Orpaillage dans la commune de Bokin : Un péril environnemental irréversible

Même si elles n’entrent pas dans les galeries, les femmes ne sont pas en reste dans l’orpaillage.

La commune rurale de Bokin est en proie aux effets pervers de l’orpaillage, surtout sur son environnement. Elle fait partie des deux communes du Passoré où l’impact du phénomène est plus criant. Massacre du couvert végétal, destruction irréversible des sols, pollution chimique des eaux souterraines et de surface, sont autant de méfaits qui menacent la nature et les autres êtres vivants de la commune.

Au pied d’une chaine de montagnes à Tanghin, dans la commune de Bokin, province du Passoré, des jeunes s’activent, contre vents et marées, à la recherche de leur pitance quotidienne à travers l’orpaillage.

Par endroits, des blocs de terre se sont affaissés, donnant la chair de poule lorsqu’on s’y approche.

Sur le site, ce lundi 13 juin 2022, l’ambiance semble morose. Sous les hangars de fortune dressés pêle-mêle, quelques orpailleurs se prélassent. Pendant que certains, le corps et les vêtements rougis par la terre, concassent le granite à l’aide de marteaux, d’autres le réduisent en poudre par le biais des moulins.

Un écran de poussière étouffante envahit l’espace. Plusieurs hangars sont orphelins de leurs occupants. Ils sont, soit au fond des galeries, soit partis vers d’autres sites d’or. Malgré tout, les quelques coups de marteaux qui s’entremêlent aux toussotements des machines dégagent un bruit des plus assourdissants.

A un jet de pierre de ces abris faits de poutres en bois, de paille et de bâches, des galeries à ciel ouvert s’étalent. Difficile de marcher dans ce champ de trous aussi profonds les uns que les autres sans y tomber. Plusieurs animaux des riverains ont déjà payé le prix.

Marcher sur certains sites d’or s’apparente à la traversée d’un champ de mines anti-personnelles.

Oussou Ouédraogo, fils de Tanghin, garde encore fraichement un douloureux souvenir. Il y a dix jours de cela, l’une de ses vaches est morte au fond d’un trou. « Si je devais la vendre, je pouvais empocher entre 200 et 250 mille F CFA », regrette Oussou qui est lui-même un orpailleur.

Un large ravin dont la longueur avoisine 200 mètres s’étend jusqu’au flanc de l’une des élévations. On a du mal à croire que ces excavations ont été faites à la main. Leurs parois escarpées, rongées par les eaux de pluie et leur profondeur donnent le tournis lorsqu’on s’y approche.

Sur les bords, un arbre dont la vie ne tient qu’à un fil a l’air de flotter. Une partie de ses racines ayant été détruite, sa chute dans le vallon est imminente. Ce cratère ouvert depuis plus de dix ans, est aujourd’hui à l’abandon.

Du bois sauvage fraichement découpé pour soutenir les galeries au site de Somdamesma.

Des trous partout

Ayant constaté une baisse de la teneur du minerai, les orpailleurs ont décidé de décamper pour d’autres trous plus « juteux ». Il serait prétentieux de vouloir compter le nombre de trous inutilisés sur le site.

100 ? 200 ? 300 ? Personne ne saurait donner la réponse exacte. Dans notre randonnée, nous tombons sur des motos garées sous un arbre mais point de présence humaine. Il y a plusieurs heures que les propriétaires se sont engouffrés dans les entrailles de la terre, aux dires de Oussou Ouédraogo.

L’ex-1er adjoint au maire de Bokin, Mikaïlou Bah : « L’orpaillage est fait dans l’anarchie, sans consulter la municipalité ».

Déterminés à dénicher le métal jaune, ils ne ressortiront pas de sitôt. Le visage du paysage, lui, a complètement changé. Les végétaux ont fait place aux monticules de terre et aux innombrables cavités externes et souterraines.

Au nord des abris des orpailleurs, la même observation est faite. Des trous abandonnés partout. Un peu plus loin, une carrière, également à l’abandon complète le décor. Elle appartiendrait à l’ex-maire de Bokin, Sayouba Sawadogo alias Sayoub Sanem, à en croire Sita Ouédraogo, un autre orpailleur.

Dans les environs, trouver un arbre géant relève d’un parcours du combattant. Les ligneux ont fait les frais des inconditionnels de l’or. Ils sont utilisés, soit pour ériger leurs abris, soit pour soutenir les galeries. Seuls les arbustes résistent encore.

Mais pour combien de temps ? Dans leur course effrénée vers le minerai, les orpailleurs semblent prêts à tout, même au prix de leur vie. Les exploitations agricoles des riverains ne sont pas non plus à l’abri.

Au côté sud de la montagne, un espace aménagé sert à traiter et à extraire l’or après broyage et lavage des résidus du minerai. Ce centre de traitement qui se fait au cyanure est protégé par un grillage et la porte d’accès par un morceau de seccos.

