Transport de viande à Ouagadougou : un attentat à l’hygiène alimentaire

Dans la capitale burkinabè, le transport de carcasses de viande sur des motocyclettes et sans protection est devenu monnaie courante. Ces pratiques qui foulent aux pieds les règles élémentaires d’hygiène mettent, cependant, en danger la vie du consommateur, et ce, en dépit de l’existence d’un abattoir frigorifique et des efforts de la police municipale.

La viande est un aliment très prisé par les Burkinabè, et les Ouagalais en particulier. Malheureusement, les conditions d’hygiène et de transport (mobylettes, tricycles, voitures non frigorifiées, etc.) qui précèdent sa commercialisation sont parfois répugnantes. Boucher au marché de Arb-yaar, Saïdou Sawadogo, avoue, sourire aux lèvres, qu’il trimballe quotidiennement sa viande sur sa mobylette. En cette matinée du samedi 16 mars 2019, il enfourche sa moto, pour rejoindre son lieu de travail, les jambes posées sur la viande pour la maintenir en équilibre. Les bras solidement accrochés au guidon, il slalome entre les voitures et les motocyclettes. Instinctivement, il se soucie plus de sa sécurité que l’hygiène de sa marchandise.

«Regardez, mes pieds n’atteignent plus les freins, je sais que je suis exposé aux accidents de la route. Mais je n’ai pas le choix, si je veux assurer ma pitance quotidienne», explique-t-il. En direction du centre-ville, aux environs du quartier Larlé, un autre transporteur de viande s’attire le courroux des usagers de la route. Après moult acrobaties, il parvient à immobiliser de justesse sa moto au niveau des feux tricolores. La viande fourrée entre la selle et le guidon, il se faufile entre les véhicules, réussit à se frayer un passage et disparaît dans la circulation. «Ils sont à l’origine de nombreux accidents de la route et sont régulièrement traqués par les policiers», affirme Halidou Kaboré, boucher de son état. Le transport de la viande à l’aide de moyens inadaptés n’est pas observable uniquement dans les abattoirs de fortune. Le phénomène est également perceptible à l’abattoir frigorifique de Ouagadougou où la viande est manipulée sans aucune mesure appropriée.

Les aides-bouchers (agents chargés de ramasser la viande dans les chambres froides pour les placer sur les crochets et tables du boucher) et les mandataires (les agents chargés de décrocher les carcasses pour les charger dans les véhicules) portent allègrement la viande qui sur la tête, qui sur le dos ou les épaules. «La viande doit être transportée dans des chariots ou des paniers pour sortir de la chambre froide et non sur la tête ou le dos», rappelle Mamoudou Ouédraogo, le directeur de la société de gestion de l’abattoir frigorifique de Ouagadougou (SOGEAO). Selon les textes qui régissent la profession de boucher, les aides-bouchers doivent, par exemple, porter une blouse et un chapeau rose et des bottes. En outre, ces vêtements doivent être régulièrement désinfectés.

Les mandataires sont soumis aux mêmes règles, mais doivent porter une blouse et un chapeau bleus et des bottes. L’application des textes en vigueur connait cependant des difficultés. La manipulation et le transport de la viande à Ouagadougou ne suivent aucune règle. Pire, ces mauvais comportements ont lieu au nez et à la barbe des responsables de l’abattoir et des autorités municipales. «Heureusement que c’est un aliment qui se consomme après cuisson», indique Dramane Traoré, président de la Ligue des consommateurs du Burkina (LCB).

Un outil de production vétuste

Le patron de l’abattoir frigorifique de Ouagadougou, Mamoudou Ouédraogo le reconnait en ces termes: «Dans un abattoir qui se respecte, la viande ne doit pas être transportée sur la tête ou sur les épaules parce qu’il y a des équipements qui sont prévus pour cela. Malheureusement, ces textes indiquant le comportement à adopter ne sont pas respectés». A ce jour, l’abattoir ne dispose que de deux vieux véhicules commis à cette tâche dont l’un est en panne. «L’autre camion fait des livraisons sur commande, exclusivement pour les grandes boucheries et les alimentations», fait remarquer M. Kaboré. De même, les chariots et les paniers qui servent au transport de la viande à l’intérieur sont en nombre insuffisant et de mauvaise qualité, déplore M. Ouédraogo. Sur ces entrefaites, un véhicule communément appelé « Peugeot bâchée » fait son entrée au sein de l’abattoir et se gare au milieu des tables garnies de carcasses. Après avoir fait le plein de viande, le conducteur démarre en trombe et se dirige vers la sortie. «Nous ne sommes pas satisfaits de la façon dont la viande est traitée à Ouaga.

