Conservation des produits maraîchers au Yatenga : La ruée vers les silos, en attendant les chambres froides

Dans les magasins, l’oignon peut être conservé pendant 8 mois.

L’activité maraîchère est en constante progression dans le Yatenga. Chaque année, ce sont des milliers de tonnes de produits qui sortent des champs. Cependant, leur conservation demeure une équation difficile à résoudre. Des greniers artisanaux puis des magasins semi-modernes sont réalisés à cet effet depuis plus de dix ans. Mais leur nombre insuffisant et leurs coûts exorbitants ne sont pas de nature à soulager les producteurs.

Dans la cité de Naaba Kango, ce lundi 22 novembre 2021, l’harmattan annonce déjà ses couleurs. Difficile de rallier le siège de l’Association professionnelle des maraîchers du Yatenga (ASPMY), au secteur 14 de la ville, sans braver les rafales de vent et leur corolaire de poussière. Dès le seuil du portail, des maisonnettes alignées dans la vaste cour attirent l’attention des visiteurs par leur architecture atypique et leur couleur rose. Au nombre de cinq, ces bâtiments rectangulaires sont réalisés en matériaux définitifs.

Les murs sont soit en pierres taillées, soit en blocs de terre compressée. La toiture en tôle est à l’image des habitats des pays côtiers. Chaque édifice dispose d’au moins huit fenêtres, deux portes en grilles et plusieurs minuscules baies d’aération. Loin d’être des logements ou des enclos pour animaux, ces infrastructures sont des magasins de stockage et de conservation des produits maraîchers, notamment l’oignon. A l’intérieur de ces entrepôts, règne une température particulière qui contraste avec celle de l’extérieur. On y trouve deux rangées de lattes en bois étagées, allant du sol bétonné au plafond.

C’est sur ces dispositifs, encore appelés claies, que les bulbes d’oignon sont placés. Selon le Secrétaire général (SG) de l’ASPMY, Mahamadi Ouédraogo, ces magasins peuvent contenir 12 à 15 tonnes (t) d’oignon, pour une durée de conservation de 6 à 8 mois. A quelques enjambées des silos d’entreposage, se dresse un autre bâtiment de même forme mais nettement plus petit. Aucune claie n’est visible en son sein. Seuls des escaliers taillés dans le sol permettent de descendre dans une chambre à plus de trois mètres sous terre.

A ce niveau, le toit est couvert de dalles et la caverne reçoit la lumière du jour par des trous d’aération. Par une large baie, la grotte communique avec un puits, censé jouer le rôle de climatiseur à l’aide de son eau. Cette autre trouvaille de l’ASPMY est une cave souterraine, destinée au stockage et à la conservation de la pomme de terre. Sa capacité de stockage, à entendre ses promoteurs, tourne autour de 10 tonnes, pour une durée de conservation se situant entre 4 et 6 mois. Avec ces unités, l’association achète et stocke les produits maraîchers qu’elle revend au moment opportun.

Des produits hautement périssables

Le SG de l’ASPMY, Mahamadi Ouédraogo : « Les produits conservés peuvent être vendus au triple de leur prix d’achat, voire plus ».

Au secteur 13 de Ouahigouya, cinq magasins sont réalisés entre 2016 et 2019 au profit du groupement Benkadi, l’une des structures spécialisées dans l’achat et la commercialisation de l’oignon. Parmi ces unités, trois ont leur armature en paille et renforcée par du fil de fer. Elles sont appelées Roudou, terme nigérien qui signifie « cases de conservation ». Un peu plus loin, à Tougouzagué, à la périphérie-ouest de la ville, des entrepôts du genre font la ferté du groupement Béogo néré.

Comme ces structures, elles sont nombreuses dans le Yatenga à disposer de magasins d’entreposage semi-modernes grâce à l’appui des partenaires. La mise en place des unités de conservation des produits maraîchers ne relève pas du hasard. En effet, explique le SG de l’ASPMY, la région du Nord et en particulier la province du Yatenga, regorge de potentialités énormes en matière de production maraîchère. Mais le souci majeur des acteurs demeure la conservation de leurs produits qui sont hautement périssables.

« Tout est parti de la mévente des produits maraîchers qu’on a observée dans les années 2004 et 2006 », souligne d’emblée Mahamadi Ouédraogo. Il se souvient qu’à cette époque, l’oignon était produit en abondance dans la zone et bradé systématiquement sur le marché, faute d’infrastructures adéquates de conservation. Pour lui, les pertes post-récoltes se situaient à deux niveaux : le pourrissement du produit et son bradage sur le marché. Le président du groupement Béogo néré, Hamadé Ouédraogo, qui évolue dans la commercialisation de l’oignon depuis une trentaine d’années en sait quelque chose.

