Maraîchage dans les bandes de servitude : Deux barrages menacés de disparition à Ouahigouya

Plusieurs rigoles du genre sont creusées dans les lits des deux barrages.

Dans la commune de Ouahigouya, le maraîchage constitue une activité majeure de la population. Toutefois, cette production de contre-saison n’est pas toujours faite dans le respect de la règlementation en vigueur au Burkina Faso. Aujourd’hui, les barrages Kanazoé et de Goinré, situés à quelques encablures de la ville, en sont victimes. Les bandes de servitude, de même que les lits des deux ouvrages hydrauliques, sont assaillis par des maraîchers, occasionnant ainsi leur ensablement avancé.

Au milieu de la « flaque » d’eau, des piroguiers s’activent. Filets en main (qui se déploient par à-coups), chacun espère une belle prise. Mais il n’y a pas que les pêcheurs qui se disputent cette eau presque boueuse. Aux abords de l’étang, des motopompes dont certaines sont alimentées au gaz butane, ronronnent. Elles appartiennent à des maraîchers, ayant « chassé » l’eau jusqu’à son dernier retranchement. En cette matinée du 25 mai 2021, le barrage de Goinré, à la périphérie-nord de Ouahigouya, n’a pas bonne mine. Il est en voie de tarissement. Une récente pluie tombée dans la localité l’a juste un peu ravitaillée de son précieux « liquide ».

Un mois plus tôt, témoigne l’un des maraîchers, Moussa Savadogo, l’ouvrage était presque à sec. Dans sa cuvette, le spectacle est ahurissant. De profondes rigoles creusées par des producteurs maraîchers sur des dizaines de mètres en vue de rapprocher l’eau de leurs cultures sont constatées ci et là. Des motopompes font le reste du travail pour que l’eau « atterrisse » dans les exploitations situées à un jet de pierre, notamment dans la bande de servitude. Outre ces petits canaux, des puisards, environ une dizaine, sont réalisés dans le lit du barrage pour « traquer » l’eau. Le sol, lui, est craquelé de partout. A côté, des parcelles de cultures et des tas de tuyaux abandonnés indiquent que la cuvette servait de lieu de production maraîchère.

A cause de l’assèchement de la retenue d’eau, la plupart des maraîchers, dont Moussa Savadogo, ont regagné les berges. Ce matin du 25 mai, ce dernier lutte avec ses tuyaux pour convoyer l’eau dans son champ, peuplé de concombre, d’aubergine et de poivron. Plus d’une quarantaine de tuyaux de six mètres chacun sont raccordés depuis son exploitation jusqu’à la motopompe, placée au bord de l’eau restante. Comme Moussa, ils sont nombreux les producteurs, installés dans la bande de servitude, qui chiffonnent en permanence l’eau du barrage pour irriguer leurs cultures. « Plus l’eau se retire, plus il faut acheter des tuyaux pour aller la chercher. Parfois, nous creusons même des puits dans le lit du barrage pour l’avoir », révèle Moussa Savadogo, le visage dégoulinant de sueur.

Invasion de la bande de servitude

A l’entendre, lorsque le barrage est en crue, l’eau se retrouve nez à nez avec sa parcelle. Ce qui indique qu’il occupe la bande de servitude. Apparemment, Moussa ignore toujours l’illégalité de sa position, puisqu’il affirme n’avoir jamais été interpellé par qui que ce soit. «

Dans le mois d’avril, le barrage de Goinré dont l’eau est utilisée par l’ONEA était presque à sec.

Pour l’instant, personne ne nous a interdits de travailler ici », se défend-il. Toutefois, il reconnait que l’envasement de l’ouvrage est, de nos jours, une réalité indéniable. C’est pourquoi, il plaide pour son curage afin de lui permettre de perpétuer sa production. A l’aide d’arrosoirs, Abasse Ouédraogo et sa sœur sont en train d’apporter l’eau à leurs jeunes pousses de concombre.

