Lutte contre les aflatoxines dans le Houet: des productrices d’arachide mettent le pied à l’étrier

Selon les spécialistes, les arachides contaminées par l’aflatoxine ne sont pas reconnaissables à l’œil nu.

La question des aflatoxines reste encore peu connue au sein du monde paysan burkinabè. Pourtant, ces champignons sont des poisons pour la santé humaine et animale. Pour contrer la maladie, des chercheurs ont développé l’aflasafe qui, combiné aux bonnes pratiques agricoles, fait des merveilles sur le terrain. Dans la province du Houet, des femmes tirent leur épingle du jeu à travers la production des arachides sans aflatoxine.

Dans la ferme agricole de Alizèta Rouamba, à Kourémangafesso, dans la commune rurale de Karangasso-Vigué, province du Houet, des femmes s’activent autour d’une décortiqueuse. L’ombre d’un arbre à karité sert d’abri pour esquiver les rayons ardents du soleil de ce 14 février 2023. Sous le regard épanoui de l’assistance, la machine « vomit » des graines d’arachides par un orifice et les tourteaux par un autre. Les dames, membres de la Coopérative des entrepreneurs agricoles de Kourémangafesso (CEAK) dont Mme Rouamba est la présidente, sont ainsi à la tâche pour livrer une commande de 40 tonnes d’arachides à leur partenaire basé à Ouagadougou.

Depuis plus de trois ans, ces femmes se sont lancées dans la production et la commercialisation des arachides et pas n’importe lesquelles. Il s’agit des arachides sans aflatoxine. «Lorsque j’ai appris les conséquences de l’aflatoxine sur l’organisme, notamment le cancer, j’ai décidé de produire de l’arachide saine, non seulement pour ma consommation mais aussi pour vendre et subvenir à mes besoins », justifie la présidente de la CEAK.

Le DP en charge de l’agriculture du Houet, Eric Pascal Adanabou, conseille aux producteurs d’adopter l’Aflasafe BF01 pour avoir des aliments sains.

Cette production a été motivée, selon elle, par un partenariat avec l’entreprise InnoFaso qui utilise l’arachide pour fabriquer des compléments alimentaires destinés aux enfants malnutris et aux personnes vulnérables. Les producteurs et productrices d’arachides sans aflatoxine de la CEAK, environ une centaine, disposent d’un champ collectif d’un demi-hectare, en guise de champ-école, et des exploitations individuelles dont la superficie varie entre 0,5 et 1 hectare (ha). Grâce aux variétés améliorées de semences, les rendements tournent autour de 3 et 3,5 tonnes à l’hectare.

Ces arachides qui ne sont pas comme les autres sont cédées au partenaire à 1 200 F CFA la boîte de tomate pour les graines et à 400 F CFA pour ce qui est non décortiqué (arachide en gousses). Arzita Sanou, 38 ans, réside dans le village de Saré, à quelques encablures de Kourémangafesso. Membre de la coopérative, elle a adhéré au partenariat arachide en 2019. De ses explications, il ressort qu’elle était dans la production de l’arachide depuis belle lurette mais sans un encadrement quelconque.

Depuis qu’elle a eu vent de cette culture sans aflatoxine, Mme Sanou s’y est engagée sans hésiter. Elle dit être surtout motivée par les prix intéressants auxquels ce type d’arachide est acheté. Avec ses revenus, Arzita a pu s’octroyer une motopompe pour le jardinage et épargner un peu d’argent pour ses autres besoins.

Les aflatoxines, un danger peu connu

Mariam Sawadogo, la trentaine révolue, réside à Klesso. C’est l’année passée qu’elle a aussi jeté son dévolu sur la production de l’arachide sans aflatoxine. Sur un espace de moins d’un demi-hectare, elle indique avoir récolté 500 kg d’arachides. Quant au gain financier, il avoisine 200 mille francs CFA. Une aubaine pour Mariam qui ne compte plus abandonner cette activité. Tout comme Arzita et Mariam, les autres femmes de la coopérative expérimentent l’arachide sans aflatoxine et disent s’en tirer à bon compte. Pourtant, ce type de production est encore méconnu de nombre de Burkinabè. Selon les spécialistes, les aflatoxines sont un poison très dangereux pour la santé humaine et animale.

