Patrick Rossi, conservateur du musée Rayimi : le ‘’ Blanc ‘’  au service de la culture moaga

Ingénieur en organisation et gestion de travail, après une vingtaine d’années de carrière comme conducteur de travaux dans la construction en Europe, au Moyen Orient et en Amérique latine, Patrick Rossi est aujourd’hui conservateur de musée et gérant du complexe touristique Maasmè dans le Nayiri (palais) du quartier Issouka de Koudougou, chef-lieu de la région du Centre-Ouest. Retour sur la vie et le parcours d’un Français qui s’investit dans la promotion de l’histoire et de la culture en pays moaga. Portrait !

Patrick Rossi a mis sur le marché du livre, un ouvrage intitulé « Brève histoire de Koudougou ».

Un personnage singulier, dans le Nayiri (palais) du quartier Issouka de Koudougou, dans le Centre-Ouest, attise la curiosité des visiteurs. Il s’appelle Patrick Rossi. De nationalité française, les Koudougoulais l’ont surnommé le “Blanc du Chef ” . Il est le gérant du complexe touristique Maasmè de Koudougou. Son quotidien est rythmé par des va-et-vient incessants entre le palais, le musée et son bureau situé à l’entrée du Nayiri. Visage français bien connu dans ce palais, Patrick Rossi s’occupe du courrier du chef, organise et planifie ses audiences, reçoit les touristes à qui il fait visiter le complexe touristique Maasmè ; il établit les statistiques des visiteurs et leurs profils. M. Rossi prend du plaisir à exécuter ces tâches avec professionnalisme. Bien accueillir les gens qui viennent visiter le site, souligne-t-il, est une obligation. Installé depuis 2006 dans la cité du Cavalier rouge, son nom et son image sont entrés dans l’imaginaire populaire voire collectif.

Une popularité qu’il doit à son métier de conservateur du musée Rayimi du palais de Issouka puis de gérant du complexe touristique Maasmè, appartenant au chef de Issouka, Naaba Saaga 1er. Né en 1953 à Floirac, dans la banlieue de Bordeaux, dans le Sud-Ouest de la France, Patrick Rossi, père de deux filles, est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en gestion du travail de l’Ecole nationale supérieur des arts et métiers (ENSAM). Il a passé plus de 15 ans comme conducteur de travaux sur des chantiers de construction d’hôtels dans l’ex-Union soviétique, en Pologne, en Arabie Saoudite, en Algérie et au Vénézuela. Aujourd’hui, il s’illustre comme un acteur majeur de la sauvegarde de l’histoire et de la culture de la région du Centre-Ouest, voire du pays moaga. S’il exerce son boulot de conservateur de musée et de gérant du complexe Maasmè sans soucis majeurs, ses débuts au Nayiri furent ‘’ difficiles ‘’. « Les gens étaient étonnés de me voir. Ils se demandaient pourquoi c’est un Blanc qui est le guide au Palais », témoigne-t-il. Mais comment cet ingénieur de l’ENSAM de Bordeaux a su réussir sa reconversion professionnelle, surtout dans le domaine culturel où les pesanteurs et les résistances sont parfois vivaces ?

« La communauté a mis du temps avant de le comprendre »

« Je n’ai pas appris un travail mais j’ai appris à travailler », répond le métronome du site touristique Maasmè. Pour lui, tout peut s’apprendre. Il s’est alors investi dans la recherche de connaissances sur l’histoire et la culture locales, notamment celles du quartier Issouka de Koudougou. En l’absence de documents écrits, le “Blanc du chef ” s’est ‘’abreuvé’’ à la source de la tradition orale africaine en allant à la rencontre des notabilités. Mais pas sans se heurter, au début, à la résistance et à la méfiance de ses interlocuteurs. « Patrick est très rigoureux, méthodique, curieux. Il observe beaucoup, prend des notes qui me servent », fait savoir le chef de Issouka, Naaba Saaga 1er. En 2019, ce Français de 1,67m au physique frêle, mais qui a de la suite dans ses idées, a franchi un pas important dans la vulgarisation de l’histoire de la capitale de la région du Centre-Ouest. Il a mis sur le marché, un petit ouvrage intitulé  Brève histoire de Koudougou . Au-delà de l’histoire de la cité du Cavalier rouge, le bouquin contient des dates et évènements importants du Moogho et du Burkina Faso, de 1887 à 2019.

Patrick Rossi : « ma présence ici ne suscite plus de questions ».

