Commercialisation de fruits à Ouaga: le transport fait flamber le prix des mangues

La commercialisation de la mangue occupe une place importante dans l’économie nationale. Elle est une source de diversification de revenus, surtout pour les femmes. La mangue est devenue de nos jours une denrée rare alors que sa production est estimée à plus de 50% de la production fruitière nationale. Particulièrement cette année, son prix a grimpé. Un tour sur les lieux de vente permet de comprendre.

Agée d’une trentaine d’années, et installée sur la nationale 2, à Bissighin, Germaine Kaboré a fait de la vente des fruits une source de revenus additionnels, depuis plus de huit ans. Sur son étale sont exposés plusieurs fruits dont des mangues. Des variétés proposées, il y a « Timi timi », «crouba-crouba», «Mademoiselle», etc. Le tas de quatre mangues coûte 1 000 F CFA. Sur une petite table, un lot est exposé dans lequel l’unité coûte 150 F CFA voire plus. Pour engranger le maximum de bénéfices, elle se sent obligée de débuter ses activités aux environs de 8 h pour rentrer vers minuit. « Aujourd’hui, je viens d’étaler trois cartons de mangue. Si j’arrive à tout vendre le même jour, je gagne des bénéfices. Dans le cas contraire, je perds car la mangue est un produit qui se gâte vite », affirme-t-elle. Dame Germaine Kaboré est consciente de la cherté de ses fruits, mais affirme n’avoir pas le choix. « C’est vrai qu’on nous reproche de vendre cher. Mais ce n’est pas notre faute car le carton de mangue coûte cher. Par exemple, il faut débourser plus de 15 000 F CFA », fait-elle savoir. Le carton de la variété « crouba-crouba » par exemple coûte 17 500 F CFA. A l’entendre, cette année, le, prix a largement grimpé comparé aux années passées où le carton pouvait se négocier au maximum à 8 000 F CFA. Selon Mme Kaboré, les grossistes auprès desquels elle s’approvisionne, avancent comme raison le transport des mangues jusqu’à Ouagadougou qui leur revient également cher. Et de préciser : « Dans un carton, tu peux avoir la malchance de tomber sur des mangues déjà pourries. Ou si tu n’arrives pas à écouler rapidement, tu risques d’avoir certaines qui vont pourrir ». Salif Nikiéma, un client venu s’acheter une mangue de 200 F CFA, avance que pour que les prix des mangues soient abordables, il faut une mutualisation d’efforts de la part des autorités, des producteurs et des transporteurs. Il dit aussi comprendre les vendeuses. Par contre un autre client ayant appris les différents prix s’en alla bredouille.

