Viande de volaille au Burkina Faso : Le poulet flambé comporte des risques sanitaires

Un échantillon de poulets-bicyclette grillés.

Les poulets transformés sont aujourd’hui considérés comme une identité culturelle du Burkina Faso. Ces poulets communément appelés « poulets-bicyclette » sont même prisés au-delà de nos frontières. Cependant, selon une étude récente, la consommation excessive de ces gallinacés notamment ceux flambés, expose le consommateur à des maladies cancérigènes.

Poulet flambé, poulet braisé, poulet au rabilé, poulets braisé et flambé à l’ail, poulet soumbala…, tels sont les différents types de gallinacés transformés au Burkina Faso. Entrés dans les habitudes alimentaires des Burkinabè, ils tendent ainsi à devenir une identité culturelle, surtout ces dernières années. Dans tous les quatre coins du pays, on y retrouve des sites expressément aménagés, notamment sous les manguiers, aux abords des rivières, des barrages et d’autres lieux propices. Ces endroits grouillent de monde surtout les week-ends où les gens se retrouvent en famille, entre amis et autres pour déguster du poulet, soit braisé soit flambé, assaisonné parfois à l’ail.

La dégustation de ces gallinacés ou « poulets-bicyclette » s’accompagne le plus souvent de riz au soumbala, de spaghetti au soumbala ou encore de friture. L’engouement autour de cette viande va même au-delà des frontières burkinabè. Ils sont appréciés par certains étrangers qui, à l’occasion de leur séjour, n’hésitent pas à s’en procurer. D’autres même ne manquent pas d’en ramener chez eux. Car ces poulets locaux se démarquent de ceux de chair importés, par son goût. Selon les estimations du ministère des Ressources animales et halieutiques du Burkina Faso, en 2018, le pays a enregistré près de 40 millions de têtes de volaille. Dans la même année, près de 80 mille têtes sont consommées par jour à Ouagadougou et 50 mille à Bobo-Dioulasso.

Cette consommation s’accroit d’année en année. Au vu de l’importance et de la place qu’occupe la viande transformée dans les habitudes alimentaires de la population, certains chercheurs en ont fait un sujet de recherche. Parmi eux, Bazoin Sylvain Raoul Bazié. En service à la Direction de contrôle des aliments et de la nutrition appliquée (DCANA), précisément au service des contaminants et des additifs alimentaires du Laboratoire national de santé publique (LNSP), ce jeune biochimiste a consacré ses travaux de thèse sur ce secteur. En effet, le 6 juillet 2021 à l’Unité de formation et de recherche en Sciences de la vie et de la terre (UFR/SVT) de l’Université Joseph-Ki-Zerbo, il soutenait sa thèse sur le thème: « Composition et risques chimiques associés à la consommation des poulets grillés / fumés au Burkina Faso », sous la direction du Pr Ismaël H. N. Bassolé, Pr titulaire de biochimie-microbiologie, à l’Université Joseph-Ki-Zerbo. L’objectif de l’étude étant de déterminer la composition et les risques chimiques associés à la consommation du poulet-bicyclette transformé et consommé au Burkina Faso, selon Bazoin Sylvain Raoul Bazié.

Des métaux lourds détectés dans certains échantillons

Le ministre Modeste Yerbanga a lancé le processus de labélisation du poulet-bicyclette.

Rencontré le 12 juillet 2021 au Laboratoire national de santé publique (LNSP), Dr Bazié revient sur la démarche de ses recherches. Selon lui, il a, de prime abord, essayé de comprendre l’environnement de transformation de ces poulets, l’organisation du secteur depuis l’élevage jusqu’au produit fini. Egalement s’est-il résolu à déterminer les préférences des Burkinabè en fonction de leur sexe.

De ses recherches, il ressort que plus de 72% de l’échantillon soumis à l’analyse est contaminé par des métaux lourds notamment le plomb. Le chercheur a appliqué les normes établies par le Codex Alimentarius. Cet organisme conjoint de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dispose d’un baromètre sur les normes de conformité sur certains produits et contaminants. Pour M. Bazié, cette contamination est imputable à l’activité humaine et se fait à deux niveaux : « L’utilisation des pesticides et des engrais chimiques dans l’agriculture expose les céréales et le sol à la contamination.

Et comme certains gallinacés consomment ces céréales ou picorent tout sur leur passage dans la nature, ils sont donc sujets à contamination », explique-t-il. Le deuxième volet de la contamination, poursuit-il, se fait au cours du plumage des poulets : « Les vendeurs de poulets grillés utilisent très souvent la même eau de plumage toute la journée. Ce qui peut entrainer des contaminations croisées car lorsque vous trempez du poulet sain dans une eau déjà contaminée par des métaux lourds, ces poulets seront également contaminés», révèle-t-il.

