Retour des diplômés à la terre : Des cerveaux au service des muscles

Ali Ouattara en train d’appliquer l’engrais sur son champ d’arachide. Sidwaya.info/carrefour

Devenir agriculteur après les études était considéré dans la société burkinabè comme un échec. Aujourd’hui, des diplômés font carrière dans l’agriculture. Une visite en juin 2022, dans certaines de leurs fermes situées dans les Hauts-Bassins, montre qu’ils s’en sortent bien. Reportage.

La saison des pluies s’est installée dans la ville de Bobo-Dioulasso. Les terrains inexploités et les abords des voies sont tout de vert vêtus. Ce mardi 14 juin 2022, de grosses gouttes d’eau arrosent encore la ville lorsque Alizèta Rouamba prend la route de sa ferme située à Kouremangafesso, commune rurale de Karangasso-Vigué, sur l’axe Bobo-Diébougou.

La visibilité n’est pas bonne sur la route mais pour une fermière habituée à la pénibilité des travaux champêtres, ce n’est rien. Titulaire d’un diplôme de technicien supérieur d’agriculture, Mme Roumba a préféré opter pour la terre et elle en est fière.

Alizèta Rouamba, DG de Liza ferme, est fière d’embrasser une carrière d’agricultrice. Sidwaya.infos/carrefour

« Je veux que les jeunes comprennent que ce n’est pas ceux qui ont échoué à l’école qui retournent à la terre », dit-elle, souriante entre deux secousses. Chemin faisant, Mme Rouamba confie qu’elle a créé «Liza ferme » en tant qu’entreprise agricole au sein de laquelle elle occupe le poste de Directrice générale (DG) et son époux, celui de Président-directeur général (P-DG).

Une demi-heure plus tard, nous arrivons à destination. Par-ci, ce sont des poulaillers, un enclos pour petits ruminants et des ruches. Par là, un site de fabrication du compost. Juste devant, c’est un vaste champ en attente d’être labouré qui se dévoile. « On y sèmera du maïs », précise-t-elle.

Moussa Ouattara ne regrette pas son choix. Sidwaya.info/carrefour

Le milieu rural n’échappe pas à l’évolution du monde. Liza ferme s’y adapte à son rythme. « Une exploitation agricole est avant tout une entreprise comme toute autre », lâche Mme Rouamba. L’atmosphère est détendue. La ferme s’étend sur 20 ha. Difficile de faire le tour. Les pleurs d’un enfant d’à peine deux ans viennent interrompre quelque peu notre conversation.

Depuis les bras de son père, il fixe du regard sa maman qui s’éloigne peu à peu du domicile familial. En poursuivant la visite de la ferme, notre productrice nous parle de ses succès mais aussi de ses déboires. D’une année à l’autre, le chiffre d’affaires vacille entre 5 et 7 millions F CFA.

Pourrait-elle faire mieux cette année? La directrice de la ferme en doute fort. Pour elle, la présente campagne est moins rassurante. Et pour cause ? L’indisponibilité et le coût élevé des intrants, le manque d’argent pour financer la production. « La banque agricole ne fait pas notre affaire.

Depuis son champ de manioc, Lacina Barro, exhorte les jeunes diplômés à saisir les opportunités que leur offre le secteur agricole. Sidwaya.info/carrefour

Je lance un cri de cœur à l’endroit de cette banque. Si elle peut changer de méthode, elle rendrait service aux producteurs. Sans quoi, elle n’a pas sa raison d’être », récrimine-t-elle.

L’agriculture, un métier comme les autres

Certes, cette dame volubile dit des choses intéressantes, mais le temps nous fait défaut. Quoi de plus normal que de se replier sur Bobo-Dioulasso où se trouve notre pied à terre. Juché sur une élégante mobylette et bien sapé, un jeune homme à l’allure d’un bureaucrate vient se garer à notre niveau.