Mais que pouvons-nous y faire?», s’interroge, impuissant, Mamoudou Ouédraogo. L’abattoir a été réhabilité en 2004 à près de 3 milliards FCFA pour répondre aux exigences hygiénique et sanitaire de la production de viande. 15 ans après, l’outil de production reste vétuste et tourne au ralenti. L’objectif affiché au départ est loin d’être atteint. C’est du moins le sentiment du directeur général de la SOGEAO: «On ne peut pas avoir de la viande produite dans les conditions hygiéniques et techniques requises». Ces pratiques, admettent nos interlocuteurs, nuisent à la santé du consommateur. Les uns et les autres se rejettent cependant la balle. Chez les bouchers, les arguments pour se justifier ne manquent pas. «Nous n’avons pas de camions réfrigérés à notre disposition. C’est pourquoi, nous sommes obligés de transporter la viande avec nos motocyclettes», se défend le porte-parole des bouchers de l’abattoir frigorifique, Halidou Kaboré. M. Ouédraogo estime, pour sa part, que les autorités doivent davantage sévir. Il soutient qu’il ne lui appartient pas de donner un coup de pied dans la fourmilière.

«Ce n’est pas de notre rôle de lutter contre cette pratique», prévient-il. C’est aux autorités municipales, clame-t-il, de prendre leurs responsabilités. «Cette mission revient à la commune de Ouagadougou qui doit, à travers la police municipale, assurer la discipline dans le transport de la viande», affirme-t-il. Le chef de service communication et relations publiques de la police municipale de Ouagadougou, Adama Pamtaaba exhorte, quant à lui, les acteurs du domaine à adopter de bonnes attitudes. «La responsabilité de toute personne qui commercialise une denrée alimentaire est suffisamment engagée. Car elle détient la vie de plusieurs citoyens», relève-t-il.

Créer des abattoirs secondaires

M. Pamtaba assure que le problème a été pris à bras-le-corps par les autorités burkinabè à travers l’adoption, depuis 2010, de l’arrêté conjoint (n° 2010-101 MCPEA/MRA/MATD/SECU/ MEF) des ministres en charge du Commerce, des Ressources animales, de l‘Administration territoriale, de la Sécurité et de l’Economie. Toutefois, la police municipale, soutient-il, à travers la Brigade de lutte contre les abattages clandestins, traque sans relâche, les transporteurs de viande qui violent les textes en la matière. A ses dires, un boucher pris en flagrant délit de transport de viande non couverte, peut se voir retirer sa marchandise pour contrôle.

«Si elle est saine, elle est offerte en don. Dans le cas contraire, elle est incinérée», dévoile-t-il. A l’entendre, tout le problème se situe au niveau des abattoirs satellites qui ne disposent pas de camions réfrigérés. Il demande, pour ce faire, aux bouchers une protection plus accrue de la viande lors de son transport. «Elle doit être mise à l’abri de tout ce qui peut porter atteinte à sa qualité», conseille-t-il. Pour le porte-parole des bouchers, les premiers responsables de l’abattoir défendent tout sauf les intérêts de ses pairs. «Le directeur général de la SOGEAO ne fait pas de plaidoyer concernant le transport de la viande, il plaide pour le matériel et l’équipement», souligne-t-il, du haut de ses quarante années d’expérience.

Qu’à cela ne tienne, la police et la SOGEAO prônent la sensibilisation des acteurs de la filière viande autour des thématiques qui ont trait à l’hygiène alimentaire et à la salubrité. A l’abattoir frigorifique, des actions allant dans ce sens sont déjà en cours, foi de Mamoudou Ouédraogo. Ceux qui s’illustrent positivement, mentionne-t-il, seront primés. «On va récompenser les meilleurs abattants par des tenues recommandées par l’arrêté relatif à la profession de boucher», atteste-t-il. En maniant la carotte et le bâton, la police municipale s’inscrit aussi dans cette logique. Mais, elle plaide également pour une relecture des textes. «L’arrêté conjoint de 2010 doit être remis sur la table.

Et il y a nécessité de développer des abattoirs frigorifiques secondaires», souhaite l’assistant de Police Adama Pamtaaba. Mamoudou Ouédraogo, de son côté, n’épouse pas l’idée de création d’abattoirs secondaires. Sa conviction est que l’abattoir est un établissement spécifique dont l’implantation doit obéir à des conditions rigoureuses. «Les abattoirs ne peuvent pas être multipliés comme des boutiques de cartons ou de bonbons. Parce que les conditions d’exploitation sont extrêmement difficiles», clame le DG de la SOGEAO. Le président de la LCB, Dramane Traoré, encourage les bouchers à offrir des services de qualité à leurs clients. C’est à ce prix, martèle-t-il, qu’ils pourront faire prospérer leurs affaires.

Ouamtinga Michel ILBOUDO