Procès Thomas : Sankara Blaise souffrait de la ‘’sankarite’’, selon Me N’Zepa

L’avocat des parties civiles, Me Ambroise Farama : « Il y a une consigne qui veut qu’en droit que personne ne puisse être condamné pour une infraction si celle-ci n’a pas été préalablement établie par la loi ».

L’audience du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses douze compagnons a repris, le mercredi 2 février 2022, à Ouagadougou, devant la Chambre de première instance du Tribunal militaire délocalisé dans la salle des banquets de Ouaga 2000 avec le début des plaidoiries des avocats des parties civiles.

Le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses douze compagnons est entré dans une phase ‘’ décisive’’ avec le début des plaidoiries des avocats des parties civiles, le mercredi 2 février 2022, à Ouagadougou, devant la Chambre de première instance du Tribunal militaire. Me Ferdinand N’Zepa a été le premier avocat à entamer les plaidoiries.

A l’en croire, le moment est venu de connaitre la vérité, de savoir ce qui s’est réellement passé, le 15 octobre 1987, d’apaiser les cœurs des familles des victimes et leur permettre de faire leur deuil. « Nous attendons tous la vérité. Cette vérité tant attendue ne sera pas parfaite, car le temps s’est écoulé. La vérité tant recherchée est également celle d’un dossier avec des accusés et des témoins qui ont raconté du n’importe-quoi croyant que le mensonge peut les aider à se disculper », a-t-il indiqué.

Il a cependant regretté l’absence de deux acteurs majeurs du dossier. Le premier, a-t-il cité, est Hyacinthe Kafando, considéré comme le cerveau du commando. Le deuxième est Blaise Compaoré qui, a-t-il soutenu, au soir de sa vie, aurait pu venir dire sa part de vérité, affronter les regards des familles des victimes et leur demander pardon. Au lieu de saisir cette opportunité, a-t-il fait savoir, il a préféré prendre la poudre d’escampette. Me N’Zepa est revenu sur les faits du 15 octobre en expliquant que ce jour-là, le Président du Faso (PF) a convoqué une réunion pour préparer une autre prévue à 20h au cours de laquelle d’importantes décisions devaient être prises.

Les participants à cette réunion étaient au nombre de sept. Arrivé pour la réunion, Laurent Ilboudo a accompagné Sankara dans la salle et celui-ci s’est installé. A peine qu’il a commencé la réunion en donnant la parole à Alouna Traoré que des tirs ont éclaté à l’extérieur.

Walilaye Ouédraogo, la première victime

Les éléments de ce commando, a-t-il laissé entendre, sont venus du domicile de Blaise Compaoré à bord de deux véhicules (une Peugeot 504 et une Galante rouge). La 504 appartenant à Blaise Compaoré était conduite par son chauffeur personnel, Amadou Pathé Maïga avec des éléments comme Azourma Ouédraogo dit Otis et Nabié N’Soni.

Yamba Elisée Ilboudo conduisait la Galante rouge avec à bord Hyacinthe Kafando à l’avant et derrière Idrissa Sawadogo, Wampasba Nacoulma et Nabonswendé Ouédraogo. Bossobé Traoré était déjà sur les lieux. Une fois au Conseil de l’Entente, le sergent Kafando est monté au pied-à-terre de Blaise Compaoré avant de redescendre et crier : « Montez !». Embarqués, les éléments du commando se sont dirigés vers la salle de réunion.

La 504 a contourné le bâtiment par le côté sud. Walilaye Ouédraogo est la première victime. Otis a tiré sur Der Somda, puis sur Abdoulaye Gouem qui tentait de s’enfuir. Hyacinthe Kafando, Nabié N’Soni et Amadou Pathé Maïga ont tiré sur le président Thomas Sankara qui est sorti aux cris des : « Sortez, sortez ». Celui-ci est tombé de son côté gauche.

L’opération terminée, a expliqué l’avocat, Maïga a repris son véhicule en allant chercher son patron. A l’entendre, au même moment où les tirs ont éclaté au Conseil, une équipe était déjà à l’Escadron de transport et d’intervention rapide (ETIR) et une autre à la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité (FIMATS).

Une déclaration est lue quelques heures plus tard par le lieutenant Oumar Traoré et signée par Blaise Compaoré. Dans la nuit, le régisseur de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), le sergent Karim Tapsoba, a fait enlever les corps et procédé à leur enterrement avec l’aide des détenus. Le forfait commis en tuant 13 personnes, il fallait s’expliquer et l’ambassadeur de France à Ouagadougou est contacté.