Moussa Ouattara, ancien étudiant de l’université Nazi Boni de Bobo-Dioulasso est lui aussi devenu agriculteur. « Chez moi, ce n’est pas un retour à la terre, je suis toujours rattaché à la terre », fait-il remarquer.

Cette année, la saison s’annonce difficile à cause des problèmes d’intrants. C’est la raison avancée par M. Ouattara pour réduire de moitié ses superficies emblavées. Il compte en effet produire 5 ha de semences améliorées au lieu de 10 comme d’habitude.

Du reste, il va emblaver 3 ha de maïs pour la consommation, 5 ha de riz, 3 ha de niébé et 3 ha de soja. Abandonner les amphithéâtres pour les champs, ce sont pourtant deux chemins diamétralement opposés. Mais Moussa a fait son choix et s’en sort bien.

« Quand on choisit le métier qu’on aime, il n’y a pas de raison qu’on ne soit pas heureux», s’exclame-t-il. Agronome de formation, il a bien entamé sa carrière d’agrobusiness man et sans aucun complexe, il déclare : « L’agriculture est un métier comme tout autre ».

Les diplômés retournés à la terre s’en tirent à bon compte. « A un moment donné, j’ai compris qu’on ne naît pas agriculteur, on le devient. A l’école, on a appris beaucoup de choses qu’on ignorait  dans la pratique», soutient M. Ouattara.

A l’image de Mme Rouamba, Moussa Ouattara a créé un Bureau d’études juridiques et agronomiques (BEJA), cabinet spécialisé en appui-conseils et formations.

Le jeune entrepreneur agricole, Ali Ouattara en visite dans sa rizière. Sidwaya.info/carrefour

Ali Ouattara a décroché en classe de terminale et n’a jamais songé passer les concours de la fonction publique. Au contraire, il s’est inscrit au Centre de promotion rurale (CPR) de Dionkélé et ressort avec un Certificat de qualification professionnelle (CQP), option fermier agricole.

Pour le voir, il faut se lever très tôt. Nous le rencontrons finalement aux environs de 20 heures en pleine nuit. Nafif de Farako-Bâ, il dirige sa propre entreprise dénommée Agriculture et élevage au Burkina (AGREL-Burkina).

Teint clair et de forte corpulence, Ali Ouattara se présente comme un passionné de l’agriculture. « Après ma formation, j’ai commencé avec un ha et une simple daba. Aujourd’hui je suis à 17 ha et équipé d’un motoculteur, d’un tracteur et de deux batteuses », se réjouit-il.

En plus de la production semencière dans laquelle il évolue, il est également présent dans la production fruitière comme la banane et la papaye. Pour bien mener cette activité, il a loué des terres dont 5 ha à Matourkou et 2 à Dindérésso. Sur chaque hectare, il doit débourser la somme de 125 000 F CFA.

Outre cela, M. Ouattara utilise son outil de production pour assurer des prestations de service notamment le labour, le battage et le vannage. De nos jours, indique-t-il, son succès fait pâlir de jalousies certaines personnes.

Les entrepreneurs agricoles ne se contentent pas d’un seul boulot. AGREL-Burkina, BEJA et Liza ferme sont toutes versées dans le domaine des formations. Au grand bonheur de ces fermiers qui se mouillent bien la bouche. « Il n’y a pas un seul jour où je ne gagne pas au moins 20 000 F CFA », atteste Ali Ouattara.

Cette ferme apicole a produit 3 000 litres de miel en 2021. Sidwaya.info/carrefour

L’autre secret de ce jeune entrepreneur, c’est qu’il a toujours des produits agricoles à vendre sur le marché.

Ils n’envient pas les fonctionnaires

Le jeudi 17 juin 2022. Nous sommes à Orodara, une ville réputée grâce à l’abondance de ses vergers. De gros nuages noirs s’accumulent dans le ciel. La pluie se prépare encore. Mais notre détermination à visiter la ferme de Lassina Barro est sans faille.

A la sortie de la ville, des fruits cueillis et rassemblés au pied d’un manguier, pourrissent. Même les porcs n’en veulent pas. Et ce même décor sombre se dessine un peu partout. De ce qu’il ressort, les mangues manquent de preneurs cette année.