Un puits est utilisé à cet effet. Leur parcelle est nichée dans la cuvette du barrage mais, visiblement, ils n’en ont cure. Le seul remords pour ces jeunes maraîchers est de savoir qu’ils vont être déguerpis manu militari des lieux dès le retour des eaux. Jusque-là, Abasse dit n’avoir jamais été dissuadé. « Nous travaillons ici depuis trois ans et personne ne nous a jamais dit de quitter », fait-il remarquer. Lui aussi déplore l’assèchement précoce du barrage mais sans en savoir les raisons. Alors que, pour lui, cette retenue d’eau constitue une source de vie pour sa famille. Un peu plus loin, Issa Ouédraogo, 65 ans, est à pied d’œuvre dans son champ. Daba en main, il est en train de sarcler une planche de choux. L’eau du barrage s’étant retirée, il doit son salut à celle des puits qu’il utilise pour arroser ses plants.

C’est depuis plus de 30 ans que le sexagénaire exploite cet espace dont il a hérité de ses parents. Issa, au moins, sait qu’il cultive dans la bande de servitude. Néanmoins, il soutient n’avoir pas d’autre choix. « On murmure que nous sommes dans la bande de servitude mais, pour l’instant, personne n’est venu vers nous pour l’exprimer de vive voix », avance-t-il, le regard hagard. Selon ses explications, il semble être victime d’une situation devant laquelle il reste impuissant. C’est plutôt l’ouvrage hydraulique, se convainc-t-il, qui est venu empiéter sur ses droits en engloutissant les champs de ses géniteurs. « Nous sommes nés trouver que nos parents cultivaient ici jusqu’à ce que le barrage soit réalisé », clame-t-il. Ses parents n’ont-ils pas été attributaires d’autres parcelles ?

La réponse du vieux Issa est sans ambages. « Après la réalisation du barrage, on ne nous a pas attribué un autre terrain », tranche-t-il. Mais à l’impossible, nul n’est tenu, dit-on. Pour lui, si déguerpissement il devait y avoir, il n’aura pas le choix que de partir. Seulement, fait remarquer Issa Ouédraogo, c’est la survie de sa famille qui sera menacée. « C’est de là que je tire le nécessaire pour subvenir aux besoins de ma famille. J’ai plus de 60 ans; où vais-je aller encore ? », s’interroge-t-il, l’air désappointé.

Ensablement et pollution chimique

Réalisé en 1967, le barrage de Goinré avait une vocation agro-pastorale. En aval de l’infrastructure, un vaste périmètre maraîcher est aménagé pour les producteurs. Malgré tout, sa bande de servitude est toujours envahie par d’autres maraîchers. Un constat amer dont regrette le Directeur régional (DR) de l’Eau et de l’Assainissement du Nord, Evariste Zongo, pour qui l’ouvrage doit être sauvé. Il estime que l’ensablement des barrages est un phénomène qu’il faut prendre à bras-le-corps. L’évidence, selon le technicien de l’eau, est que les usagers ne respectent pas la bande de servitude qui devrait servir de rempart pour empêcher les sédiments de converger vers la retenue d’eau. « Suivant la règlementation, à partir de la limite des hautes eaux, la bande qui doit être protégée est de 100 mètres. C’est

Selon le DR en charge de l’eau du Nord, Evariste Zongo, le respect de la règlementation autour des barrages est une lutte de longue haleine.