Le sexagénaire dit avoir été plusieurs fois victime du pourrissement de son stock. « Avant, j’entreposais l’oignon chez moi dans une grande maison. Mais trois mois après, je perdais la moitié du stock », se remémore amèrement le commerçant. Depuis 2012, son cauchemar semble avoir été dissipé grâce au soutien du Programme d’appui aux filières agro-sylvo-pastorales (PAFASP) qui a offert deux magasins de 12 tonnes chacun à son groupement. Maintenant, M. Ouédraogo dit avoir le sommeil tranquille. Son oignon est vendu désormais au-delà des frontières burkinabè.

A l’écouter, les stocks se constituent généralement entre les mois de mars et d’avril. Une période pendant laquelle le marché est abordable et le sac de 100 kilogrammes (kg) d’oignon se négocie à 12 500 F CFA. Le même sac est remis sur le marché en décembre avec un prix qui franchit parfois la barre de 50 000 F CFA.

Membre du groupement Sougr nooma, Habibou Ouattara produit l’oignon depuis une quinzaine d’années dans la commune de Ouahigouya. Par campagne, elle peut se retrouver avec environ sept sacs de 100 kg d’oignon. Mais le véritable casse-tête, pour elle, est de trouver un lieu pour sécuriser sa production. « Sur les sept sacs, je suis obligée de vendre quatre à vil prix (12 500F le sac) pour pouvoir rembourser mes prêts et faire face à certaines charges familiales. Ensuite, j’aménage un coin de ma maison pour conserver le reste », révèle la quadragénaire.

Un taux de pourrissement de 60%

La construction de ce type de silos n’est pas à la portée des maraîchers.

Malgré l’avènement des magasins semi-modernes de stockage, le problème de la conservation reste d’actualité. Cela est dû, selon Habibou, à l’insuffisance du nombre de ces infrastructures. Sur les 70 membres que compte son groupement, confie-t-elle, seules dix femmes environ arrivent à entreposer leur oignon dans des unités de conservation. « Les autres doivent se résigner et se servir de leur maison pour stocker. Ce n’est pas commode mais on n’a pas le choix », déplore la productrice.

Les pertes post-récoltes des produits maraîchers étaient énormes, selon les acteurs du domaine mais très peu arrivent à avancer des chiffres. Toutefois, le président de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) du Nord, Abdoulaye Bagaya, indique un taux de pourrissement de 60%. De nos jours, ces angoisses sont en passe de devenir un vieux souvenir car, selon ses dires, avec la mise en œuvre des magasins, ce taux tourne désormais autour de 30%.

« On s’est rendu compte que pour pouvoir réguler la vente des produits maraîchers, il fallait mettre l’accent sur la conservation », soutient le SG de l’ASPMY. C’est pourquoi, à l’instar d’autres structures, son association s’est lancée depuis 2008 dans la bataille contre les pertes post-récoltes des produits issus du maraîchage. Les initiatives ont commencé, selon lui, par la création de petites unités individuelles de conservation de l’oignon surtout, pouvant contenir 3 à 4 tonnes.

Ces cases ou Roudou sont faites en bois et en paille, puis améliorées en fer. Ensuite, des entrepôts semi-modernes de grands gabarits (12 à 15 tonnes) ont vu le jour. A ce niveau, l’ASPMY a testé deux matériaux de construction, notamment la terre compressée et la pierre taillée, pour en choisir le meilleur. « Nous avons constaté que les blocs de terre compressée conservent moins bien le produit que les pierres taillées », atteste le SG, Mahamadi Ouédraogo.

Pour lui, les blocs de terre compressée absorbent l’eau après la saison des pluies, occasionnant de l’humidité au sein de l’unité de conservation. Estimant que l’oignon a besoin de fraicheur mais pas d’humidité, il affirme que cette situation peut engendrer le bourgeonnement puis le pourrissement du produit. « Par contre avec les pierres taillées, l’aération est parfaite et le taux de pourrissement se situe entre 4 et 8%, pour une durée de conservation de 6 à 8 mois », se convainc M. Ouédraogo.

Les coûts exorbitants des silos

Habibou Ouattara, productrice maraîchère à Bogoya : « Très peu de femmes accèdent aux magasins pour conserver leurs produits ».

La naissance des silos de conservation a été accueillie comme une aubaine au sein des producteurs maraîchers du Yatenga mais leur nombre reste en deçà des attentes. Cela est dû, selon eux, à leurs coûts de réalisation jugés exorbitants. Le SG de l’ASPMY est du même avis lorsqu’il révèle que la construction de leurs entrepôts a coûté entre 7 et 9 millions F CFA l’unité et la cave souterraine à 10 millions F CFA.

Les conserveries les moins chères semblent être les Roudou dont la réalisation avoisine 800 mille F CFA chacune. « Des coûts qui ne sont pas à la portée des producteurs. D’où le besoin de l’accompagnement de l’Etat ou des structures partenaires », plaide Mahamadi. Pour résoudre un tant soit peu ces difficultés, les maraîchers ont préféré s’organiser en groupements pour une gestion collective des unités de stockage.

