Production de contre-saison dans les Cascades: une campagne sèche sous menace terroriste

La riziculture s’est développée à la plaine de Douna.

Les Cascades ploient sous le joug des terroristes mais refusent de tomber. En dépit de ce contexte difficile, la région aura son mot à dire à l’heure du bilan de la campagne sèche de 2023. Une visite dans les plaines aménagées de Nafona et de Douna montre une forme de résilience des producteurs.

Une route poussiéreuse nous mène ce jeudi 16 février 2023 à Nafona, au secteur 10 de Banfora, chef-lieu de la région des Cascades. Entre les concessions et les champs de canne à sucre, est nichée une plaine aménagée abritant plusieurs champs. Ses occupants sont à l’ouvrage. Les uns arrosent leurs cultures, d’autres arrachent les mauvaises herbes. Certains mêmes récoltent. A l’entame de notre visite, notre guide, Salia Sirima, enfourche sa mobylette et prend la direction de sa ferme.

Un espace verdoyant et humide où se mêlent toutes sortes de cultures : maïs, patate douce, piment, aubergine, oignon, tomate. A première vue, ce site de production agricole donne l’impression d’être en campagne humide. Mais non, c’est la campagne sèche. Salia Sirima, l’un des premiers occupants du site, nous fait découvrir sa ferme. Un champ de 3 ha, composé de 0,5 ha de maïs, 0,5 ha de piment, 1 ha d’oignon, 0,5 ha de concombre et 0,5 ha d’aubergine.Le piment est à maturité. C’est la récolte. Des femmes, recrutées à cet effet, s’acquittent de cette tâche. A ce qui se dit, il est, de nos jours, un produit très recherché et sa production est fort rentable.

D’une exploitation à une autre, les cultures affichent une belle allure. Aziz Tou, producteur venu du village de Djongolo, exploite un champ de 3 ha attenant à celui de Salia Sirima. Le chou, la tomate, le piment et l’oignon se disputent l’espcace. « Je compte engranger au minimum 12 millions F CFA à la vente de mes productions », note-t-il. Des champs situés vers la source d’eau, une rivière intarissable selon les indiscrétions, sont aussi fascinants les uns que les autres. Un groupe de femmes, pagnes bien noués autour des reins, s’active à désherber une parcelle d’oignon sur laquelle se hissent également des plants de maïs. Les travaux se déroulent dans une bonne ambiance sous la houlette de Tiacoumbié Sirima, le propriétaire de la ferme.

Pour la présente campagne, il n’a pas fait dans la demi-mesure. Son champ a une superficie de 7 ha dont la moitié est emblavée de maïs. En plus de la production céréalière, Tiacoumbié Sirima excelle dans le maraîchage. Il exploite 2 ha d’oignon, 1 ha de piment, de l’aubergine et du concombre. « J’emploie 25 femmes par jour et chacune est payée à 1000 F CFA la journée », indique-t-il.

Outre ces ouvrières agricoles, il a engagé sept jeunes en tant que travailleurs permanents avec un salaire mensuel de 35 000 F CFA chacun. L’employeur reconnaît que le montant n’est pas à la hauteur de leurs attentes, mais leur trouver du travail est déjà une bonne chose. « Je les soutiens avec des vivres », affirme M. Sirima. Contrairement à Salia Sirima qui vend son piment au Burkina Faso, Tiacoumbié Sirima livre sa production à des clients basés en république de Côte d’Ivoire. Le piment a un rendement moyen de 40t à l’hectare.

Sachant que la tonne est vendue entre 200 000 F CFA et 300 000 F CFA, il se voit déjà en millionnaire. Tiacoumbié Sirima souligne, en outre, que l’oignon (45t/ha) est aussi rentable que le piment. En lui posant la question de savoir combien va lui rapporter la campagne sèche, il hésite un instant avant de dévoiler le chiffre : 10 millions F CFA. Mais en réalité, il gagne plus. A 40 km de là, sur l’axe Banfora-Sindou dans la Léraba, la campagne sèche bat également son plein dans la commune rurale de Douna.

La culture de l’oignon prend de plus en plus de l’ampleur.

De nombreux producteurs, munis de leurs outils de travail sont à pied d’œuvre dans la plaine. La détermination des uns et des autres est sans commune mesure. La daba accrochée à l’épaule, Bassara Soura exploite 1 ha de maïs et autant pour la patate douce. Il a fini de nettoyer son champ et se prépare désormais à combattre les chenilles légionnaires qui attaquent ses plants. Les champs sont bien arrosés et dégagent une fraîcheur inédite. D’une capacité de stockage de 50 millions de m3 avec une capacité d’irrigation de 23 millions de m3, le barrage hydro -agricole ,situé en aval, tient bon.

