Autonomisation économique des femmes: arrêt sur quelques amazones du business

Ramata Ouédraogo : « Les femmes se coiffent moins à cause des perruques ».

Ces femmes ne cèdent pas à la facilité. Elles ne croisent pas les bras et attendre tout de l’époux ou du compagnon. Elles répondent aux noms de Claire Sawadogo, vendeuse d’attiéké, Mariam Oubda, Ramata Ouédraogo et Adjaratou Ouédraogo, coiffeuses, que nous avons rencontrées le 14 février 2023 à Ouagadougou. Notre choix a porté sur elles, non pas parce qu’elles sont les meilleures ou roulent sur de l’or. Mais simplement à travers elles, nous rendons hommage à toutes celles qui se battent dans ce domaine pour acquérir leur autonomie financière en vue de prendre en charge leurs familles, leurs proches… A la faveur de la commémoration de la Journée internationale des droits de la femme, le 8-Mars, nous leur faisons un clin d’œil.

La transformation du manioc en attiéké et dérivés est aujourd’hui une activité génératrice de revenus pour de nombreuses femmes burkinabè. Au regard de la qualité des produits, on peut dire que ce job ne semble plus avoir de secrets pour elles. Même si la disponibilité du manioc en tout temps pose problème, de la plus grande à la plus petite productrice d’attiéké, chacune tire son épingle du jeu. Claire Sawadogo en fait partie. Elle a fait ses premiers pas en groupe avant de voler de ses propres ailes en 2007.

En effet, c’est depuis 2002, rapatriée de la Côte d’Ivoire, qu’elle et ses camarades se sont lancées dans cette aventure. Ce sont des pionnières dans la transformation du manioc en attiéké. « Avec la crise qui a éclaté en 2002 en Côte d’Ivoire, de nombreux Burkinabè sont rentrés au pays dont de nombreuses femmes. Nous en faisons partie. Pour subvenir aux besoins de nos familles, nous avons fait de la transformation du manioc notre principale activité. Nous nous sommes regroupées en association dénommée Teeg Taaba, sous la direction de Sabine Nana», déclare-t-elle ; elle en était la secrétaire.

Avec le recul, aujourd’hui, elle tire son chapeau à Sabine Nana  pour avoir eu la clairvoyance d’essayer de transformer la pâte de manioc en attiéké avec les femmes rapatriées. Cela a été une innovation car, auparavant, c’était directement à partir des tubercules que cet aliment était fait. Bien organisée, l’association a bénéficié d’accompagnements de l’Etat et des ONG. Les membres en ont tiré profit et ont pu s’insérer, se prendre en charge, aider leurs familles et surtout payer la scolarité de leurs enfants.

La femme battante, âgée de plus de 70 ans, ne produit actuellement que sur commande. « Avant la crise sécuritaire que nous traversons, le marché était florissant. Je pouvais utiliser, par mois, 20 sacs de manioc pour préparer mon attiéké. Ce n’est plus le cas, mais je m’en tire avec 250 000 F CFA comme chiffre d’affaires», confie-t-elle. La pâte de manioc est surtout importée de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Bénin et du Togo en sacs de 90 kg  à 100 kg, au prix de 25 000 à 27 000 F CFA. Le Burkina Faso n’en produit pas suffisamment. «D’un sac, je peux produire 15 sachets d’attiéké à raison de  2 500 F CFA l’unité », dit-elle.

Avant d’obtenir le produit fini, la septuagénaire passe par plusieurs étapes : conditionner la pâte, enlever les aigreurs, les impuretés, donner une texture (gros grains ou petits grains) avant de mettre à la vapeur. C’est un travail qui exige la rigueur, l’endurance car il occupe toute la journée.