Cette palissade empêche les animaux d’y avoir accès, aux dires de notre guide, Oumarou Ouédraogo. A l’entendre, les ruminants adorent les eaux cyanurées. La conséquence est qu’ils en meurent peu de temps après avoir ingurgité quelques gorgées. Plusieurs animaux en ont déjà été victimes, informe le guide.

Autre lieu, même constat amer. Au quartier Somdamesma, situé à environ une lieue de là, un site aurifère, vieux de plus de 30 ans, attire toujours les orpailleurs. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les chercheurs d’or ont désorganisé la texture du sol et offert un autre faciès à la nature.

Des trous béants, des galeries profondes, des monticules de terre ou de granite… s’étendent à perte de vue. L’affluence n’est pas non plus au rendez-vous. La plupart des trous sont délaissés. Malgré tout, quelques assoiffés d’or sont présents. Adama Ouédraogo et ses coéquipiers s’affairent autour d’une fosse, profonde d’environ 70 mètres (m).

A l’aide d’une motopompe, ils s’évertuent à évacuer l’eau qui a commencé à inonder la galerie. Sans quoi, ils ne pourront pas poursuivre leur activité. Une odeur de putois provenant de cette eau, à l’apparence pourtant limpide, embaume l’air et le rend irrespirable.

A travers un tuyau, elle est projetée plus loin en direction de la zone basse. Venu de son Ziniaré natal, Adama indique qu’il obtient l’or mais pas assez comme il l’aurait souhaité. Une équipe d’au moins sept personnes l’accompagne dans cette activité et chacune attend sa part de gâteau.

Le chef de Téma, Naaba Têgré : « J’invite les orpailleurs à beaucoup plus de discipline et de citoyenneté ».

Dans son ruissellement, l’eau évacuée de la fosse est interceptée par des femmes, aussi engagées dans l’orpaillage. Elles la stockent dans plusieurs bassins formés avec des mottes de terre. Cette eau dans laquelle elles pataugent toute la journée sert au lavage des résidus de minerai.

Aucune chance pour les végétaux

Parmi ces orpailleuses, Safi Ouédraogo. Munie de coupelles, la trentenaire « nage » dans l’un des bassins à la recherche du moindre gramme d’or. Un travail qu’elle exécute, tout comme les autres, avec les mains et les pieds nus et sans cache-nez.

A ses côtés, son môme de deux ans environ trouve du plaisir à barboter dans ce liquide boueux et odorant. « Je ne veux pas rester à la maison à ne rien faire, sinon ce travail est harassant et dangereux », se lamente Safi, tout en estimant son gain journalier entre 5 000 et 10 000 francs CFA. 

N’ayant pas le courage de s’engouffrer dans les galeries comme les hommes, les dames ont préféré fouiner en surface. Leur passage ne laisse aucune chance aux végétaux.
Oumarou Ouédraogo est presqu’un doyen sur le site de Somdamesma, créé depuis en 1985.

Il y est depuis 20 ans

De ses explications, au début, on n’avait pas besoin de creuser des trous profonds pour trouver l’or. Il était en surface. Mais au fil des ans, le métal jaune s’est réfugié dans les entrailles de la terre, obligeant parfois les orpailleurs à descendre jusqu’à 80 m de profondeur.

Oumarou et ses deux coéquipiers viennent de changer de fosse. Pour le moment, ils ne sont qu’à 20 m de profondeur. Le bout du tunnel semble encore loin mais ils n’entendent pas lâcher prise. « On peut creuser un trou sans rien gagner mais on garde espoir », fait remarquer l’orpailleur Oumarou.

Dès qu’un trou n’est plus rentable, un autre est entamé sans que le précédent ne soit refermé et ainsi de suite. Aujourd’hui, c’est un désastre écologique qui est donné à voir en ces lieux.

Outre la destruction du sol, on constate une coupe anarchique des arbres dont le bois est utilisé pour soutenir les galeries. Beaucoup d’orpailleurs affirment se servir du bois de l’eucalyptus qu’ils achètent entre 3000 et 5000 F CFA l’unité. Pourtant, des tas de ligneux frais d’arbres sauvages entreposés ici et là trahissent leurs assertions.

Des sites d’or dans tous les villages

A l’image de ces deux sites, plusieurs exploitations artisanales d’or sont disséminées sur toute l’étendue du territoire communal de Bokin. Le chef de service de l’environnement de Bokin, le lieutenant des eaux et forêts, Arzouma Traoré, indique que presque tous les villages sont touchés par l’orpaillage.

De l’avis du DP en charge de l’environnement du Passoré, Koudougou Kaboré, les sites d’orpaillage peuvent être réhabilités, s’il y a la volonté.

Ses propos sont corroborés par le Directeur provincial (DP) en charge de l’environnement du Passoré, l’inspecteur des eaux et forêts, Koudougou Kaboré qui relève que 70 sur 100 jeunes pratiquent l’orpaillage dans la province.

Sur les neuf communes que compte le Passoré, avance-t-il, seules deux, Latodin et Bagaré, font l’exception. Sur les sept autres communes touchées, deux ont la palme d’or de l’orpaillage parce qu’il se pratique quasiment dans tous les hameaux, selon le DP Kaboré. Et dans chaque village, précise-t-il, il y a plusieurs sites qu’on ne peut dénombrer.

