Sénégal : Attention à l’effet du « tout sauf Sonko »

Les sorties politiques de l’opposant, Ousmane Sonko, rassemblent

L’arrestation très musclée de l’opposant, Ousmane Sonko, au Sénégal, suscite bien des interrogations dans le pays de Macky Sall et au-delà. Elle apporte du grain à moudre à tous ceux qui estiment que l’actuel président et ses soutiens veulent passer par tous les moyens pour empêcher la candidature de Sonko, très populaire auprès des jeunes, à la présidentielle de l’année prochaine, fixée en février 2024.

La scène est surréaliste. L’opposant sénégalais, Ousmane Sonko, forcé par des hommes en tenue de sortir de son véhicule. Les images, publiées en direct sur les réseaux sociaux, montrent des hommes en uniforme, casqués et masqués, visiblement des gendarmes, entourer la voiture à l’arrière de laquelle se trouve M. Sonko et dont il refuse de sortir, sur le chemin du retour d’un procès en diffamation au tribunal de Dakar. Ne comprenant certainement pas ce qui (lui) arrive, l’opposant demande s’il  est en état d’arrestation.

Les hommes en uniforme lui répondent par la négative et lui disent avoir reçu l’ordre de le reconduire chez lui. Auparavant, M. Sonko avait expliqué par téléphone à un commissaire qu’il ne sortirait que s’il était en état d’arrestation. Un gendarme finit par pulvériser du coude la vitre arrière. Les hommes en uniforme actionnent de l’extérieur l’ouverture de la portière et extraient, en le tirant par les bras, M. Sonko, qui, apparemment impassible, résiste quelques instants puis se laisse emmener.

Quelque temps après, d’autres images le montrent descendant d’un fourgon de police devant chez lui. Officiellement, aucune communication de la part des autorités sénégalaises ne donne plus d’éclaircissements sur cet incident, qui reste interrogateur et laisse les observateurs de la scène politique sénégalaise pantois. Venant du Sénégal, présenté comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, de tels actes écorchent forcément cette image. En réalité, depuis que Ousmane Sonko est arrivé troisième à la présidentielle de 2019, et qu’il a déclaré sa candidature pour celle de 2024, il n’en finit pas d’essuyer des ennuis.

Ces incidents en son encontre interviennent, alors qu’il rassemble des foules à chacune de ses sorties politiques et est très populaire auprès des jeunes. Parallèlement, le Président Macky Sall, qui épuisera son second et dernier mandat en 2024, selon les termes constitutionnels, entretient le flou quant à un troisième mandat. Puisque soupçonné de se représenter. Et l’on observe une certaine fébrilité du pouvoir quant à tout ce qui concerne Ousmane Sonko. Lors des législatives de juillet 2022, la liste de certains candidats titulaires de l’opposition dont Ousmane Sonko, a été disqualifiée, ce qui l’a écarté du scrutin. Mais nonobstant cet état de fait, c’est in extrémis que la coalition au pouvoir a obtenu la majorité à l’Assemblée nationale.

Ces derniers mois, les autorités ont interdit de nombreux meetings de l’opposition. Et on observe que des dizaines de partisans et de militants de M. Sonko ont été interpellés. Le 10 février dernier, la ville de Mbacké, dans le Sud –Ouest du pays, a été le théâtre de heurts, de saccages et de pillages après l’interdiction d’un rassemblement autour de M. Sonko.

Ennuis judiciaires

Entre interdiction de ses meetings, arrestations de ses partisans et intimidation sur sa propre personne, l’actuel maire de Zinguichor doit également faire face à des ennuis judiciaires. On se rappelle de la retentissante affaire de viols et menaces de mort dont il fut accusé de la part d’une employée d’un salon de beauté de Dakar où il allait se faire masser, après une plainte de celle-ci. Inculpé et placé sous contrôle judiciaire en mars 2021 dans cette affaire, elle a refait surface près de deux ans après.

Un juge d’instruction a décidé, le 18 janvier 2023, de renvoyer l’opposant devant une chambre criminelle. La justice sénégalaise vient de confirmer, le mardi 21 février dernier ce renvoi en déclarant « irrecevable » une requête de sa défense pour casser cette décision. Pendant que cette affaire n’est pas encore épuisée, M. Sonko est dans une affaire distincte, poursuivi par le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang, un responsable du parti présidentiel, pour diffamation, injures et faux. C’est d’ailleurs au retour de ce procès le 16 février dernier que l’arrestation musclée évoquée plus haut a eu lieu.

Renvoyée au 16 mars prochain, ce jugement pourrait être déterminant pour sa candidature en 2024, les textes prévoyant une radiation des listes électorales et donc une inéligibilité, dans certains cas de condamnation. A l’évidence, tout semble indiquer que l’opposant de bientôt 49 ans, est devenu la bête noire à abattre, par le pouvoir en place. Et il devient difficile de ne pas donner du crédit aux propos d’Ousmane Sonko, qui a toujours clamé haut et fort que tout est mis en œuvre pour l’écarter de la présidentielle à venir, au regard de tout ce qui lui arrive. Il devient aussi difficile de ne pas penser à une éventuelle candidature de M. Sall en 2024 ou au profit d’une personne de son choix, vu ce qui s’apparente à du « tout sauf Sonko » qui est en train de se dessiner.

Si tel est le cas, on peut estimer que Macky Sall est en train de filer du mauvais coton. Car, à force de s’illustrer en s’acharnant sur un opposant politique et en l’intimidant à cause de ses ambitions présidentielles, on contribue à fabriquer un martyr qui attirera beaucoup plus la sympathie du peuple et une part importante de la jeunesse qu’il semble avoir déjà conquis. Par conséquent, il ne sera pas surprenant que l’on assiste à l’effet contraire des intimidations et des accusations judiciaires tous azimuts.

Et le président en fin de mandat constitutionnel gagnerait à revisiter son propre parcours : entré en opposition contre son mentor Abdoulaye Wade, qui a usé de son poids pour réduire le mandat de cinq à un an de la présidence de l’Assemblée nationale qu’il occupait, il a pourtant recueilli la sympathie des Sénégalais qui l’ont élu président en 2012. Il doit également se souvenir que les Sénégalais n’ont jamais accordé un troisième mandat à un président depuis la tentative ratée d’Abdou Diouf.