Conflit foncier dans le Ioba: deux villages s’affrontent pour un poulailler

Situés dans la commune de Dissin, province du Ioba, les villages de Tolepèr et une partie du village de Mou ne se rendent plus visite. Ils se sont affrontés à l’aide d’armes à feu à la suite d’un désaccord autour d’un lopin de terre. Au bilan, des blessés, un procès et une interdiction préfectorale d’exploiter la zone querellée jusqu’à nouvel ordre.

Les habitants de Tolepèr, village situé à 20 km au Sud-ouest de la commune de Dissin et ceux de Gbassamou, un quartier du village de Mou, dans la même commune, se sont livrés à une bataille rangée au début de la dernière décade de mai 2020. Sanlébié Kpoda, un habitant de Gbassamou et grilleur de viande à Dissin, est courroucé de voir Léopold Somé, garagiste installé à Ouagadougou, bâtir un local dans son champ, sans son autorisation. Entamé en décembre 2019, le conflit a atteint son point culminant par des affrontements à coups de poings, de gourdins et de fusils. Au bilan, 7 blessés du côté de Tolepèr et 5 du côté de Gbassamou. Les échauffourées ont eu lieu du 20 au 22 mai 2020, lorsque sur la zone querellée, les habitants de Tolepèr ont opéré une coupe de bois, en majorité du néré et du karité, destinée à un camp d’initiation. Pour Gbassamou, il s’agit d’une provocation de trop. «Ils se sont tirés dessus avec des fusils à plomb. On a aussi appris qu’ils ont commencé à se renforcer en armes à feu et en munitions », regrette le préfet de Dissin, Paul Simplice Nabi. Ces propos ont été confirmés par divers témoignages qui précisent que les villageois ont demandé de l’aide dans les environs et auprès de leurs parents installés en ville pour se procurer d’armes. Selon les habitants de Gbassamou, le 20 mai, non contents d’avoir agressé un des leurs, des villageois de Tolepèr sont venus les acculer dans leurs domiciles. Deux jours après, un individu non identifié a blessé un autre de Gbassamou à coup de fusil. « J’ai alerté le
préfet et les forces de sécurité mais ils ne sont pas venus cette nuit-là», se souvient Mwinbèdjè Somé. De l’autre côté de Tolepèr, on estime que c’est Gbassamou qui a blessé un de leurs parents, tempêtant à coups de flûtes pour les amener à la bataille. Les Tolepèlais accusent aussi leurs adversaires d’avoir coupé d’autres arbres et cassé des jarres dans un camp de Dozos et demandent réparation. L’adjoint au maire de Dissin, Francis N. Somda, résume la situation confuse qui y a régné. « On ne sait pas encore comment ça s’est produit, Tolepèr estime qu’il a été attaqué. Les Gbassamais estiment à leur tour que les gens de Tolepèr sont venus chez eux les agresser. On a essayé la conciliation en vain », déplore-t-il.

Le projet tourne court, les chefs de terre s’affrontent, la justice saisie

Selon Mwinbèdjè Somé, un témoin de l’affaire et habitant de Gbassamou, c’est en décembre 2019 que Sanlebié Kpoda et ses parents ont constaté la présence de briques confectionnées dans le champ qu’il exploite. Renseignements pris, c’est le chef de terre de Tolepèr qui a donné l’autorisation à Léopold Somé, un mécanicien d’autos résident à Ouagadougou, de réaliser une petite ferme. Le tengsob (chef de terre) de Tolepèr a reconnu les faits :
« on a expliqué à Sanlébié (Kpoda) venu se plaindre, qu’on ne prenait pas les terres qu’il exploite et qu’on avait juste besoin d’un petit endroit pour ériger un poulailler ». Non content de cette décision et après les vaines concertations, le chef de terre de Gbassamou a ordonné la destruction du poulailler en chantier. Sur le terrain querellé à notre passage le 16 juin 2020, on pouvait y voir des murets en briques de terre rouge démolis, au flanc d’une colline. Et tout autour, de nombreux arbres coupés, certains laissés sans houppier. Mais à qui appartient la terre disputée ? Pour le président du Conseil villageois de développement de Tolepèr, Domèkilè Somda, « la terre nous appartient. C’est un espace utilisé pour paître les animaux ». Kounatièr Somé, un élu municipal de Tolepèr, explique que ses ancêtres ont donné l’endroit à l’un de leurs neveux qui n’est autre qu’un ascendant de Sanlébié Kpoda. Le chef de terre adjoint (Tengsob-Touré) a confirmé la version de l’élu municipal. Selon lui, l’ancêtre du plaignant était un neveu qui venait les aider à cultiver. Il n’avait pas de terre et on lui a remis une partie d’une réserve utilisée pour le pâturage.
Mais pour Sanlebié Kpoda dit Daworè et ses parents de Gbassamou, personne ne se souvient que le champ disputé aujourd’hui appartenait à ceux de Tolepèr. Il a eu le soutien du chef de terre de son village. Celui-ci n’a pas hésité à mettre des feuilles d’ébénier d’Afrique aussi appelé gaa en dagara ou gaaka en mooré. Il s’agit d’un fétiche qui, tant qu’il est installé, interdit l’exploitation du champ et les visites entre les protagonistes. Le chef de terre de Tolepèr a enlevé le fétiche et a autorisé la poursuite des travaux, finalement suspendus après la destruction du chantier et l’interdiction préfectorale d’exploiter le terrain querellé. Sanlebié Kpoda, l’un des principaux protagonistes a été entendu par le tribunal de première instance de Diébougou le 10 juin 2020, pour incitation à la violence et destruction de bien immobilier. Arrêté le 23 mai, il a été condamné à 12 mois de sursis, 250 mille francs d’amendes et à payer 600 mille francs de dommages à Léopold Somé, l’initiateur du projet de poulailler.

