Innovation alimentaire: l’excellentissime pain de l’orphelinat de Loumbila

En multipliant les initiatives pour prendre en charge les orphelins et enfants en détresse, le Centre d’accueil Sainte Thérèse de Loumbila (CAED), situé dans la région du Plateau central, a mis au point du pain très prisé, faisant intervenir des céréales locales et du sésame. Grâce à ce pain, le Centre achalande les nombreux usagers de la route Ouagadougou-Ziniaré. Reportage.

L’orphelinat de Loumbila, situé sur l’axe Ouaga-Ziniaré, ne désemplit pas. La raison est simple. Le pain au sésame attire de nombreux clients, les connaisseurs tout comme les curieux. Ce centre d’accueil pour orphelins et enfants en détresse propose aussi du pain à base de petit mil et de sorgho, une spécialité unique au Burkina Faso. En cette matinée du jeudi 2 juillet 2020, les clients arrivent au compte-goutte. Lazare Sawadogo, un habitué du coin, n’a pas hésité à se faire servir. Sur ces talons, d’autres sont arrivés. C’est le cas de Honoré Ouédraogo, un féru des produits du centre d’accueil. Aujourd’hui, il s’est procuré le pain au sésame et des gâteaux. Il explique que toute sa famille raffole de ce pain qu’il juge très original. Un autre client (qui préfère garder l’anonymat) après le cadeau de dégustation ou «lenga du gouter-voir», est allé se procurer le maximum de pains pour sa famille. « Chaque fois que je suis de passage sur cette voie, je n’hésite pas à faire un tour à l’orphelinat pour acheter le pain au sésame et les gâteaux », affirme-t-il. D’après lui, ce pain se distingue des autres par son originalité.
« C’est tendre et très nourrissant », fait-il remarquer.

Des pains costauds

Cet amateur de pain au sésame estime que le Burkina Faso peut désormais diminuer ses importations de farine de blé. « Je pense que ce serait bon que ce genre d’initiative soit multiplié pour qu’on puisse au moins réduire l’importation de la farine de blé », conseille-t-il. Rares sont les usagers de la route Ouaga-Ziniaré qui ne font pas une escale à l’orphelinat. Plus robuste que le pain habituel et appétissant selon les habitués, le pain au sésame est fabriqué à l’aide d’un mélange de farine de blé, de grains de sésame, de beurre de karité, de sel et bien d’autres ingrédients. Pour la sœur Angèle Nassa, responsable de la boulangerie, c’est un produit de belle facture qui est bien apprécié des consommateurs. « Notre pain est costaud par rapport au pain ordinaire. Les gens disent qu’en le consommant, ça calme leur faim », se vante-t-elle. On peut prendre le repas du midi avec, confie-t-elle, tout en mentionnant que c’est une spécialité qu’on ne trouve nulle part ailleurs. « C’est nous qui avons pris l’initiative de faire du pain à base de céréales locales. Les gens apprécient, c’est un pain complet», se félicite la sœur. Beaucoup d’amateurs en sont persuadés, ce sont les meilleurs pains. Notre client anonyme souhaite qu’ils soient consommés partout au Burkina Faso. « Je suggère qu’on vulgarise ce pain dans les grands centres de consommation comme les écoles, les prisons et les centres de santé afin que les gens sachent qu’en dehors du pain ordinaire, il y a du pain fait à base de céréales locales », recommande-t-il.