Situation sécuritaire oblige, difficile de les acheminer vers certaines zones de consommation comme le Nord, le Sahel et l’Est. Les unités de transformation se montrent aussi incapables à absorber toute la production. Des pertes sèches enregistrées donc chez les producteurs au bout du compte.

Le champ est situé à 12 km de la ville. Pour le rallier en voiture, il faut au minimum trois quart heure de route. « Vous voyez comment on souffre pour évacuer nos productions ? », se lamente Lassina Barro.

Un site de production de la fumure organique à Liza ferme. Sidwaya.info/carrefour

A notre arrivée sur les lieux, un calme plat y règne. Les membres de la famille présents sur place se sont retranchés dans des abris de campagne pour se protéger de la pluie qui se mit à déverser de grosses gouttes, allant jusqu’à inonder des champs. Le travail abattu par M. Barro porte des fruits. Le champ de manioc force l’admiration.

La récolte, c’est dans quelques semaines. « On n’arrive même pas à satisfaire la clientèle », se défend-il lorsqu’on lui demande s’il pourra écouler sa production. La ferme s’étale sur une superficie de 20 ha dont 15 sont occupés par des vergers.

La partie restante abrite des champs de maïs, de sorgho et de manioc. Après la pluie, nous reprenons le chemin du retour. Les pistes sont submergées par les eaux. Elles sont méconnaissables par endroits. La crainte de s’embourber dans la gadoue s’empare des occupants du véhicule.

Fort heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. C’est après le Brevet d’études du premier cycle (BEPC) que M. Barro a décidé de retourner à la terre. C’était en 2011. Onze ans après, il s’est fait une place au soleil.

« Dieu merci, aujourd’hui je ne me plains pas », souligne-t-il. Parlant de ses revenus, M. Barro dit engranger, après déduction des dépenses, au minimum 4 millions F CFA par an.

Le même montant réparti en 12 mois, il se retrouve avec 333 333 F CFA par mois. C’est l’équivalent du salaire mensuel d’un cadre de la fonction publique burkinabè. Unique fils de son père, M. Barro a su investir son argent au bon endroit.

A notre passage, il détenait des preuves irréfutables de sa relative réussite : la mise en valeur d’une parcelle nue héritée de son père à Orodara. En effet, il y a construit trois bâtiments de type F4, F2 et F1.

Pour lui donc, l’adage selon lequel la terre ne ment pas est bien une réalité. Même s’il n’est pas assis aujourd’hui dans un bureau, Lassina Barro vante néanmoins les bienfaits de l’école.

Animateur à la coopérative provinciale de Orodara, Dramane Barro, un autre agrobusiness man qui a arrêté les études en classe de terminale, dresse un constat : «Nous avons remarqué que les gens sont en train de prendre conscience que le secteur agricole offre des perspectives aux jeunes diplômés en termes d’emplois ».

Il incite les diplômés à s’intéresser à l’agriculture, un secteur qui leur offre de nombreuses opportunités.

« Nous ne sommes pas des cultivateurs »

Par ailleurs, ces entrepreneurs agricoles ne connaissent pas de mévente. Toutes leurs récoltes sont vendues bien avant la production. Et ce, grâce à la signature des contrats de production avec des clients qui garantissent l’achat de leurs productions à la fin de la campagne.

Une stratégie qui marche bien et qui a déjà fait ses preuves. « Il faut que nous arrivons à vendre avant de produire. Pour le moment, je ne connais pas de mévente », signale Ali Ouattara. « Nous ne produisons pas ce que nous ne pourrons pas vendre », renchérit Alizèta Rouamba.

L’avantage de ces contrats, soutient Ali Ouattara, c’est qu’ils facilitent les prêts auprès des caisses populaires, des banques ou des entreprises partenaires. Alizèta Rouamba, Ali Ouattara, Moussa Ouattara, Lassina Barro, Dramane Barro ne sont que des exemples parmi tant d’autres.