Le problème initial demeure entier

La justice a donc tranché pour ce qui est de la destruction du bien immobilier et incitation à la violence. Toutefois, la question foncière de base n’est pas encore réglée. Interrogé sur ce qu’il pense de cette affaire, l’adjoint au chef de terre a répondu, « on pense très mal, c’est Tolepèr qui commande (Gbassamou), on leur a donné une école, une pompe. C’est Dehorè (surnom de M. Kpoda) qui cherche de problèmes. Il provoque des abeilles ». A l’en croire, Gbassamou doit s’excuser. « Dans nos traditions, il faut d’abord reconnaître ton tort ; on te dira ensuite la sanction réparatrice », dit-il. De leurs côtés, les habitants de Gbassamou pensent que la justice a condamné la principale victime. En outre, l’interdiction préfectorale les affecte directement. Sept d’entre eux ont des champs dans la zone interdite. En plus de cela, un de Gbassamou qui avait élu domicile dans les parages, ne peut même plus avoir accès à son grenier qui serait par ailleurs abîmé lors des affrontements et livré aux animaux. Les habitants de Gbassamou envisageaient aussi de saisir la justice pour les coups et blessures qu’ils ont subis. Joint au téléphone ce 23 juillet 2020, Mwinbedjè Somé a déclaré que le préfet n’a pas transmis leur plainte. La coupe abusive des arbres protégés pour des raisons coutumières n’a pas non plus trouvé de dénouement. L’affaire est loin d’être terminée et elle n’est pas la seule dans ce domaine. Le 14 juin dernier, un responsable du village de Tiéreteon, dans la commune de Zambo, a prévenu Namwinkoun Somda de Gbassamou qu’il interdisait, à lui et à ses parents, de faire paître leurs animaux dans des espaces de son ressort territorial et qu’il était déjà prêt à faire la bagarre. Au total, six conflits liés au foncier ont été déjà enregistré depuis le début de la saison dans la commune de Dissin. Le préfet qui a donné cette information a notamment cité un cas entre les villages de Nakar et de Bontioli et une autre situation à l’intérieur même du village Nakar où des semis ont été arrachés. « Si l’état ne travaille pas à assainir la gestion foncière, ça va créer beaucoup de dégâts », prévient le préfet de Dissin. Depuis les dernières réformes agraires et foncières, le foncier est devenu une bombe partout et pour tout le monde au Burkina Faso.

Aimé Mouor KAMBIRE
mouorkambire@yahoo.fr

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Gbassamou, une bourgade enclavée

Gbassamou est une petite localité administrativement rattachée au village de Mou mais coutumièrement indépendante. Il dispose en effet d’un chef de terre, Ivieli Somda, installé avec les bénédictions des gens de Done, qui comptent parmi les populations les plus anciennement établies de Dissin et de Zambo. Certaines concessions de Gbassamou votent au compte du village de Tolepèr, d’autres se rattachent au village de Kokoligou. Au moins une concession vote à Natietéon. Mais la majorité vote à Mou. De ce fait, la localité est un peu écartelée et parfois marginalisée d’autant plus que son accès est difficile.
A.M.K.

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L’impuissance des autorités locales

Les tensions ont débuté en décembre 2019. Sanlebié Kpoda, s’est vite confié aux autorités locales. A l’audience, il a expliqué avoir tenu informer le préfet de ce qu’il se passait. Pour la première fois, relève-t-il, « le préfet a dit qu’il allait voir. Je suis allé le rencontrer une semaine plus tard, il a encore dit de patienter ». C’est la coupe des nérés et karités qui a amené les agents des eaux et forêts, de l’agriculture sous la direction du préfet, à se rendre sur les lieux. Mwinbédjè Somé a déclaré avoir payé 15 mille francs pour ce déplacement des représentants de l’Etat. Paul Simplice Nabi, le préfet de Dissin reconnait avoir été informé du dossier par M. Kpoda autour du mois de janvier 2020, soit quatre mois avant l’éclatement de la crise. Malgré ses interventions pour le dialogue et la paix, «même les nuits, ils se menaçaient. J’ai estimé que si la justice accélérait, la situation allait se calmer », regrette le préfet. A Dissin, le comité de gestion des conflits, présidé par le préfet, ne fonctionne pas parce que les indemnités des sessions ne sont pas assurées. Depuis 2019, les préfets ne gèrent pas d’enveloppes budgétaires et n’ont aucun moyen pour agir face aux crises du genre, de l’avis du représentant de l’Etat. « Même pour mettre du carburant, souvent nous utilisons nos propres moyens », dévoile-t-il. De l’autre côté, les services fonciers communaux ne fonctionnent pas non plus et en plus, de l’avis du préfet, les conseillers ont souvent un parti pris dans les conflits. Ce qui fait que certains plaignants n’ont pas confiance à la mairie. Même les chefs de terre de Done et de Dissin-ville n’ont rien pu faire. Les rencontres entre chefs coutumiers se sont tous soldés par des échanges houleux, se souvient le chef de Mou. Les autorités locales, la préfecture, la mairie, les forces de défense et de sécurité (la police n’a pas voulu s’exprimer) ont limité les dégâts sans réussir à éviter les violences.

A.M.K.