Au-delà de la contamination aux métaux lourds, le poulet transformé notamment celui flambé expose à d’autres dangers sanitaires dus à l’excès de la fumée : « La fumée issue de la transformation de la matière organique est très concentrée de substances toxiques avec des propriétés cancérigènes. Il s’agit notamment des hydrocarbures aromatiques polycycliques qui se déposent sur la viande pendant la cuisson », clarifie Bazoin Sylvain Raoul Bazié. Aussi, au cours du processus de grillade, la graisse secrétée par le poulet se dépose et sur la grille et sur le bois.

Cette graisse remonte sous forme de fumée pour ensuite se déposer à nouveau sur le poulet. M. Bazié est parvenu à déterminer en outre d’autres types de contaminants qui sont produits par le fait de la dégradation de la viande. Ces contaminants encore appelés amines aromatiques hétéro cycliques, en contact avec la chaleur, se dégradent et forment d’autres sous-produits. Egalement, selon certaines indiscrétions, il revient que les grilleurs de poulet utiliseraient du carbure pour maintenir une certaine chaleur de l’eau de plumage. Le Dr Bazié qui affirme n’avoir pas pu confirmer cette information au cours de ses recherches l’a tout de même inscrit dans les perspectives pour un travail futur.

Des risques de maladies cancérigènes

La question de la viande transformée est un sujet préoccupant dans le monde de la recherche scientifique. A l’issue de plusieurs colloques, de recherches, le Centre

Bazoin Sylvain Raoul Bazié défendant sa thèse.

international pour le cancer a classé en octobre 2015 la viande transformée comme cancérigène. C’est eu égard au fait que ces viandes transformées comportent des substances dangereuses à même de nuire à la santé du consommateur. « Il existe des données sur la corrélation entre la viande transformée et la survenue d’un certain nombre de cancers tels que celui du colon », affirme le biochimiste. A en croire le chercheur, il n’existe aucune règlementation que ce soit au niveau du Codex Alimentarius ou de la règlementation nationale pour cette classe de contaminant. Par contre au niveau de l’Union européenne, il en existe. « 100% de notre échantillon de poulets flambés comporte des substances pouvant donner le cancer ».

Ne pas excéder 105g de poulet flambé par jour

Des résultats du chercheur, il ressort que la gent féminine est la plus exposée en matière de risque sanitaire. Ces risques sanitaires sont des maladies cancérigènes et non. Au titre de celles non cancérigènes, il y a la compromission de la fonction reproductrice de la femme. Pour les contaminants chimiques, tous les deux sexes sont exposés. Pour ce faire, le biochimiste recommande de modérer la consommation de la viande, notamment le poulet dans sa forme flambée. Tout en soulignant que la présence d’une substance toxique n’est pas forcément synonyme de maladie, il prévient que c’est la dose qui fait le poison. « L’organisme est capable d’éliminer ces toxines mais seulement à une certaine dose. Mais lorsque la consommation devient excessive, il peut y avoir problème », prévient-il. Il recommande ainsi de ne pas excéder 105g de poulet flambé par jour. Car de son avis, il y a des contaminations qui sont très difficiles à éviter mais lorsque la consommation est modérée, l’organisme est capable d’éliminer aisément ces substances.

Minimiser les risques

La production et la consommation des poulets-bicyclette tendant donc à devenir une identité culturelle au Burkina Faso, le ministère en charge des ressources animales souhaite davantage valoriser ce produit. Ainsi, en collaboration avec le ministère en charge du commerce, ce ministère a lancé le processus de labélisation du poulet local communément appelé poulet-bicyclette. C‘était le 5 juillet 2021 à Ouagadougou. Selon le ministre des Ressources animales et halieutiques, Modeste Yerbanga, le poulet local est fortement concurrencé par ceux importés dits de chair. Ces poulets congelés reviennent très souvent moins cher comparativement aux poulets-bicyclette. Et face à cette situation, il faut une identité propre aux poulets locaux, selon M. Yerbanga.

Ce processus en cours de labélisation qui devrait connaitre son dénouement dans quelques mois est salué par le biochimiste. Pour lui donc, il est impératif de procéder à un examen de toute la chaine de production pour déterminer les points critiques où des contaminations peuvent se croiser. En outre, il invite les pouvoirs publics à réorganiser le travail pour pouvoir définir des cahiers des charges. Ce qui va permettre d’offrir à la population des produits de très grande et bonne qualité. En vue aussi de réduire au grand maximum les contaminations, Dr Bazié a mis en place un dispositif en vue de réduire le contact entre la fumée et le poulet au cours de la grillade. Dans le dispositif, il est prévu de récolter les huiles issues des poulets afin qu’elles ne retombent pas sur la braise. Des essais sont en cours, selon lui, et les résultats en attente dans les prochaines semaines.

Rabiatou SIMPORE

rabysimpore@yahoo.fr