Aujourd’hui, sa maitrise de l’histoire de Issouka et de la région de Koudougou fascine. « Ma présence ici, ne suscite plus de questions. Il y a des gens qui viennent ici pour le simple plaisir de m’entendre leur raconter leur histoire », se réjouit le Bordelais. Mieux, il a réussi son intégration au sein de la société koudougoulaise. Faisant siennes les valeurs africaines, celui que l’on a surnommé monsieur Yaméogo P. Tinghin Biigha (fils du pays, en langue mooré), est présent dans les évènements sociaux heureux et malheureux de Issouka. Il est le premier à informer le chef qu’il y a des funérailles ou tel évènement ici ou là. « Je suis dans un contexte culturel nouveau. J’ai deux choix : soit je m’adapte à cette culture, soit je ne reste pas. Je n’ai pas à chercher à la modifier ou faire quoi que ce soit qui va m’amener à me conduire autrement », explique le natif de Bordeaux. Pour le chef de Issouka, Patrick, à son humble niveau individuel, participe à la construction d’une image positive de l’ancienne puissance coloniale, celle d’une France respectueuse des traditions et cultures africaines. Il est le symbole du dialogue fécond des cultures. « Au début, ce ne fut pas facile mais, par la suite il s’est intégré. La communauté a mis du temps avant de le comprendre. Elle se demandait pourquoi le chef a amené dans le Nayiri, un Blanc qui la fatigue », confie Naaba Saaga 1er, l’air comblé.

Serviable, bricoleur, pragmatique

La rencontre entre ces deux hommes, M. Rossi et le Naaba, date des années 89-90 à Bordeaux, lorsque ce dernier y était pour ses études supérieures en communication. « J’avais comme professeur de recherche documentaire l’ex-épouse de Patrick. La sympathie s’étant installée entre nous, elle m’invitait à la maison. C’est lors de ces visites que j’ai connu son mari d’alors, Patrick Rossi », raconte Naba Saaga 1er. Dès la première rencontre, celui qui allait devenir 25 ans plus tard chef de Issouka, est séduit par la disponibilité, le caractère serviable, bricoleur, pragmatique de celui qui est aujourd’hui son collaborateur dans son palais. « Lorsque mon épouse et moi devions quitter la cité universitaire après la naissance de notre premier enfant, c’est Patrick qui nous a trouvés un appartement dans une résidence. Il a parcouru les quatre coins de Bordeaux pour nous trouver des meubles afin que nous puissions nous installer dans notre studio. Quand on revenait de Paris, c’est encore lui qui venait nous chercher à l’aéroport de Bordeaux », se souvient le chef, des bonnes œuvres de M. Rossi à son égard.

Mais avant, le Bordelais avait déjà une bonne image du Burkina Faso pour s’y être rendu pour la première fois en 1981, à l’occasion du mariage d’une amie de son ancienne épouse. « A l’époque, je ne savais pas où se trouvait Ouagadougou. A notre arrivée, nous y avons découvert quelque chose de particulier : l’accueil chaleureux, la sympathie des gens, la facilité dans le contact sans protocole », se remémore-t-il. Depuis lors, le couple Rossi revenait tous les deux ou trois ans dans l’ancienne Haute-Volta pour y passer les vacances, « boire la bière et manger les poulets bicyclettes ». En 2004, Patrick Rossi prend une décision radicale : quitter la France où il ne se sentait plus, pour venir s’installer au Burkina Faso. Initialement, il devait venir à Ouagadougou pour aider à mettre en œuvre un projet d’accompagnement des enfants de la rue. Le projet n’a pas abouti, car « séduisant sur le papier mais ne collant pas aux réalités du terrain », explique l’ingénieur en gestion de travail.

De Bobo- Dioulasso à Koudougou

En 2013, M. Rossi faisant office de manœuvre sur le chantier du site Maasmè.

Après quelques mois passé dans la capitale burkinabè, le bordelais rejoint ses amis musiciens à Bobo Dioulasso. Une ville qu’il affectionne tant. « Bobo est une ville merveilleuse. Tous les soirs, c’est la fête. J’ai mis du temps à me dégager de Bobo pour venir à Koudougou », rigole-t-il. En 2006, une année après son intronisation, Naaba Saaga 1er fait appel à son ami de Bordeaux pour l’aider à organiser la chefferie, conduire ses projets et gérer ses affaires administratives, notamment son courrier, ses audiences, ses statistiques. « J’ai dit à Patrick : viens t’installer à Koudougou. Je n’ai pas tout ce que tu avais en France mais, tu vas te débrouiller avec le peu que j’ai.