dire que sur cette zone autour du barrage, il ne doit pas y avoir d’activité agricole parce qu’elle participe à l’ensablement et à la pollution chimique des eaux », explique M. Zongo. A Goinré, cette règle est foulée aux pieds par les producteurs et il y a même pire. Outre le non-respect de la bande de servitude, renchérit l’ingénieur du génie rural, certains producteurs avancent au fur et à mesure que l’eau recule, creusent des rigoles et des puits dans le lit du barrage. La conséquence de ces actes, à l’écouter, demeure l’envasement précoce de l’infrastructure dû surtout à la masse de terre charriée par les eaux de ruissellement chaque année dans la cuvette. Evariste Zongo note également la pollution des eaux du fait de l’utilisation intempestive des engrais chimiques et autres produits phytosanitaires par les maraîchers. Alors que l’eau du barrage de Goinré est utilisée par l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) pour l’alimentation en eau potable de la ville de Ouahigouya. Toute chose qui constitue un danger pour la santé des consommateurs du fait de la pollution chimique de l’eau. En cette période de canicule, la cité de Naaba Kango connait des pénuries fréquentes d’eau. Le barrage étant en étiage, la nationale de l’eau est dans l’embarras. Soucieuse de cette situation, elle convoque les différents usagers de l’ouvrage afin de trouver une solution concertée. « En cas de rareté de la ressource en eau, la loi 002-2021/AN portant loi d’orientation relative à la gestion de l’eau de 2001, en son article 23, considère comme prioritaire l’alimentation en eau des populations », rappelle la correspondance adressée aux invités. Ainsi, maraîchers, pêcheurs, entrepreneurs du Bâtiment et travaux publics (BTP) et autres acteurs de la gestion du barrage se retrouvent, le 18 mai 2021, pour définir les modalités de prélèvement de l’eau. L’objectif étant d’aboutir à la rationalisation du prélèvement d’eau pour les cultures déjà en cours, à l’arrêt de toute nouvelle emblavure et à la cessation des prélèvements d’eau pour les chantiers BTP. « Il le fallait pour que la ville continue d’être alimentée en eau potable jusqu’à l’installation de l’hivernage », se félicite M. Zongo.

« Nous cherchons notre pain »

Autre lieu, même constat alarmant. Au barrage Kanazoé, situé à la périphérie-ouest de Ouahigouya, la situation n’est guère reluisante. Une bonne partie du lit est « prise en otage » par les cultures maraîchères. Une autre fait office de terrain de sport où des jeunes s’adonnent à un match de football. La troisième portion, toute infime, échoit à l’occupante légale des lieux : l’eau. Avec les quelques pluies du mois de mai, elle a repris ses droits par endroits, obligeant certains maraîchers à se retirer. Des parcelles de production partiellement ou entièrement englouties et des hangars de fortune nageant dans les eaux complètent le décor. Malgré ces avertissements de dame nature, des téméraires sont toujours là, espérant récupérer leurs dernières récoltes. Des parcelles de poivron, de concombre, de courgette, de piment, de tomate, de maïs…, s’étalent à perte de vue.

Au milieu de cette verdure, des odeurs fétides de pesticides irritent les narines au moindre changement de direction du vent. Certains viennent de pulvériser leurs plantes, d’autres sont toujours en action. Quant à Moussa Ouédraogo, alias Monré, il s’acharne sur les espèces adventices pour les débarrasser de son champ de tomate. Ce lopin de terre, il dit l’avoir acquis auprès d’un ami maraîcher. Assis à l’ombre d’un des hangars de fortune, ce dernier, le regard inquisiteur, refuse de piper mot. « Allez-y voir les propriétaires des cultures », se contente de lâcher le prétendu « vrai propriétaire » du terrain. Monré, lui, ne se prive pas de dire haut ce qu’il pense. « C’est le manque d’eau qui nous a amenés dans la cuvette du barrage », justifie-t-il.

Avec l’installation de l’hivernage, l’eau est en train de reprendre ses droits au barrage Kanazoé.

Ce quinquagénaire qui totalise 25 ans d’expérience dans le maraîchage soutient que c’est uniquement en saison sèche qu’il se retrouve dans le barrage pour continuer d’exercer son activité. Est-il au courant que son acte est préjudiciable à l’ouvrage ? Affirmatif, répond Moussa Ouédraogo avant d’avouer qu’il n’a aucune autre solution. « Les autorités en charge de l’eau et de l’agriculture nous reprochent d’ensabler le barrage. Nous ne les contredisons pas. Seulement, nous cherchons notre pain quotidien », mentionne-t-il. Issoufou Ouédraogo, 51 ans, est du même avis lorsqu’il affirme que plus on est éloigné du barrage, moins il y a d’eau dans les puisards.