Dr Adama Neya, phytopathologiste à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) de Bobo-Dioulasso, les définit comme des toxines qui sont produites par des champignons du genre Aspergillus, en particulier par les espèces Aspergillus flavus, Aspergillus parasiticus et Aspergillus nomius. Il souligne que les aflatoxines sont présentes naturellement dans le sol et les débris de végétaux dans les champs et concernent surtout les zones tropicales situées entre le 35e degré au nord et le 35e degré au sud de l’Equateur.

Aux dires de Dr Adama Neya, les arachides sont contaminées par l’aflatoxine dès la formation des gousses.

A l’écouter, toutes les espèces végétales sont susceptibles d’être contaminées par ces champignons. Selon les explications de Dr Neya, les continents concernés sont notamment l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie où les conditions climatiques (humidité, chaleur, sécheresse) et les pratiques culturales sont favorables au développement des champignons du genre Aspergillus et à la sécrétion de l’aflatoxine. Pour lui, aucun symptôme extérieur ne prouve qu’un produit soit contaminé par l’aflatoxine.

De plus, elle est incolore, indolore, sans saveur et sa molécule est très stable et n’est pas thermolabile, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas être tuée à cent pour cent par la chaleur. « Pour que la molécule d’aflatoxine soit complètement cassée, il faut chauffer les aliments jusqu’à une température comprise entre 237°C et 306°C. Alors que si on fait cuire par exemple l’arachide à cette température, on obtient un produit comme du charbon », fait savoir Dr Neya. Aux dires du chercheur, le maïs et l’arachide occupent les premiers rangs des cultures les plus sensibles à l’aflatoxine, suivis des autres spéculations telles que le sorgho, le mil, le riz, le gingembre, le piment, etc.

Et parmi la vingtaine d’aflatoxines existantes, quatre d’entre elles (B1, B2, G1 et G2) constituent les formes les plus couramment rencontrées dans les produits cités plus haut. L’Aflatoxine B1 (AFB1) est l’un des plus puissants cancérigènes naturels et est classé dans le groupe 1 par le Centre international de recherches sur le cancer. « La consommation exagérée des arachides contaminées par l’aflatoxine peut entrainer des troubles digestifs tels que les nausées, les vomissements, les douleurs abdominales et parfois la mort », rapporte le professeur agrégé Ollo Roland Somé, cancérologue-chirurgien au Centre hospitalier universitaire Souro-Sanou (CHUSS) de Bobo-Dioulasso. Il note deux types d’intoxication à l’aflatoxine. Celle aigue que l’organisme arrive souvent à combattre et celle chronique qui survient à la suite d’une consommation régulière de l’aflatoxine et qui va provoquer le cancer de foie. Pr Somé, par ailleurs enseignant à l’université Nazi-Boni, affirme que dans les pays producteurs d’arachides dont le Burkina Faso, il y a beaucoup de cancer de foie qu’on peut rattacher à l’aflatoxine.

« 30% des cancers de foie dus à l’aflatoxine »

Grâce au soutien de leur partenaire, les membres de la CEAK disposent d’une décortiqueuse.

Mais, il dit ne pas disposer de chiffres exacts pour situer l’ampleur de la maladie au Burkina Faso. « Une étude a démontré que 30% des cancers de foie en Afrique sont dus à l’aflatoxine », avance, pour sa part, Dr Neya. Outre cela, ajoute le phytopathologiste, l’aflatoxine peut induire un affaiblissement du système immunitaire de l’homme ou de l’animal, une réduction de la productivité de l’élevage (par exemple une réduction de la ponte et du poids de la volaille, la contamination du lait et des produits laitiers…), une réduction de la taille chez l’enfant et peut affecter son développement psycho-mental. Selon le rapport d’une autre étude, mentionne Dr Neya, 40% des produits alimentaires sur nos marchés ont des taux d’aflatoxine au-delà des normes.