Des conseils

Claire Sawadogo, rapatriée de Côte d’Ivoire est l’une des pionnières…

A entendre Mme Sawadogo, on ne peut pas se déclarer productrice d’attiéké du jour au lendemain. Il faut accepter se faire former afin de réussir la bonne transformation. « Celle-ci obéit à des règles. Nous en avons bénéficié de la part du ministère en charge de l’agriculture, du GIZ… avec qui nous avons appris à identifier les espèces de manioc, la bonne pâte, les conditions de conservation. Sans oublier la fabrication des dérivés du manioc tels que le tapioka, le gari, l’amidon, la farine…», affirme-t-elle. C’est pourquoi elle insiste sur les précautions à prendre par rapport à l’hygiène et à l’assainissement. Elle s’insurge contre ceux qui mettent sur le marché des produits de mauvaise qualité, moins cher.

Son métier de transformatrice lui a permis, en plus de supporter les charges de sa famille, d’acquérir une parcelle mise en valeur avec la contribution de ses enfants. Claire Sawadogo pense que la plus grande difficulté est relative à l’approvisionnement en pâte. La demande est forte aussi bien au Burkina Faso que dans les pays voisins. Une réalité qui fait souvent grimper le prix du sac de 100 kg à 35 000 F CFA. Afin de surmonter cette difficulté, elle croit que la solution viendrait de la concrétisation à grande échelle des résultats obtenus par les chercheurs burkinabè  sur le manioc.

Elle pense surtout à la nouvelle variété V5 développée par l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA). La femme battante souhaite agrandir l’unité de production et faire du séchage. Elle pense que la filière est porteuse. C’est pourquoi elle demande à celles qui ont les moyens d’accompagner les producteurs de manioc. « Car ce sont des centaines de tonnes de manioc par mois qui entrent dans la transformation. L’installation de systèmes d’irrigation dans les champs de manioc aidera à booster cette filière. C’est une voie pour atteindre l’autosuffisance alimentaire dans notre pays », avoue-t-elle.

Avec le poids de l’âge, la pionnière a préparé la relève. C’est ainsi que certains pans de son activité, comme l’écoulement, la commande de la matière première sont gérés par un de ses fils. Au-delà du cercle familial, elle se dit disposée à partager ses connaissances. Elle invite toutes celles qui veulent s’engager dans la transformation du manioc à prendre

Des mains tatouées.

attache avec les spécialistes. Des dames « retoucheuses de beauté »  Coiffure, tatouage, manucure, pédicure, pose d’ongles et de cils sont des activités auxquelles s’adonnent des milliers de femmes au Burkina Faso.

Grâce à elles ces soins sont vulgarisés et devenus accessibles à tous. Sources de revenus non négligeables, ces activités sortent les praticiennes de l’oisiveté. On rencontre ces « retoucheuses » dans presque tous les marchés de Ouagadougou. On les trouve par exemple du côté nord du grand marché, Rood-Wooko, occupant, de façon anarchique, des espaces. Pour avoir une idée de ce qu’elles font, nous avons ciblé trois d’entre elles.

Localisées au fond d’un petit marché, «Course yaar» sis à quelques jets de pierres de la Cité AN III de la capitale Ouagadougou, Mariam Oubda, Ramata Ouédraogo et Adjaratou Ouédraogo, ont choisi d’apporter un plus à la beauté des femmes. Elles se donnent pour défi de rendre plus élégante toute personne qui les sollicite. Installées dans des bicoques de 5 à 8 m2 de superficie, elles sont réputées pour leurs talents dans les tresses africaines, les plaquages, les tissages, la pose d’ongles, le tatouage… «Je me suis installée ici depuis 2008. Je vends des mèches,  confectionne des perruques, fais la pose d’ongles et de cils», confie Mariam Oubda.

«J’ai été attirée par la coiffure depuis que j’étais jeune. Au fur et à mesure que je grandissais, j’apprenais et je me suis ainsi améliorée. Aujourd’hui, je peux dire que la coiffure n’a plus de secret pour moi», poursuit-elle. Aidée de sa sœur, son travail démarre tous les jours autour de 8 heures et prend fin aux environs de 18 heures. Elle croit comme fer à ses talents et pense qu’au sortir de son salon, les bénéficiaires de ses prestations sont toujours satisfaites avec sourire aux lèvres.