Les canaux débordent. Les rizières sont inondées. A l’évidence, une campagne prometteuse se profile à l’horizon. Des producteurs semenciers sont également à la manœuvre. L’un d’eux, Karbié Soura, a emblavé 5 ha de riz et 2,30 ha de maïs. « Notre principal client, c’est l’Etat», dit-il. M. Soura espère réaliser un chiffre d’affaires compris entre 4 et 5 millions F CFA à la fin de la campagne sèche. « Celle-ci est vraiment rentable », relève-t-il.

Retard de livraison d’engrais

Le regard fixé sur ses plants de maïs, Tiacoumbié Sirima n’est pas satisfait de leur évolution. Si les itinéraires techniques de production avaient été bien respectés, les producteurs ne seraient pas encore à ce niveau après 30 jours de semis. Mais la faute, ils l’imputent à l’Etat qui n’a pas tenu ses engagements sur le respect du délai de livraison des engrais subventionnés. Las d’attendre, Tiacoumbié Sirima s’est finalement approvisionné auprès de la Centrale d’achat des intrants et matériels agricoles (CAIMA) où la tonne lui a coûté 500 000 F CFA.

« J’aurais dû économiser la moitié de cette somme si j’avais eu les engrais subventionnés de l’Etat où le sac est vendu à 12 000 F CFA », lâche M. Sirima avant d’ajouter : « Chaque fois, on accuse les producteurs qu’ils ne travaillent pas, ce qui n’est pas vrai ». Salia Sirima est logé à la même enseigne. La recherche de fertilisants à des prix relativement abordables le fait courir depuis des jours. Presque trois semaines de semis et toujours pas d’engrais. La déception se lit sur son visage. « Je suis obligé de m’approvisionner à la CAIMA ou au marché local en fonction de mes moyens avec tous les risques possibles que cet engrais importé des pays voisins soit de mauvaise qualité», s’inquiète-t-il.

Pourtant, les engrais subventionnés sont entreposés depuis deux mois dans les magasins des services d’agriculture. Pour des raisons administratives, ils ont été réceptionnés le 10 février. Le chef de service départemental de l’agriculture de Banfora, Ignace Zongo, pointe du doigt les procédures administratives. Même son de cloche chez le directeur régional en charge de l’agriculture des Cascades, Dr Abdramane Sanon, qui le reconnait en ces termes : « Tant que les analyses et la réception ne sont pas effectuées, il est hors de question de procéder à la vente. Ce sont ces procédures qui sont à la base du retard ».

Du piment fraîchement récolté à Nafona.

Du reste, fait-il remarquer, mieux vaut toujours tard que jamais. « Par le passé, nous avons été interpellé par rapport à la qualité de l’engrais, c’est ce qu’on veut éviter », se justifie-t-il. Après 16 jours de semis, le maïs de Bassara Soura n’attend que les premières doses d’engrais. Mais le producteur va devoir patienter. Cela freine sans doute son élan mais que peut-il face à l’administration publique ? Pour le moment, il s’est ravitaillé sur le marché local au prix de 33 000 F CFA le sac.

« Du point de vue technique, nous sommes conscients qu’il y a eu des limites », avoue Abdramane Sanon, directeur régional en charge de l’agriculture des Cascades. A cette campagne sèche, cette région a bénéficié de 200 tonnes d’engrais. Leur indisponibilité n’explique pas cependant tous les déboires des producteurs. Les baisses de pression et les coupures d’eau, le manque d’encadrement des producteurs et l’insécurité sont autant de défis auxquels ils sont confrontés à cette campagne. Mafamassé Siri, trésorière au sein d’une coopérative de riz à Douna, alerte sur des coupures d’eau devenues monnaie courante. « A un certain moment, l’eau ne suffit plus», marmonne-t-elle.

Un comité de l’eau se charge de la gestion de cette affaire, ce qui a permis aux producteurs de Nafona de poursuivre sereinement leurs activités sans le moindre souci. A la plaine aménagée de Douna, les producteurs bénéficient du soutien du Projet d’aménagement et de valorisation de la plaine de la Léraba (PAVAL). Il couvre la période 2020-2025. Son credo, c’est l’atteinte de la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les Cascades.

Son responsable de suivi-évaluation, Brahima Traoré, précise qu’à cette campagne, le projet a offert 70 kg de semences d’oignon, 5t de semences de maïs et 8t de semences de riz aux producteurs. De plus, une commande de 260t d’engrais a été passée avec en ligne de mire une subvention allant jusqu’à 80% du prix du sac pour cette campagne sèche puis à 60% pour celle à venir. Dans sa mise en œuvre, le PAVAL a entrepris de réaliser de nouveaux aménagements portant le nombre de superficies de 410 ha à 580 ha, avec l’achèvement des travaux de mise en valeur de 170 ha. Et ce n’est pas fini.

Les travaux d’aménagement de 600 ha sont prévus au cours de l’année 2023, martèle M. Traoré qui ajoute que 200 autres ha prévus par pompage sont actuellement à l’étude. A entendre Brahima Traoré, les aménagements effectués sur le site de Douna visent à booster la production en campagne sèche. Une prévision de 2 900t, toutes spéculations confondues, est attendue cette année. La plaine de Nafona qui couvre une superficie de 2 000 ha porte également les marques de certains partenaires, à l’image du Projet de résilience et de compétitivité agricole (PReCA).

Avec le soutien de celui-ci, les producteurs ont reçu 327 kg de semences d’oignon et de tomates. Pour Abdramane Sanon, l’Etat et ses partenaires font des efforts. Ils sont venus à leur rescousse avec 27t de semences améliorées de maïs et riz. Un supplément de 15t de semences de maïs est venu compléter cette dotation en fin février. Il faut également noter que 49 motopompes et 1 200 tubes PVC ont été remises aux producteurs de cette région, ce qui contribue naturellement à leur faciliter la tâche en matière d’irrigation. Selon Tiacoumbié Sirima, il ne faut pas s’attendre de sitôt à une baisse du prix du sac de maïs. Et pour cause ? Il estime que l’insuffisance d’engrais combinée à la hausse du prix du carburant se fera certainement ressentir sur le compte d’exploitation.

De la vente de carburant dans les bidons

La campagne sèche n’est pas un fleuve tranquille pour les producteurs des Cascades. Les effets de la lutte contre le terrorisme se répercutent sur leurs activités. Avec les restrictions imposées par les autorités relatives à l’interdiction de la vente de carburant dans les bidons, c’est la croix et la bannière pour s’en procurer. Comment approvisionner les motopompes dans un tel contexte sans tomber sous le coup de la loi ? Grâce à son tracteur, le producteur Tiacoumbia Sirima dit faire le plein de son réservoir, quitte à tout vider une fois de retour au champ, dans sa motopompe.

Dr Abdramane Sanon déplore que les engrais subventionnés soient livrés en retard.

Producteur modèle, il a plaidé auprès du gouverneur des Cascades en faveur de l’assouplissement de cette mesure, eu égard aux conséquences néfastes sur les activités agricoles de saison sèche. Une doléance qui a reçu une oreille attentive puisqu’une autorisation est délivrée à chaque producteur par le préfet. Outre le carburant, certains producteurs mènent leurs activités dans la psychose. C’est le cas à la plaine de Douna où les producteurs vivent sous la menace terroriste.

En tout cas, Karbié Soura exprime son inquiétude sur cette question, tant la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader de jour en jour dans sa région. Pour les mêmes raisons, des producteurs issus des communes rurales de Tiéfora, Sidéradougou et Mangodara n’ont pas l’esprit à la campagne sèche. Du coup, la situation reste confuse dans ces zones inaccessibles aux agents d’agriculture. « Même si certains producteurs de ces zones ont pu emblaver quelques superficies, la plupart ont abandonné les terres, compte tenu du contexte sécuritaire », rappelle Abdramane Sanon de la direction régionale en charge de l’agriculture des Cascades.

Tout compte fait, avec la sensibilisation, les autorités régionales fondent l’espoir que tout ira mieux dans le meilleur des mondes possibles. « Nous avons expliqué à la population que nous allons avoir un déficit de production à la campagne humide. Nous leur avons alors demandé de s’investir à fonds dans cette campagne sèche pour combler ce manque », confie Dr Sanon. Ainsi, selon les prévisions, 4 000t de céréales et 6 000t de produits maraîchers sont attendus. A ce jour, la région enregistre plus de 3 400 ha emblavés, toutes spéculations confondues. Ce qui est sûr et certain c’est que la région des Cascades aura son mot à dire à l’heure du bilan de la campagne sèche.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

Omichel20@gmail.com