A l’entendre, les normes européennes établissent ces taux à 2 ppb (partie par milliard) pour l’aflatoxine B1 et 4 ppb pour les aflatoxines totales. Conscients de l’impact négatif des aflatoxines sur les productions agricoles et la santé humaine et animale, les chercheurs se sont mis en branle pour contrer le phénomène. Dr Neya informe que l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA), basé au Nigéria, a adapté, après plus de 15 ans de recherches, une approche de lutte biologique en s’inspirant du produit mis au point pour la première fois aux Etats-Unis d’Amérique. En effet, l’IITA a développé un produit biologique appelé aflasafe qui permet de combattre efficacement les aflatoxines.

Une approche qui consiste à prendre les souches du champignon qui ne produisent pas la toxine (bon champignon) pour lutter contre ceux qui en produisent (mauvais champignon). Le produit utilisé au Burkina Faso et dénommé Aflasafe BF01, relate le chercheur, a été fabriqué avec des souches d’Aspergillus flavus non productrices de toxines (collectées dans le pays) et enrobées autour de grains stérilisés de sorgho blanc, plus un polymère et un colorant bleu naturels. L’IITA et l’INERA, informe Dr Neya, ont collaboré pour tester ce biopesticide dans les champs de nombreux producteurs de 2012 à 2016 et cela a permis de réduire la contamination du maïs et de l’arachide jusqu’à 99%. « En 2017, il a été homologué par le CILSS pour lutter contre les aflatoxines du maïs et de l’arachide au pays des Hommes intègres », précise-t-il.

La présidente de la CEAK, Alizèta Rouamba : « notre arachide est très prisée sur le marché ».

A son avis, pour que la lutte soit efficace dans la production de l’arachide sans aflatoxine, l’aflasafe doit être appliqué de manière homogène, à la volée dans le champ, avant la formation des gousses. Le traitement d’un hectare nécessite 10 kg d’aflasafe. Une fois appliqué, le produit, constitué des souches du bon champignon, va entrer en compétition avec le mauvais champignon en colonisant le sol et l’empêcher de se multiplier et contaminer l’arachide. Au Burkina Faso, c’est la Société africaine de produits phytosanitaires et d’insecticides (SAPHYTO) qui a le monopole de la commercialisation de l’aflasafe.

Selon Serge Sama, chargé de la recherche à la SAPHYTO/Bobo, l’aflasafe est un produit encore méconnu des producteurs et dont l’écoulement des stocks se fait difficilement. Plus de 100 tonnes du produit sont encore entreposées dans leurs magasins en ce mois de février 2023, à entendre M. Sama. « Notre première commande d’aflasafe est venue du Nigeria et la dernière du Sénégal. On a besoin de l’implication des ministères en charge de la santé et de l’agriculture pour faire connaître le produit et sensibiliser les producteurs à l’adopter », plaide-t-il. Vendu au prix de 1 100 F CFA le kilogramme à la campagne écoulée, l’aflasafe est conditionné dans des emballages de 2,5 et 5 kg.

Faute de moyens, la Coopérative des entrepreneurs agricoles de Kourémangafesso procède chaque année à des achats groupés du produit pour satisfaire ses membres. Pour sa part, la présidente de la CEAK déplore les dures conditions de production auxquelles sont confrontés ses membres dans un contexte où le prix élevé de l’aflasafe vient s’ajouter aux coûts des semences, des engrais et de la main-d’œuvre qui, déjà, ne sont pas à leur portée.