Le coronavirus a fait baisser la production

Maladie à coronavirus oblige, la production a connu une baisse considérable ces derniers mois. Avec une capacité de production de 700 baguettes par jour, voire plus pendant les jours fériés et les week-ends, on se retrouve parfois avec 600 pains par jour. Les responsables de l’orphelinat affirment qu’ils subissent de plein fouet l’impact négatif de la maladie à coronavirus sur leur activité. « Comme il y a eu la maladie, la production a beaucoup baissé », avoue la sœur Nassa. Les différents types de pains sont vendus au consommateur à 275 FCFA l’unité. Certains diront qu’il n’est pas à la portée de toutes les bourses, mais la responsable de la boulangerie s’en défend. « Ce n’est pas pour les personnes aisées, on a fixé le prix de la miche en fonction du coût de revient », se justifie-t-elle. De façon explicite, elle affirme que le prix est relativement élevé à cause du coût exorbitant des matières premières. « Le sésame est cher, la levure et la farine aussi ; bref, la matière première est coûteuse. C’est pour cela nous aussi on a augmenté un peu », informe Angèle Nassa. Avant, relate-t-elle, on vendait la miche à 250 FCFA. Mais il y a un an de cela, le prix a connu une légère hausse de 25FCFA.
« Quand on fixait le prix, on n’avait pas pris en compte le prix de l’emballage (sachet). Actuellement, les sachets coûtent très cher. On avait proposé que les clients apportent leurs sachets pour prendre le pain, mais ils ont refusé sous prétexte qu’on ne peut pas vendre du pain sans emballage », détaille la sœur Angèle Nassa. Elle indique qu’il y a une partie des clients qui proposent qu’on augmente le prix de la baguette à 300F à cause des problèmes de monnaie. Mais visiblement, elle semble ne pas s’inscrire dans cette logique.
« C’est vrai que nous avons des soucis à ce niveau, mais une nouvelle augmentation n’est pas à l’ordre du jour », tranche-t-elle.

Une origine italienne

Des explications de la sœur Nassa, il ressort que le pain au sésame a été initié pour contribuer à la prise en charge alimentaire et sanitaire des enfants en difficulté du Centre, une cinquantaine à l’heure actuelle. « Ce n’est pas tout le temps qu’on a les bienfaiteurs (donateurs), donc c’est la boulangerie et la pizzeria qui nous aident à financer la prise en charge des orphelins », souligne la sœur Nassa. Qu’est-ce qui fait la spécificité de vos pains? A cette question, la sœur Nassa reste réservée. Pour ce qui est de la recette, elle fait mine de se garder de vendre la mèche. « C’est notre spécialité et on n’est pas prête à divulguer le secret de fabrication à quelqu’un d’autre », persiste et signe la responsable de la boulangerie de l’orphelinat de Loumbila. Elle renvoie néanmoins les uns et les autres vers la toile. «La recette se trouve sur internet, il faut simplement l’améliorer, c’est tout », coupe-t-elle tout court. En fait, elle finit par préciser que le pain au sésame est une recette d’origine italienne. Chez les Italiens, dit-elle, il est fabriqué avec l’huile d’olive. C’est parce que cette huile coûte cher au Burkina Faso, rappelle la sœur Nassa, qu’on a préféré utiliser le beurre de karité. En somme, ces initiatives, quoique isolées, contribuent grandement à la valorisation des produits locaux.