Mais le hic est qu’aucune mine industrielle n’est installée dans la province. Seuls des sites semi-mécanisés s’y trouvent, à écouter le forestier Kaboré. Même s’il reconnait les retombées positives de l’or pour les populations, le revers de la médaille est loin d’être reluisant.

Pour le chef de service de l’environnement de Bokin, Arzouma Traoré, la sanction en cas de coupe de bois vert est, soit l’amende, soit la plantation d’arbres.

De sa conviction, le chef de service de l’environnement de Bokin soutient qu’on ne peut pas creuser des trous d’or sans empiéter sur le couvert végétal. « La coupe du bois est permanente. Les racines des arbres sont détruites, entrainant leur mort. Il y a le cyanure qui se retrouve dans la nappe souterraine, mettant notre vie et celle des animaux en danger », note Arzouma Traoré.

La conséquence qui en découle, selon lui, est le réchauffement climatique et la faiblesse de la pluviométrie. Tanghin, Gorki, Gouèra, Guéré, Yaké, Lawaya… sont autant de bourgades de la commune qui abritent des camps d’orpailleurs.

Mikaïlou Bah est l’ex- 1er adjoint au maire de Bokin. Elu en 2016, il a été débarqué avec ses coéquipiers en janvier 2022 à la suite du coup d’Etat. A l’entendre, aucun site d’or n’a acquis une autorisation d’exploitation du temps de leur fonction. Les sites artisanaux d’or surgissant toujours à l’improviste.

Le traitement du cyanure présente un réel danger pour l’environnement et les êtres vivants.

« C’est quand nous apprenons la création d’un nouveau site d’or dans une localité que la mairie se déplace pour taxer les orpailleurs afin de renflouer ses caisses. Sur chaque trou, on perçoit 10 000 F CFA », informe-t-il.

Là aussi, la tâche semble ardue car, à écouter M. Bah, beaucoup sont réfractaires à la perception des taxes. Normalement, martèle le DP Kaboré, toute exploitation d’or de quelque nature que ce soit doit nécessairement passer par une étude d’impact environnemental et social.

Mais face à l’orpaillage, les forestiers sont mis devant le fait accompli. « C’est seulement au niveau des sites semi-mécanisés qu’on demande une notice d’impact environnemental pour réparer et rattraper ce qui n’a pas été fait au départ », clarifie l’inspecteur des eaux et forêts.

Mikaïlou Bah est d’avis que l’orpaillage a des conséquences désastreuses sur sa commune. Il cite, entre autres, la destruction de l’environnement et les éboulements à répétition, avec malheureusement des cas de décès.

Une possible réhabilitation, mais…

Au site de Lawaya, les nombreuses tombes qui peuplent le cimetière des orpailleurs illustrent cet état de fait. « Après l’extraction de l’or, les trous ne sont pas refermés et les animaux y tombent. Récemment, l’un de mes bœufs a péri dans une fosse », se désole l’ancien maire adjoint.

L’orpailleur Oumarou Ouédraogo assure que lui et ses camarades vont quitter les trous dès l’installation des pluies.

Le chef de Téma, Naaba Têgré, embouche la même trompette en soulignant que le péril environnemental est perceptible dans la commune. « Dès qu’il y a un filon, les gens vont creuser sans autorisation ni encadrement.

Quand vous parlez, ils rétorquent qu’ils cherchent à manger », déplore le chef coutumier. Pour lui, il est vrai que l’orpaillage constitue une source de revenus pour les populations, mais il ne faut pas omettre les multiples désagréments qu’il engendre.

Les larges ravins, l’utilisation de substances toxiques telles que le mercure et le cyanure, la pollution des eaux et des sols, sont, entre autres, les méfaits de l’orpaillage sur la nature et les autres êtres vivants, décelés par Naaba Têgré. Pour cela, il appelle de tous ses vœux l’Etat à prendre ses responsabilités afin de limiter les dégâts.

De leur côté, les forestiers avouent assister impuissants à ce péril environnemental, nonobstant les sorties de dissuasion et de sensibilisation. Les ressources humaines et matérielles font défaut, selon eux.

« Nous ne sommes pas nombreux pour contrôler partout », estime le DP Koudougou Kaboré. Même les mesures gouvernementales qui ordonnent la fermeture des sites d’or en hivernage sont foulées aux pieds.

De l’avis du DP en charge de l’environnement du Passoré, Koudougou Kaboré, les sites d’orpaillage peuvent être réhabilités, s’il y a la volonté.

« Nous demandons à l’Etat de revoir sa décision parce que nous n’avons pas un autre travail que l’orpaillage », plaide, pour sa part, Adama Ouédraogo. Au regard de la complexité du phénomène, le DP finit par lâcher : « Il ne faut pas qu’on se leurre, on ne peut pas interdire l’orpaillage ».

L’alternative qu’il propose est de règlementer l’installation des orpailleurs et de leur imposer des taxes qui serviront à réhabiliter les sites.

Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr