Plaine rizicole de Bama : La mécanisation, l’autre paire de manches

Cette moissonneuse batteuse est la seule sur la plaine de Bama.

Le périmètre irrigué de la vallée du Kou, sis à Bama, à une trentaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso, région des Hauts-Bassins, souffre d’un mal profond. Malgré sa renommée et sa vieillesse (plus de 50 ans), il n’a pas encore atteint la mécanisation intégrale. Sur cette plaine rizicole, les outils rudimentaires et modernes se côtoient au quotidien.

Au milieu d’un tas de « foin », Aguirata Sawadogo et ses deux mômes font tonner le sol à coups de bâton. Les visages dégoulinant de sueur, ils sont à la ‘’chasse’’ du moindre grain de riz encore enfoui dans les résidus. Aguirata indique qu’une batteuse motorisée est passée par là mais apparemment, le travail n’a pas été parfait. A un jet de pierre de son lieu, un autre groupe de dames en fait autant.

La même scène s’observe un peu partout. En cette matinée du 27 décembre 2021, la plaine rizicole de Bama est envahie par des femmes, assistées parfois de leurs enfants. Pendant que certaines multiplient les coups de bâton dans la paille, d’autres profitent du vent pour vanner le fruit de leur effort, à savoir le riz paddy. C’est presque la fin des récoltes sur le périmètre aménagé de la vallée du Kou. Les producteurs les plus prompts sont déjà à la tâche pour le labour ou le repiquage.

Mais le hic est que sur cette plaine, vieille de plus de 50 ans, la plupart des activités, notamment le repiquage, le désherbage, le fauchage et le vannage, sont toujours exécutées à la main ou à l’aide d’outils rudimentaires. C’est dire que le défi de la mécanisation reste entier sur ce périmètre rizicole. « Depuis la création de la plaine dans les années 1970 jusqu’à nos jours, nous utilisons toujours les mêmes outils comme la daba pour repiquer et les faucilles pour récolter », témoigne le président de l’Union des coopératives rizicoles de Bama (UCRB), Zoumana Sanou.

La mécanisation est partie de l’introduction des charrues à traction bovine pour le labour, des motoculteurs pour le concassage et la mise en boue et des batteuses motorisées pour le battage. Organisés en neuf coopératives avec au total 1 385 membres, les producteurs trouvent ces équipements insuffisants au regard de leur nombre sur la plaine. « Si chaque coopérative avait au moins deux motoculteurs, cela allait nous soulager. Mais il y en a qui n’en ont même pas », déplore M. Sanou. Zakaria Ouédraogo est producteur rizicole à la coopérative 4.1 et par ailleurs Secrétaire général (SG) de l’UCRB. Son groupement a eu la chance d’avoir deux motoculteurs.

2 motoculteurs pour 139 personnes

Malgré tout, le besoin demeure pressant. Deux motoculteurs pour 139 membres qui exploitent 118,25 hectares (ha), Zakaria estime que cela s’apparente à une goutte d’eau dans une mer. « C’est insuffisant mais on fait avec », se résigne-t-il, avant de préciser qu’à défaut des machines, beaucoup font recours aux charrues afin de pouvoir respecter le calendrier agricole.

Tout en reconnaissant l’insuffisance du matériel agricole, le responsable de la plaine, Gaoussou Sidibé, soutient qu’il est difficile de satisfaire les nombreux besoins des producteurs. Par ailleurs, il affirme ne pas pouvoir donner avec exhaustivité le nombre de motoculteurs dont dispose la plaine. « Il est difficile de dénombrer ces machines car, il y en a qui sont en panne et d’autres en activité.

Le responsable de la plaine de Bama, Gaoussou Sidibé : « La demande est forte avec peu de matériel disponible ».

L’an passé, nous avons acquis 5 motoculteurs et une autre opération de dotation est en cours », détaille-t-il. Nombre de producteurs justifient le faible niveau de mécanisation de leurs activités par le manque de moyens financiers. Pour le président de l’UCRB, hormis les coopératives, seuls les producteurs nantis peuvent se permettre d’acheter des motoculteurs qu’ils louent par la suite à ceux qui n’en ont pas. Zoumana Sanou dénonce également des lenteurs dans la dotation de la plaine en charrue.

« La récente dotation remonte à 2015. Chaque fois, on apprend qu’il y a des dons de matériel agricole mais c’est destiné aux producteurs qui sont hors plaine », fait-il savoir. Ousmane Roanga, la soixantaine révolue, fait partie des premiers producteurs du périmètre irrigué. Faute de moyens, il se rabat toujours sur sa coopérative auprès de laquelle il loue charrues et motoculteurs pour pouvoir exploiter sa parcelle d’un ha.

A l’entendre, il n’est pas du tout aisé d’acquérir les équipements agricoles de façon individuelle. C’est pour juguler ces difficultés que l’Etat a entrepris de subventionner le matériel agricole destiné à la plaine. Ainsi, des motoculteurs à prix étudiés sont mis à la disposition des producteurs. « Un motoculteur sur le marché coûte plus de 3 millions F CFA, alors qu’on le cède ici à 700 mille F CFA », informe le responsable de la plaine.

Un prix qui semble être un cadeau, de l’avis de Gaoussou Sidibé. Et le Directeur provincial (DP) de l’Agriculture, des Aménagements hydro-agricoles, de la Mécanisation, des Ressources animales et halieutiques du Houet, Pascal Adanabou, de souligner que ces coûts n’ont rien à avoir avec les prix réels sur le marché.

60% de couverture en motoculteurs

Avec la subvention de l’Etat et le soutien des partenaires, il dit estimer la couverture de la

plaine en motoculteurs à environ 60%. Toutefois, le DP admet que beaucoup d’efforts restent encore à faire pour une couverture totale. En attendant, il exhorte les producteurs à mieux s’organiser pour pouvoir acheter des motoculteurs. « On sait que l’acquisition individuelle du matériel est compliquée.

C’est pourquoi, nous avons mis en place des Coopératives d’utilisateurs du matériel agricole (CUMA) qui existent dans toutes les communes. A ces coopératives, on leur donne un motoculteur ou un tracteur pour qu’elles puissent aussi faire du profit à travers des prestations de service », explique M. Adanabou. Du côté de l’UCRB, cette proposition passe comme une pilule amère à avaler.

Le président Zoumana Sanou avoue ne pas comprendre pourquoi on demande à des producteurs déjà organisés en coopératives de « s’organiser » encore pour bénéficier de matériel. « Pourquoi ne pas remettre les motoculteurs directement à notre union, étant donné qu’elle est déjà organisée ? », s’interroge-t-il. Pour lui, la mise en place d’une CUMA nécessite à peu près la somme de 65 mille F CFA inhérente aux frais de dossiers. « Pour des gens qui sont pauvres, ce n’est pas facile.

Sur la plaine, ce sont les coopératives qui ont pu monter les CUMA qui ont bénéficié récemment de trois motoculteurs », relève M. Sanou. Pourtant, le DP en charge de l’agriculture du Houet se dit convaincu que c’est par cette méthode qu’on peut bien gérer les équipements subventionnés. En outre, M. Adanabou signale que l’appui de l’Etat ne doit pas empêcher les producteurs d’acquérir du matériel sur fonds propres. « Il faut que de plus en plus, on quitte cet esprit d’assistanat.

Si les producteurs de la plaine étaient très bien organisés, ils pouvaient engranger un milliard F CFA par an », foi du DP. A travers les prestations, les coopératives font des recettes avec le matériel dont elles disposent. Pour bénéficier du service du motoculteur dans la coopérative 4.1 par exemple, chaque membre est tenu de verser la somme de 32 000 F CFA pour un ha.

En 2020, l’un des partenaires, en l’occurrence le Projet Centres d’innovations vertes du secteur agro-alimentaire (ProCIV), a gracieusement offert une moissonneuse batteuse à la plaine. De quoi apporter du baume au cœur des bénéficiaires qui ne cessent d’exprimer leur satisfaction. Mais faute d’expertise locale, selon le président de l’UCRB, c’est seulement en 2021 que la machine a commencé à vrombir sur la plaine.

« Personne à Bama ne maitrisait la moissonneuse batteuse. C’est un technicien de Bagré qui est venu nous former à son utilisation. Pour la présente campagne, nous avons pu récolter au moins 100 ha de riz », se réjouit Zoumana Sanou.

1 500 tonnes de pertes post-récolte par an

Le responsable de la plaine de Bama, Gaoussou Sidibé : « La demande est forte avec peu de matériel disponible ».

Le sexagénaire Ousmane Roanga affiche également la même joie lorsqu’il affirme que la moissonneuse batteuse leur apporte un peu de repos, parce qu’elle fait, à elle seule, le travail d’environ dix personnes. Pour sa part, Aguirata Sawadogo déclare qu’avec cette grosse machine, ce sont les pertes post récolte qui s’en trouvent réduites. Car, précise-t-elle, l’outil permet de faucher, de battre et de vanner en même temps et aucun grain de riz n’est observé dans les résidus « Avec les petites batteuses, on était à 15% environ de pertes post-récolte.

Mais avec la moissonneuse batteuse, ces pertes sont réduites à 2% », confie M. Sanou. Selon lui, ce sont ces pertes qui expliquent qu’après les récoltes, les femmes prennent d’assaut la plaine pour ramasser les grains de riz tombés. Et certaines, à en croire le président de l’UCRB, s’en sortent parfois avec 10 sacs de 100 kg de riz paddy. En somme, sur les 10 000 tonnes de riz que la plaine génère par an, il estime les pertes à 1 500 tonnes. D’où le soulagement d’avoir la moissonneuse batteuse. Outre cela, la machine permet aussi à l’union de faire des recettes.

Sa prestation sur le périmètre irrigué est fixée à 38 200 F CFA l’ha et à 60 000 F CFA en hors plaine. L’objectif, selon M. Sanou, est de rendre d’abord service aux membres de l’union. Ces prestations ont permis de renflouer les caisses de l’UCRB mais les pannes techniques les vident de sitôt.

« Compte tenu des nombreuses dépenses, nous allons revoir les coûts de prestation. On envisage augmenter les prix à 60 mille F CFA/ha sur la plaine et à 75 mille F CFA en hors plaine », révèle le président de l’UCRB. Les producteurs rizicoles sont unanimes à dire que la mécanisation agricole est plus qu’indispensable de nos jours. Pour contribuer non seulement à booster les rendements mais aussi à résoudre la question de la main d’œuvre, devenue lancinante du fait de l’orpaillage.

Cependant, nombre d’entre eux pointent du doigt la qualité de certains motoculteurs acquis à prix subventionnés. Pour le SG de l’UCRB, Zakaria Ouédraogo, le souci n’est pas le coût des machines subventionnées mais leur qualité qui laisse parfois à désirer « Les pannes sont récurrentes sur les motoculteurs. C’est pourquoi, nous sommes un peu démotivés pour une acquisition de masse », avance-t-il.

Ses propos sont confirmés par son président. Zoumana Sanou ne va pas aussi par quatre chemins pour émettre des doutes sur la performance des équipements reçus. « Le matériel subventionné est de qualité » « Certaines machines subventionnées ne sont pas de qualité. Dans ma coopérative, nous n’avons pas pu récupérer les 700 mille F CFA, car le motoculteur tombe fréquemment en panne et nous crée des dépenses », raconte-t-il, l’air pensif. Par contre, nuance-t-il, les motoculteurs acquis récemment sont de bonne qualité et peuvent labourer chacun 2 ha par jour.

Le DP en charge de l’agriculture du Houet est, quant à lui, catégorique : « Je peux vous certifier que les motoculteurs fournis par l’Etat et les partenaires sont de qualité ». Comme tout appareil, souligne-t-il, les pannes peuvent survenir mais elles ne peuvent pas être un grand handicap. Pascal Adanabou met plutôt en doute la qualité du carburant et des huiles de moteur utilisés par les producteurs.

C’est avec le cœur meurtri qu’il raconte ce qu’il a constaté un jour chez un producteur, bénéficiaire d’équipement agricole : « J’étais fâché avec un des bénéficiaires de nos tracteurs lors d’une tournée. Celui-ci prend les huiles usées de vidange chez les mécaniciens pour faire fonctionner sa machine. Ces tracteurs qui sont de qualité ne peuvent pas admettre de l’huile frelatée ».

Par conséquent, le DP clame et persiste que la qualité du matériel subventionné ne souffre d’aucun débat mais c’est plutôt l’entretien qui fait défaut. Même son de cloche chez Gaoussou Sidibé, le responsable de la plaine, qui affirme n’avoir pas eu vent de difficultés quelconques relatives à l’utilisation des motoculteurs. En effet, mentionne-t-il, des techniciens ont été formés pour assurer la maintenance des équipements.

« A Bama, nous avons formé au moins quatre maintenanciens pour subvenir aux pannes des machines. Avant, il fallait les faire venir de Ouagadougou mais aujourd’hui, ils sont sur place à Bama et à Bobo-Dioulasso », assure M. Adanabou. Lancée en 2020, l’usine de montage de tracteurs, basée à la périphérie-ouest de Bobo-Dioulasso, est fonctionnelle.

Le DP en charge de l’agriculture du Houet, Pascal Adanabou : « L’an passé, nous avons doté la plaine de cinq motoculteurs ».

Ce qui peut paraitre aux yeux des producteurs comme une aubaine n’enchante pourtant pas trop ceux de la plaine rizicole de Bama. La raison est qu’aucun tracteur n’est utilisé sur le périmètre irrigué.

La réhabilitation de la plaine en perspective

« Quand on voit comment la plaine est aménagée, avec des casiers, on ne peut pas y travailler avec un tracteur », justifie le DP Adanabou.

Pour lui, ce ne sont pas les tracteurs qui manquent mais leur utilisation risque de détruire les diguettes. En lieu et place, ce sont des motoculteurs à prix subventionnés qui sont mis à la disposition des producteurs de la plaine. Des raisons qui ne semblent pas trop convaincre les riziculteurs.

« Quand nous posons la question aux autorités, elles disent toujours la même chose. Alors qu’à Bagré, les tracteurs y travaillent. Ces outils peuvent pourtant nous aider », réplique leur président, Zoumana Sanou. Qu’à cela ne tienne, la plaine rizicole de Bama a besoin d’être dynamisée à travers une mécanisation intégrale. L’atteinte de l’objectif présidentiel, produire un million de tonnes de riz, en dépend.

Un défi que les producteurs et les autorités agricoles du Houet tiennent vivement à relever. « Nous sommes en train de vouloir réhabiliter la plaine pour lui permettre d’être plus dynamique. Avec le programme présidentiel, il faut revoir beaucoup de choses. Sur la plaine, on avait six agents d’agriculture pour encadrer les producteurs mais aujourd’hui ce nombre est passé à onze », fait savoir le DP Adanabou. A cet effet, il annonce qu’en 2022, la plaine sera encore dotée d’équipements et surtout ceux post-récolte, c’est-à-dire de fauchage, de battage, de vannage…

Mady KABRE