Qui veut du bon pain se rend à Loumbila

Mais aller jusqu’à l’orphelinat de Loumbila, soit parcourir une dizaine de kilomètres à partir de la capitale burkinabè, n’est pas aisé pour tout le monde. « Ce n’est pas évident que quelqu’un quitte le centre-ville pour venir chercher le pain à Loumbila », lance Honoré Ouédraogo, l’un des clients. Un autre, visiblement agacé, renchérit : « S’il faut quitter Ouaga et venir jusqu’à Loumbila pour acheter ce pain, c’est qu’il y a un problème ». La politique commerciale mise en place par les responsables de l’orphelinat ne semble pas répondre aux exigences de la clientèle. Conscients de cela, ils ont tenté une amère expérience d’ouvrir un dépôt au restaurant l’Eau vive, située en face du grand marché de Ouagadougou. Angèle Nassa qui suit les choses de près, raconte leur mésaventure. « Comme le restaurant est un peu caché, on n’avait pas de clients », dévoile-t-elle. Contre toute attente, ce dépôt fut fermé sans autre forme de procès. En attendant de trouver une solution à cette équation, les pains sont livrés au restaurant l’Eau vive sur commande. « Ce sont ceux qui viennent chez nous qui savent que nous livrons nos produits à l’Eau vive sur commande », soutient la sœur Angèle. En tous les cas, les responsables de l’orphelinat ne sont pas restés les bras croisés. Nourrissant l’espoir de faire de bonnes affaires dans la vente de ces pains, ils sont en train d’explorer plusieurs pistes. « On a entrepris des démarches pour obtenir un point de vente au grand marché de Ouagadougou, mais les choses sont à la traine », relève Angèle Nassa. A l’écouter, les consommateurs exigent qu’on déploie des dépôts au niveau des grands carrefours. Ce qui permettrait d’avoir plus de visibilité certes, mais aussi de se rapprocher davantage des consommateurs. « On espère très prochainement trouver un endroit adapté pour déposer nos produits », souhaite la sœur. Quant à Honoré Ouédraogo, il épouse l’idée de création de plusieurs points de vente à Ouagadougou. « Il faut qu’ils y aient des points de vente un peu partout à travers la ville de Ouagadougou, ce qui pourrait augmenter leurs productions et leur chiffre d’affaires pour le grand bonheur des pensionnaires », suggère-t-il.

Des concurrents à Ouaga et à Fada

En attendant et comme il fallait s’y attendre, des boulangers ouagalais se sont mis dans la danse. Dès lors, le pain au sésame ne sera plus la chasse gardée de l’orphelinat de Loumbila. A la boulangerie de Kossodo, de Paul 6 et du carrefour de la jeunesse à Tampouy sur la RN2, on le retrouve dans les rayons. Contre vents et marée, ils sont parvenus à fabriquer le pain au sésame, mais, à en juger par la qualité, il y a encore du chemin à faire. La conviction de la sœur Angèle Nassa est que chacun a ses spécialités. A en croire certains clients, Loumbila reste, pour le moment, la référence en la matière. Abdoul Sawadogo, un client, a fait son choix. «Ils (les concurrents) ne peuvent pas avoir la même qualité, à Loumbila, c’est l’original», assure-t-il. La sœur Nassa ne craint pas la concurrence. Seulement, elle préfère laisser le soin aux clients d’apprécier. Elle indique que le même pain est produit à Fada N’Gourma, dans la région de l’Est du Burkina Faso, par des promoteurs formés aux mêmes techniques, ce qui n’empêche pas pour autant les habitants de cette localité, une fois à Ouagadougou, de venir se ravitailler en pains à Loumbila.

La relève et le défi du financement

Comment pérenniser cette activité si d’autres personnes ne sont pas formées dans le domaine pour assurer la relève ? A cette préoccupation, la sœur Angèle Nassa se veut rassurant : « On a des employés qui sont avec nous et qui apprennent en même temps à produire les pains. En plus de cela, on a aussi nos enfants (NDLR : les pensionnaires) qui, en grandissant, apprennent ». Toutefois, elle prétexte que l’espace de la boulangerie est trop restreint pour recevoir des stagiaires. La sœur évoque en outre quelques difficultés qui entravent la bonne marche de leur activité. « La qualité de la farine n’est pas toujours assurée », déplore-t-elle. Elle n’occulte pas non plus le coût élevé de l’électricité qui contribue à «gonfler» le coût de revient des produits. A ce niveau, une alternative semble être trouvée, naturellement avec les énergies renouvelables, quitte à chercher les financements pour réaliser ce projet. « On cherche des financements pour installer des plaques solaires », martèle-t-elle. En termes de perspectives, l’orphelinat envisage de produire du pain à base de farine de maïs. A priori, ce ne sont pas les projets qui manquent, mais les fonds pour les concrétiser qui posent problème.

Ouamtinga Michel ILBOUDO
Omichel20@gmail.com