D’où ce déferlement vers le lit. « Chaque année, nous sommes inondés mais nous n’avons pas où aller », se résigne-t-il, tout en sarclant son champ de poivron. Plus de 8,5 millions m3 d’eau perdus Par ces actions anthropiques, les deux ouvrages hydrauliques connaissent aujourd’hui un phénomène d’ensablement avancé. Leurs capacités de stockage se sont considérablement rétrécies comme une peau de chagrin. Initialement, révèle le DR Evariste Zongo, le barrage de Goinré avait une capacité de stockage de 19 888 000 mètres cubes (m3) d’eau. Ce volume est passé à 11 220 000 m3 de nos jours, soit une réduction de 8 668 000 m3. Idem pour le barrage Kanazoé, construit en 1977, avec une capacité estimée à 2 700 000 m3 au départ.

A entendre le DR, une étude est en cours pour évaluer sa capacité actuelle de stockage. Toutefois, il confirme que le volume initial de la retenue d’eau a pris un sérieux coup, au regard des pressions diverses qu’elle subit. Afin de sauver ces barrages de cette situation dramatique, les autorités en charge de l’eau et de l’agriculture du Nord ont pris le taureau par les cornes en menant des actions de sensibilisation, suivies parfois de répression. Elles tentent de dissuader les occupants des bandes de servitude. Cependant, l’éradication du phénomène semble être une lutte de longue haleine. « Nous sensibilisons les maraîchers à abandonner leurs mauvaises pratiques agricoles mais il y en a qui sont réfractaires », déplore le DR en charge de l’agriculture du Nord, Abdoul Karim Ouédraogo.

Son collègue de l’eau, Evariste Zongo, abonde dans le même sens en rappelant les sérieuses menaces qui pèsent sur les retenues d’eau de la commune de Ouahigouya. « Les services de la police de l’eau, logée au sein de notre direction, mènent des sensibilisations à l’endroit des producteurs pour qu’ils comprennent la nécessité de protéger les ouvrages.

C’est par ces canalisations que Moussa Ouédraogo convoie l’eau vers son exploitation située sur les berges du barrage de Goinré.

L’an passé, certains ont été verbalisés, d’autres ont vu leurs motopompes saisies », informe-t-il. Le motif le plus souvent évoqué par nombre de producteurs pour justifier leur présence dans la bande de servitude ou le lit des barrages demeure le manque d’eau. D’autres pointent du doigt l’administration qu’ils accusent d’avoir occupé leurs terres pour y implanter les ouvrages hydrauliques.

C’est le cas du maraîcher Issa Ouédraogo de Goinré qui crie à l’acharnement. « C’est le barrage qui a envahi le champ de mes parents. Alors que nous n’avons pas été attributaires d’un autre terrain », clame-t-il. « Nous ne demandons pas aux maraîchers de ne pas occuper les terres de leurs parents mais de respecter la bande de servitude », réplique le DR Zongo. Afin d’éviter ces tiraillements, l’Association professionnelle des maraîchers du Yatenga (ASPMY), forte de 1 500 membres, a préféré quitter les berges. A entendre son président, Boukary Savadogo, aucun membre de l’association ne travaille encore autour d’un barrage. « Grâce au projet Drops for crops (une goutte d’eau pour une plante), nous nous sommes éloignés des barrages pour utiliser les puits et les forages.

Le projet va nous aider à construire 675 ouvrages hydrauliques », se réjouit-il. M. Savadogo invite, à son tour, ses collègues installés dans les lits des barrages à les libérer au risque d’être poursuivis en justice comme le cas du maraîcher de Bagré, dans le Centre-Est. « Nous ne souhaitons pas ces cas à Ouahigouya », prévient le président de l’ASPMY. De l’avis du DR Evariste Zongo, les barrages se comblent naturellement mais ce sont les actions anthropiques qui accélèrent le phénomène. A Ouahigouya, si rien n’est fait, le « pronostic vital » des deux infrastructures hydrauliques risque d’être engagé.

Mady KABRE