Selon le Directeur provincial (DP) en charge de l’agriculture du Houet, Eric Pascal Adanabou, la contamination de l’arachide par l’aflatoxine dans sa province n’a pas encore fait l’objet d’une étude pour situer l’ampleur du phénomène. Néanmoins, il reconnait que l’existence de la maladie est bien réelle. Pour lui, la question de l’aflatoxine est prise à bras-le-corps par son ministère qui n’hésite pas à mettre le produit aflasafe à la disposition des producteurs. L’an passé, déclare M. Adanabou, sa direction a reçu 500 kg d’aflasafe BF01 qu’elle a offerts gratuitement aux producteurs. « Ce n’est pas suffisant mais nous sommes d’abord dans une phase de sensibilisation et de formation des producteurs », relève le DP.

La solution par l’aflasafe et les bonnes pratiques

En plus de l’application de l’aflasafe, le phytopathologiste Dr Adama Neya conseille d’adopter une approche de lutte intégrée dans la gestion des aflatoxines. Il s’agit de la lutte contre les insectes au champ et durant la phase de stockage, des bonnes pratiques de récolte et de post-récolte qui, explique-t-il, consistent à récolter à la bonne période, à bien trier, à sécher sur des bâches et non sur le sol et à stocker dans des magasins aérés. En ce qui concerne l’application de l’aflasafe, Dr Neya recommande de répéter l’opération chaque année.

« Des études ont démontré que l’application successive de l’aflasafe dans un même champ permet de diminuer le stock de mauvais champignon dans le sol mais ne l’anéantit pas à 100% », indique-t-il. La raison, selon lui, est qu’à chaque cycle de production des cultures, le vent, les animaux, les hommes et les eaux de ruissellement transportent l’Aspergillus flavus dans les champs. C’est pourquoi, la lutte contre les aflatoxines semble être un combat de longue haleine. Mais les spécialistes disent être convaincus qu’avec l’adhésion de tous les acteurs du monde agricole, ce combat ne sera pas vain.

Dr Adama Neya, phytopathologiste à l’INERA/Bobo : « depuis ces douze dernières années, mon travail a été beaucoup plus focalisé sur les aflatoxines ».

Dr Neya rappelle que la contamination de l’arachide par l’aflatoxine se fait dès la formation des gousses et non à la récolte comme le pensent certains profanes, parce que le champignon se trouve de façon naturelle dans le sol. « On ne peut pas reconnaitre une arachide contaminée à l’œil nu. Le goût amer de l’arachide ne signifie pas non plus qu’elle est contaminée par l’aflatoxine. Cela peut être l’action d’autres champignons », prévient le spécialiste des aflatoxines. Pour le moment, ils ne sont pas nombreux les producteurs qui appliquent l’Aflasafe BF01 dans leurs champs. Mais chez ceux qui l’utilisent, notamment les membres de la CEAK, la satisfaction se lit déjà sur les visages.

Mme Rouamba signale que les arachides que sa coopérative produit sont très prisées sur le marché mais elle n’est pas autorisée à les y écouler. « D’autres personnes nous approchent pour acheter notre arachide mais comme nous avons signé des contrats avec notre partenaire, il faut les respecter », soutient la présidente de la CEAK. Toutefois, les femmes se permettent de petites transformations de leur arachide en croquettes, en caramels et en huile qu’elles consomment et vendent sur le marché local.

La consommation familiale de ces produits est vivement encouragée par Dr Adama Neya pour qui, le plus important n’est pas de produire des arachides de bonne qualité sans aflatoxine pour vendre mais de le faire pour soi-même. Du côté des agents d’agriculture du Houet, on estime que la production de l’arachide d’une manière générale a connu un regain d’intérêt dans la province. A entendre le DP Adanabou, elle est passée de 25 000 tonnes en 2021 à 32 000 tonnes environ en 2022. Quant à la production de l’arachide sans aflatoxine, elle reste pour l’instant au stade embryonnaire.

Mady KABRE