur de plantes à racines et tubercules à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA), la variété phare est le violet de galmi cultivé dans toute la bande sahélo-sahélienne.

Il y a plusieurs variétés qui en dérivent dont le violet de Koudougou, de Kongoussi, de Garango… Selon lui pour en faire une bonne conservation, il faut un suivi des itinéraires techniques. Il faut savoir doser bien l’engrais, l’eau, etc. «La conservation doit permettre une ventilation naturelle, une température ou une humidité pas trop élevées», conseille-t-il. Adama Tapsoba, producteur à Pendogo, lui, pense que l’utilisation de graines sélectionnées garantira l’obtention d’oignons de qualité. Il a cité comme éléments déterminants pour un produit final de qualité la date des semis afin d’éviter les effets de la saison des pluies, l’utilisation de techniques visant à protéger les plantules des dernières pluies de l’hivernage, l’utilisation d’engrais, la fréquence et la durée des arrosages, la densité des repiquages… A en croire les paysans, un petit oignon se conserve toujours mieux qu’un plus gros, qui lui est chargé en eau. La plupart d’entre eux pensent que l’oignon cultivé sur un sol sableux subit moins de blessures.

Quant à Alidou Ouédraogo, il a insisté sur moins de manipulation au moment de la récolte et du stockage afin de maintenir les tuniques sèches pour une bonne conservation. En plus de toutes ces garanties, il faut prendre en compte la méthode de fabrication et d’entretien des greniers.

Habibata WARA