Le transport pointé du doigt

Un tour au marché de fruits et légumes dénommé « Kilmandjaro », situé à l’Est de l’église Jean XXIII nous en dit long. Ici, la vente des mangues semble être la chasse gardée des femmes. La première dame rencontrée se nomme Awa Sanon. Elle ne manque pas d’arguments pour justifier la cherté des mangues. « Nous achetons les mangues depuis Orodara, Samogogniri, Djéri à plusieurs kilomètres d’ici. Le transport seul peut être estimé à 450 000 F CFA. Alors qu’il faut payer les cartons, les cordes, le papier », argumente-t-elle.
Pour la secrétaire générale de l’Association des vendeuses de fruits et légumes du marché « Kilmandjaro », Kadiatou Kafando, la cherté des mangues à Ouagadougou est la conséquence des dépenses accumulées pour leur transport. « Le transport d’un carton plein à Ouaga coûte entre 1 500 et 1 750 F CFA. Sans oublier le papier, la corde, le carton vide, les ouvrier, etc. Bref, à toutes les étapes, il faut débourser », dit-elle. Toutes dépenses confondues, le prix du carton transporté revient à 10 500 pour être revendu à 11 500 ou 12 000 F CFA. Tout dépend de la qualité du fruit. La présidente de l’Association des vendeuses de fruits et légumes du marché « Kilimandjaro », Adja Sawadogo, s’insurge. « J’ai 20 ans de vie consacrée à cette activité. Le prix des mangues n’a jamais autant grimpé que cette année. Cela est dû au coût du transport très élevé. Par exemple pour un chargement d’un camion de 10 tonnes qui peut prendre 1 500 cartons, nous pouvons dépenser 250 000 F CFA uniquement pour les cartons, les cordes et les papiers », explique-t-elle. Sans oublier deux corsaires à payer à plus de 100 000 F CFA. Ce sont eux qui connaissent les producteurs de mangues avec qui, ils négocient les prix. En plus, il y a les cueilleurs (payés de 1 500 à 2 500 F CFA par jour), les ramasseurs (1 000 F CFA), les chargeurs sans oublier leur restauration. Quant au transport des mangues de Orodara à Ouagadougou (plus de 400 kms), elle dit débourser 1 750 F CFA par carton. Une fois le produit déchargé, il faut faire appel au trieur. Salif Sawadogo, spécialiste en la matière, explique : « Mon rôle est d’assurer un bon reconditionnement en faisant le tri, le reclassement dans un autre carton en bouchant les trous avec du papier. J’introduis aussi un produit (le carbure) pour mûrir avant d’attacher avec une corde ». Ce service rendu est évalué à 150 F CFA par carton. Djénèbou Coulibaly, vendeuse, donne une autre explication. Elle juge que c’est parce que la plupart des manguiers donnent des fruits qui murissent en même temps. « C’est l’abondance et après, très vite, la rareté s’installe », affirme-t-elle. A l’entendre, pour éviter le pourrissement qui impacte sur le prix, elle pense qu’on devrait trouver les moyens pour conserver les mangues à l’état primitif, pendant des mois. Car ceux qui font le séchage sont confrontés souvent au rejet de leur produit compte tenu de sa mauvaise qualité. « Il faut un suivi rigoureux de nos produits. On doit bien traiter les manguiers afin qu’ils donnent des fruits de bonne facture », a-t-elle conclu. Albert Zongo, grossiste à « Toessin Yaard », lui, évoque la cherté en ces termes : « Je crois que la cherté des mangues à Ouagadougou est due aux différentes transformations dont elles sont objet. Il s’agit du séchage et du jus ». Selon lui, ceux qui mènent ces activités deviennent de plus en plus nombreux et se sont même rapprochés des zones de production. « Ils s’accaparent de tout. Ce n’est qu’une petite quantité qui est vendue à Bobo-Dioulasso pour nous autres », regrette-t-il. Investissant dans ce secteur depuis plus de 30 ans, il dit que pour qu’un carton de mangues arrive de Bobo-Dioulasso sous son hangar, il lui faut débourser 10 500 F CFA contre 6 000 F CFA l’année dernière. Il revend à 11 000 F CFA et pense que le profit est minime. Exportateur au Ghana également, il croit que s’il n’y a pas de changement l’année prochaine, il ne pourra plus vendre 2 000 cartons. Malgré la cherté des mangues, il a pu placer en ce jour 24 juin 2020, 50 sacs. Selon l’un des transporteurs, Ibrahim Sanou, les frais sont de 450 000 F CFA de Orodara à Ouagadougou.

Petit retard, grosse perte

« Avec mon camion de 10 tonnes, plein, je transporte à 450 000 FCFA. Je peux faire deux jours de trajet », dit-il. Il spécule que dans ce genre de transport, il y a trop de tracasseries sur la route. « Il s’agit de nombreux postes de contrôle de la Police et de la Gendarmerie sur l’axe Bobo-Ouaga. Même si nos papiers sont à jour, on paie. Si tu t’opposes, on te retarde. Alors que nous transportons des produits périssables. On est donc obligé de céder. Tout cela ne fait que renchérir le coût », déplore-t-il. Toutefois, indique-t-il, ce transport rapporte des bénéfices, si le véhicule est en bon état. Au nombre des difficultés rencontrées, nos interlocutrices ont surtout souligné la délicatesse du fruit. Un petit retard peut entraîner une grosse perte. La présidente de l’Association donne des explications sur le retard pris souvent dans les livraisons. « Si le véhicule tombe en panne et s’il n’est pas réparé tôt, les fruits se gâtent. On dit alors adieu au bénéfice. C’est nous qui prenons en charge, les frais de réparation», lance-t-elle. La grosse difficulté est liée à la nature même du fruit, délicat et très périssable, soutient l’une des doyennes qui a ouvert le marché de mangues de « Toessin yaard », Rosalie Sawadogo. « On achète les cartons sans vérifier. C’est une question de chance. Vendre des mangues, c’est prendre des risques. On a souvent des insomnies à cause des craintes de pertes. On prie Dieu pour qu’il nous aide à écouler rapidement la marchandise», révèle-t-elle. Pour Kadiatou Kafando, le terrorisme et la crise sanitaire ont eu des répercussions négatives sur leur activité cette année. En dépit de toutes ces difficultés, la SG de l’Association a confié que grâce à cette activité menée à partir de 1987, elle a pu payer la scolarité de ses enfants, avoir un logement, prendre soin de sa famille. Au temps fort, elle et ses camarades pouvaient vendre par jour le contenu de 5 camions de 10 tonnes. Sachant qu’un camion prend environ 250 cartons. Quant à Rosalie Sawadogo, elle dit pouvoir écouler 20 cartons par jour.