… dans la transformation du manioc en attiéké au Burkina Faso.

«Les prix de mes prestations varient d’une coiffure à une autre. Par exemple, je fais le tissage simple d’un paquet à 2 000 F CFA et la pose d’ongles ou de cils à partir de 1 000 F CFA», annonce-t-elle. Sur la recette journalière, elle reste évasive. « Je gagne au moins 5 000 F CFA », lance-t-elle. Les bonnes affaires, c’est la période des fêtes. Surtout celles de fin d’année. A cette occasion, elle peut se retrouver avec une recette de 500 000 F CFA et même plus.  « Ce métier me permet de prendre en charge ma famille car je suis mère de quatre enfants ».

De temps en temps, elle se rend au Nigéria ou au Togo pour s’approvisionner en mèches et en perruques. «Ce sont des mèches naturelles de bonne qualité dont le prix varie de 25 000 à 300 000 F CFA l’unité. Des clientes aiment et n’hésitent pas à les prendre soit cash, soit à crédit», se réjouit-elle. A notre présence, une cliente est passée réserver deux perruques de 150 000 F CFA. Ramata Ouédraogo, elle, tire surtout profit des tresses africaines, des plaquages, des tissages. Voisine directe de Mariam Oubda, elle déclare avoir appris ce boulot avec une femme bwaba.

Et cela fait presque 10 ans qu’elle dit être installée dans ce marché. Elle a les mêmes horaires de travail que sa voisine. «C’est un métier qui me plaît et je m’en sors bien. Je fais le tissage d’un paquet à 1 500 F CFA et la perruque à 2000 F CFA le paquet». Hésitante, elle livre qu’en périodes de fêtes de fin d’année, elle arrive à encaisser autour de 100 000 F CFA. Quant à Adjaratou Ouédraogo, elle, démontre ses talents dans la pose d’ongles artificiels, de tatouages et autres.

Mariée et mère de deux enfants, elle confie être dans le métier depuis 15 ans. Elle explique : « mon travail consiste à fixer les cils, à faire des tatouages sur les sourcils, les mains et les pieds. Je contribue à rendre la femme plus séduisante. Séduisante par le regard grâce aux cils et le contour des sourcils renforcé ». Le prix de son tatouage varie de 3 000 à 12 000 F CFA, et les cils de 500 à 1 000 F CFA. Assistée de 3 filles, elle affirme se retrouver avec au moins 200 000 F CFA comme recettes pendant les fêtes de fin d’année. Mme Ouédraogo se montre rassurante sur son métier : « Le travail impose une certaine rigueur et savoir-faire.

J’utilise chaque fois une nouvelle lame pour tracer le contour des sourcils. La prudence est de mise afin de ne pas blesser les demandeuses ». Ces vaillantes dames doivent surmonter quelques difficultés. Maux de dos et de cou, céphalées, courbatures, engourdissement de pieds, fatigue générale sont les ennuis de santé auxquelles elles font régulièrement face. Elles relèvent aussi la préférence des femmes pour les perruques. Une réalité qui porte un coup à leur gain. « Avec ce système, nos clientes se raréfient car elles n’ont plus besoin de coiffures chères. Elles se nattent simplement et portent la perruque dessus», regrette Ramata Ouédraogo.

Les projets ne manquent pas pour nos battantes artistes. Toutes veulent agrandir leur salon ou obtenir un deuxième pour exposer, en plus des mèches, des produits cosmétiques, des pagnes… Mariam Oubda veut aller au-delà des pays voisins. Elle veut s’éloigner jusqu’en Chine ou aux Emirats arabes unis (Doubaï) pour faire ses achats.

Habibata WARA