Celui-ci a rendu compte à Paris en disant que Sankara a été blessé dans l’explosion d’une grenade. Une rencontre est ensuite convoquée avec le corps diplomatique et ce fut le capitaine-médecin Arsène Bognessan Yé, alors directeur central des services de santé des armées, qui s’est prêté à l’exercice d’explication.

Face aux diplomates, selon Me Ferdinand N’Zepa, il s’est présenté comme le porte-parole du Front populaire et en même temps de son président. Le capitaine Yé a expliqué à l’occasion qu’il y avait des tensions entre Sankara et Compaoré et qu’une purge se préparait à 20h et visait le n°2 de la Révolution et d’autres camarades. Ne voulant pas d’affrontements, a-t-il poursuivi, Blaise Compaoré a décidé de l’arrestation de Sankara qui a mal tourné.

Des délégations ont été enfin envoyées à l’extérieur et des versions telles qu’ « une dispute entre des commandos de Pô et la garde rapprochée de Sankara avec son apparition soudaine », « la main levée de Gilbert Diendéré ayant fait croire à une attaque », « le complot de 20h, une fusillade avec des tirs du PF qui ont atteint un gendarme »…ont été des arguments servis.

Des soutiens extérieurs et intérieurs

De l’avis de l’avocat, pour assassiner Thomas Sankara, Blaise Compaoré avait l’assurance du soutien d’un certain nombre de pays parmi lesquels la France, la Côte d’Ivoire et la Libye. A l’intérieur, il pouvait compter sur l’armée avec l’appui notamment de Diendéré et Jean-Pierre Palm, les milieux traditionnels et religieux, les partis politiques comme l’Union des communistes burkinabè (UCB) de Watamou Lamien et le Groupe communiste burkinabè (GCB) de Jean Marc Palm et Salif Diallo.

Par rapport aux mobiles de l’assassinat du père de la Révolution burkinabè, Me N’Zepa a estimé que la divergence politique et idéologique évoquée était une fumisterie servie pour justifier le forfait, car Blaise Compaoré voulait prendre le pouvoir depuis mai 1983. « Ce qui importait à Blaise Compaoré était d’être numéro un à la place du numéro un. Je pense qu’il a beaucoup souffert. Il souffrait d’une maladie que j’appelle  la ‘’sankarite’’, le fait d’avoir du complexe vis-à-vis du charisme de Thomas Sankara.

Et je pense que toute sa vie, il n’a pas supporté de voir que Sankara était particulièrement brillant. Il ne supportait pas d’être à l’ombre de ce personnage. Il a trouvé tous les prétextes pour parvenir à ses fins », a-t-il soutenu. Après Me Ferdinand N’Zepa, Me Anta Guissé, Me Ambroise Farama et Me Olivier Badolo ont expliqué les éléments constitutifs pour lesquels les accusés sont poursuivis. Ces faits sont : attentat à la sûreté de l’Etat, assassinat, recel de cadavres, faux en écriture publique, subornation de témoin, complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat ou assassinat.

Aux dires de Me Farama, il y a une consigne qui veut en droit que personne ne puisse être condamné pour une infraction si celle-ci n’a pas été préalablement établie par la loi. Pour cela, a-t-il dit, il faudrait nécessairement qu’au moment de l’infraction il y ait une loi qui prévoit et qui réprime les faits précis. « Les faits ayant été commis en 1987 pour la plupart, il fallait aller rechercher des dispositions pénales applicables à l’époque des faits.

En l’espèce, il s’agit du Code pénal français de 1810 qui avait été rendu applicable sur les territoires d’outre-mer qui était toujours applicable en 1987 au Burkina Faso. Il fallait aller rechercher dans ces anciens textes pour retrouver en ce qui concerne chaque infraction les éléments qui doivent être réunis pour qu’on puisse dire si l’infraction a été établie ou pas », a-t-il précisé.

Trois éléments essentiels

A l’écouter, il y a en général, trois éléments essentiels : l’élément matériel de l’infraction, l’intention coupable avec la consommation de l’infraction et la sanction prévue pour chaque infraction. « Nous avons essayé au cours de cette première journée, de définir le cadre juridique, de dégager toutes les problématiques de droit. Nous avons terminé par comment se fait la collecte des preuves », a-t-il souligné. Suspendue, l’audience du procès de Thomas Sankara et ses douze compagnons reprend aujourd’hui jeudi 3 février 2022 avec la suite des plaidoiries des avocats des parties civiles. A en croire Me Ambroise Farama, les avocats vont revenir sur les faits pour démontrer le rôle joué par chaque accusé lors du coup d’Etat du 15 octobre 1987.

Timothée SOME

timothesom@yahoo.fr