Avec ses 12 membres, le groupement Béogo néré gère trois magasins et peut les louer à d’autres producteurs en cas de besoin. L’ASPMY en fait autant au cas où certains de ses silos sont inoccupés. « Actuellement, nous avons proscrit les acquisitions individuelles des magasins. Ce sont des biens communs où on permet à tous nos membres de pourvoir conserver leurs produits », relève son SG. Cette structure ne compte pas s’arrêter en si bon chemin dans la réalisation des conserveries.

Elle a, à cet effet, entamé la construction de quatre autres magasins à Bogoya, à la périphérie-nord de Ouahigouya, grâce à l’appui du projet « Drops for crops ». Mais son ambition va au-delà. L’ASPMY envisage, souffle Abdoulaye Ouédraogo, l’un de ses techniciens, de mettre en place des unités plus grandes pouvant conserver 50, voire 100 tonnes de produits. Ces gigantesques magasins seront-ils enfin la solution tant recherchée ? Le chef de service régional de la promotion de l’économie rurale du Nord, Ouango Tiendrebéogo, n’est pas si sûr.

Car, à son avis, les silos ne sont pas à cent pour cent fiables. C’est pourquoi, il recommande d’aller impérativement vers des infrastructures plus modernes telles que les chambres froides. Le président de la CRA du Nord partage cette opinion. Il se réjouit déjà que des projets d’érection de deux chambres froides soient en cours à Ouahigouya. Il s’agit, dévoile-t-il, de la construction d’une chambre froide d’une capacité de 5000t, extensible à 10 000t, lancée par la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina et de celle d’une chambre froide solaire de 400t, pilotée par le projet Neer Tamba.

En outre, mentionne M. Bagaya, les grands magasins de la plateforme maraîchère de la ville qui étaient inutilisés jusque-là sont en train d’être rénovés grâce à un appui financier de la Banque mondiale. « Le jour où on aura toutes ces chambres froides fonctionnelles, on pourra résoudre les problèmes de conservation dans notre région », espère-t-il. En attendant la concrétisation de ce rêve, les maraîchers doivent se contenter de l’existant. A ce niveau aussi, plusieurs aspects sont à corriger.

Mahamadi Ouédraogo de l’ASPMY pointe un doigt accusateur sur le faible renforcement des capacités des producteurs et la non-maitrise des techniques de conservation. Le commerçant d’oignon, Hamadé Ouédraogo, confirme ces insuffisances qui contribuent à accentuer les pertes post-récoltes. « Le véritable problème, ce sont les producteurs. L’oignon produit avec des engrais chimiques ne tarde pas à pourrir, une semaine après l’entreposage.

Donc, pour réussir la conservation, il faut savoir faire le choix du produit », clame-t-il. Pour sa part, le technicien d’agriculture, Ouango Tiendrebéogo, assure que des activités de sensibilisation, d’information et de formation des acteurs sont régulièrement menées par son service en vue d’y apporter des solutions.

Aucune conserverie pour la tomate

Selon le DR en charge du commerce du Nord, Mahamadou Zoré,
le coronavirus est venu rappeler l’insuffisance des magasins
de conservation.

Parmi la panoplie des produits maraîchers, seuls l’oignon et la pomme de terre font l’objet de conservation dans les silos pour le moment. Malgré la forte production de la tomate dans le Yatenga, aucun grenier artisanal ou semi-moderne destiné à sa conservation n’a été trouvé à ce jour.

Sur ce point, M. Tiendrebéogo ne passe pas par quatre chemins pour affirmer qu’il n’y a aucune autre solution que les chambres froides. Dans le cas contraire, il préconise la transformation pure et simple. « Il y a des produits comme la tomate qu’il faut forcément transformer avant de conserver », tranche-t-il. En attendant, ce sont les acheteurs ghanéens qui se frottent les mains. Chaque année, ce sont eux qui fixent, à leur convenance, les prix de la tomate au détriment des producteurs burkinabè.

« C’est le manque d’organisation des maraîchers qui favorise cela », estime le Directeur régional (DR) de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat du Nord, Mahamadou Zoré. Il accuse certains producteurs qui, pour des intérêts égoïstes, sont de mèche avec les Ghanéens, en les amenant directement faire des achats bord-champ. Alors qu’à l’entendre, si les maraîchers évoluaient en interprofession, les prix planchés seraient fixés par l’Etat et les acheteurs munis d’agréments.

« Cela allait faciliter le contrôle de nos agents sur le terrain. Toutefois, si les producteurs nous interpellent, nous pouvons obliger les Ghanéens à fixer des prix qui arrangent tout le monde », rassure M. Zoré. Outre l’ASPMY, d’autres organisations de producteurs excellent également dans la réalisation des cases de conservation. Malgré tout, la hantise des pertes post-récoltes est toujours présente chez nombre de maraîchers. C’est pourquoi, d’autres acteurs s’accordent à dire que leur salut viendra probablement de la transformation.

Mady KABRE