Le début était difficile, il n’y avait pas d’argent. Mais il a accepté malgré les contraintes », confie le chef de Issouka. A côté du jeune roi, Patrick Rossi va prendre une part active dans la conception et la réalisation du projet de complexe touristique Maasmè, jouant parfois au manœuvre sur les chantiers. « J’amenais mes idées, il y ajoutait les siennes. A deux, on échangeait, discutait. On rêvait gros, en se disant : ce que les autres ont pu réaliser de grand, nous pouvons aussi, à notre échelle, le faire », relate Naaba Saaga 1er. Ainsi, ce qui était en 2010, un musée avec une seule salle d’exposition contenant 36 photos sur l’histoire de Koudougou au début du 20e siècle, est devenu un complexe touristique. Le site Maasmè de Issouka comprend aujourd’hui le palais, la place Naaba Bulgo, le musée Rayimi (passé à quatre salles, avec un projet d’extension), une bibliothèque, une salle informatique pour aider les scolaires et les étudiants, le maquis le Hamac  et des chambres d’hôtes « la Quiétude ». Mieux, Maasmè est devenu un site de référence nationale. En deux années successives, 2019 et 2020, Maasmè a été classé premier site touristique le plus visité du Burkina Faso par le ministère en charge de la culture, avec en moyenne 6 500 visiteurs par an. « En termes de culture et d’histoire de Koudougou, le site Maasmè est devenu une référence pour les étudiants et les enseignants qui ont des travaux de recherches sur ces sujets. « Nous sommes parvenus à ce point de référence car nous détenons une partie de l’histoire de la ville », se réjouit le “Blanc du Chef ”.

« Pas de développement sans la culture » Le conservateur du musée Rayimi est persuadé qu’il n’y a pas de développement sans la culture. « L’identité culturelle est ce qui permet d’avancer. Quand on n’est pas en mesure de connaitre les valeurs de sa tradition, on ne sera pas en mesure de connaitre les valeurs de son futur », martèle-t-il. Il regrette que la culture burkinabè soit en train de perdre ses valeurs du fait de l’affaiblissement de son unité de base, à savoir la famille, le groupe social. Mais, nuance-t-il, cela est un phénomène mondial. Du fait de la mondialisation, au Burkina Faso, comme ailleurs, on est plongé dans un système social où l’individu prime sur le groupe, déplore-t-il. Mais tout n’est pas perdu, relativise Patrick Rossi, car il existe encore des références, des initiatives qui se déploient dans le sens de la préservation de la culture. Le projet du complexe Maasmè s’inscrit dans ce registre. Mais comme tous les projets culturels, il fait face aux contraintes financières. Malgré les efforts des pouvoirs publics, les défis restent immenses dans un secteur où les chantiers sont énormes. « En Afrique comme en Europe, les budgets alloués à la culture sont des budgets de misère. Et face aux nombreuses contraintes, nous souhaiterions vivement un accompagnement du ministère de la culture par la mise à notre disposition de personnel qualifié. En attendant, nous sommes en train de développer des activités parallèles génératrices de revenus dans le but de soutenir, un tant soit peu, nos activités culturelles », soutient le gérant-guide. Pour lui, l’absence d’une culture de tourisme interne constitue l’un des maux qui mine l’industrie touristique burkinabè.

Conscient de l’immensité des défis, M. Rossi s’investit à préparer la relève. Ses connaissances et son expérience, il les partage avec les jeunes stagiaires. « J’ai eu la chance de rencontrer Patrick en octobre 2020 et de travailler avec lui. Il est très rigoureux, un homme de principes. Il a toujours été à mes côtés et il collabore avec tout le monde », confie Rémi Nayaga, étudiant en deuxième année d’Histoire et Archéologie à l’Université Norbert-Zongo de Koudougou et guide au complexe Maasmè. Le Bordelais compte-t-il finir ses vieux jours au pays des Hommes intègres, loin de l’hexagone ? « Le futur est un mystère… », se contente de philosopher celui qui se définit comme n’étant ni du passé, ni du futur, mais celui qui vit au présent. En attendant, Patrick ne rate pas l’occasion de se délecter de ses mets préférés : tôt, beignets, soupe de poulet…

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com