De nos jours, aucun d’eux ne regrette son choix. L’arrivée de nouveaux profils dans l’agriculture est un pas important vers la transformation structurelle de ce secteur. A travers leur engagement, c’est une autre facette de l’agriculture burkinabè qui est mise en évidence.

« Nous sommes en train de faire de l’agrobusiness, c’est-à-dire que nous ne produisons pas pour la consommation, mais pour de l’argent », laisse entendre Moussa Ouattara. Pour Ali Ouattara, il ne faut pas les confondre avec les paysans. « Nos parents étaient des cultivateurs mais nous, nous sommes des entrepreneurs agricoles.

Dramane Barro, membre de la coopérative provinciale à Orodara: «Un producteur bien organisé n’a rien à envier à un fonctionnaire ». Sidwaya.info/carrefour

Eux ils cultivaient pour avoir à manger mais chez nous, c’est pour avoir de l’argent », martèle-t-il. Moussa Ouattara poursuit : « Quand les parents avaient besoin d’argent, ils prélevaient dans les greniers pour vendre ».

Ce qui n’est pas, à son avis, le cas chez les agrobusiness men. Cette année, Moussa Ouattara entend réaliser un chiffre d’affaires de 9 millions F CFA. Quant à l’entrepreneur Lassina Barro, la finalité de l’école ce n’est pas le fonctionnariat. « Les connaissances apprises de l’école doivent servir à chacun de construire sa vie et non pas de travailler dans un bureau», mentionne-t-il.

De ce point de vue, Dramane Barro exhorte les producteurs à ne pas se sous-estimer. « Un producteur bien organisé n’a rien à envier à un fonctionnaire », confie-t-il. Qu’à cela ne tienne, Ali Ouattara conseille aux diplômés de s’engager dans l’agriculture pour relever le défi de l’autosuffisance alimentaire au Burkina.

Il se dit convaincu d’une chose : « C’est parce que les gens ont faim qu’on parle de terrorisme. Quand on est rassasié, on n’a pas besoin de faire la bagarre ».

Ouamtinga Michel ILBOUDO

Omichel20@gmail.com  


Des choix pas toujours faciles

Ces jeunes dont certains ont fait, soit l’université, soit le secondaire ou les centres de formation à vocation agricole, ont dû affronter toutes sortes d’épreuves au début de leur carrière.

Alizèta Rouamba se rappelle tout le ramdam qu’il y a eu autour de son choix. Les membres de sa famille en premier, les amis, l’entourage se sont tous dressés contre elle. « Les gens sont venus dire à ma maman de se lever parce que quelqu’un a « waké » sa fille.

Que c’est pour cette raison que celle-ci refuse de passer les concours de la fonction publique qui est une garantie», se souvient-elle. A l’écouter, elle est restée concentrée sur ses objectifs, en acceptant les humiliations de tous genres.

De tout cela, elle a eu la chance d’avoir un soutien de taille, son mari. « Il a vraiment eu confiance en moi et a décidé de m’accompagner », indique-t-elle. Du recrutement des diplômés dans la fonction publique, Lacina Barro ne se fait pas d’illusions. « La fonction publique n’est pas faite pour tout le monde », tranche-t-il.

Quand Ali Ouattara a décidé de devenir agriculteur malgré ses diplômes, parents et amis désapprouvèrent ce choix. « Ils me reprochaient de vouloir devenir agriculteur au lieu d’être fonctionnaire», rapporte-t-il. En dépit de ces multiples pressions exercées sur lui, il a dû avoir un mental d’acier pour résister. « Ils se sont moqués de moi », déplore-t-il.

De sa petite expérience, Ali Ouattara déduit que nombre de jeunes diplômés ne souhaitent pas faire carrière dans le secteur agricole, pourtant très rentable. « A l’école de formation, nous étions 50 dans notre classe.

Mais sur le terrain, seulement cinq sont retournés à la terre», regrette-t-il.

O.M.I