« Manifestations contre les réformes du BEPC et du Baccalauréat : mieux communiquer afin d’éviter les crises inutiles ». Tel est le titre de la tribune que nous avons commise sur le sujet, dès l’apparition des premiers signes de crispation autour des réformes annoncées par le MENAPLN au niveau des examens du secondaire. Nous y voilà, en plein marasme. Une dramatique psychose s’est emparée du monde scolaire depuis fin mars. Violences, suspicions et accusations fusent de toutes parts. Au-delà des incompréhensions, des invectives plus ou moins virulentes, des procès en responsabilité qui s’instruisent et se tiennent çà et là, à tous les étages sociaux et administratifs de la nation, la voix de la sagesse commande pourtant d’aménager une porte de sortie de cette crise regrettable, qui n’avait véritablement pas sa raison d’être. Analyse sans parti pris d’un citoyen, parent d’élèves et de surcroît, responsable d’une structure scolaire.
« Il n’est pas normal que pour une réforme qui sera engagée en 2022, nous soyons aujourd’hui en train d’arriver à des extrémismes de ce genre ». Ces propos du chef de l’Etat en personne, traduisent le désarroi dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui, face à la crise qui prévaut dans le milieu scolaire. Une crise inexplicable, incongrue à bien des égards, qui met pourtant en péril le bon achèvement de l’année scolaire en cours et menace directement à terme la stabilité et la crédibilité même de notre système éducatif. Les extrémismes dont parle Roch Marc Christian Kaboré concernent sans doute la mort déplorable de deux élèves à ce jour à la suite des manifestations, les nombreuses blessures enregistrées dans les échauffourées entre élèves et forces de sécurité et les nombreux actes de vandalisme et de saccages en règle orchestrés contre des responsables du système éducatif, aussi bien que des symboles et l’autorité de l’Etat.
Tout en appelant au calme et à la raison, le président du Faso n’a cependant pas pu s’empêcher de pointer du doigt « des manipulateurs ». Qui diable manipule qui dans cette sombre et funeste affaire ? Et à quelle fin ? Sommes-nous naïvement tentés de nous interroger. Qui donc, avec quelle cruelle absence de conscience citoyenne, derrière quelle assurance d’impunité morale ou sociale, se paye-t-il ainsi le cynisme d’envoyer nos enfants à l’abattoir ? Au sens propre comme au figuré de l’expression, ce n’est en effet pas autre chose que cette lâcheté d’envoyer des gamins innocents en quête d’instruction, de formation et d’avenir, aller s’opposer frontalement, catégoriquement et de manière si violente à un ajustement institutionnel somme toute normal et courant à travers le temps, les âges et les générations, de leur cadre d’apprentissage et d’évaluation.
Une posture de défiance suicidaire
Hier, perçus par les mêmes enfants comme d’authentiques héros de la nation, engagés dans la lutte contre le terrorisme, au point de se cotiser chaque année volontairement et symboliquement à travers leurs établissements pour venir en aide aux FDS, des policiers et des gendarmes sont aujourd’hui lapidés à coups de pierres, comme des oiseaux, par leurs petits frères élèves, à travers nos villes et nos campagnes. Et cela les amuse très certainement, de défier ainsi la force publique. Ils sont jeunes. Ils ont de l’adrénaline à revendre et ils adorent les jeux dangereux. «Si nos exigences ne sont pas prises en compte dans les jours à venir, l’Etat sera le seul responsable de la dégradation du climat social».
La mise en garde est du porte-parole de l’AESO. Diantre. Dans quelle République sommes-nous ? Ce sont ceux-là qui sont encore en phase d’éducation et de formation, aux fins d’espérer correspondre plus tard aux modèles d’hommes et de femmes dont notre société et notre nation ont besoin, qui se permettent de tancer de la sorte le garant suprême de notre vivre-ensemble qu’est l’Etat ? Pour avoir été parmi les premiers à tirer publiquement la sonnette d’alarme sur les failles objectives, principalement au plan de la communication, du gouvernement dans la conduite de ce dossier de réformes des examens scolaires, nous nous arrogeons ici le droit objectif et démocratique d’indexer l’irresponsabilité de tous les jusqu’aux-boutistes, d’où qu’ils viennent, où qu’ils se planquent et quelles que soient leurs motivations, qui poussent les élèves à la mort, à des risques physiques inconsidérés et à l’hypothèque de leur avenir.
Une tutelle éducative défaillante
Courageusement, la plupart des parents d’élèves se sont murés dans un confortable silence de masse. Lorsqu’il arrive à quelques-uns de s’exprimer sur le sujet, à travers les réseaux sociaux ou dans les émissions radiophoniques interactives, ils versent le plus souvent dans le sentimentalisme et l’émotionnel. Appelant sans autre forme de procès le gouvernement à renoncer à son projet de réformes pour les uns ; accusant les autres des mains invisibles et des cerveaux malicieux d’instrumentaliser leurs enfants et de suborner ces derniers à des causes contraires à leurs propres intérêts.
Quid de la responsabilité éducative des uns et des autres en tant que parents, tuteurs ou encadreurs ? Les enseignants ont beau jeu de clamer toujours que l’éducation des enfants se passe d’abord dans le cercle familial. Ceux qui ont mis au monde des enfants ou qui en ont par délégation sociale la responsabilité, qui les hébergent, les nourrissent, les habillent, les scolarisent afin que, par le savoir acquis à l’école, ils puissent se préparer un avenir, ont le même devoir à nos yeux que l’Etat, voire plus, de veiller à ce que rien de non-essentiel ne vienne perturber leur scolarité. Tout parent d’élève ou tuteur a, de ce point de vue, la responsabilité individuelle d’aider son enfant ou son filleul à mieux comprendre et cerner les enjeux des réformes querellées, qui servent de prétexte pour vouloir faire imploser notre système éducatif. Tout parent d’élève responsable et consciencieux se devrait d’aller à la recherche et la source de l’information juste, objective. Pour pouvoir mieux en expliquer soi-même les tenants et les aboutissants à son rejeton.
Cela permettrait certainement à nombre d’entre eux, embobinés et embrigadés parfois dans une contestation de principe, de pouvoir mieux faire le distinguo entre les intérêts comparatifs de la mise en œuvre des dispositions nouvelles préconisées et les aléas réels ou corporatistes contre-productifs du suivisme instinctif d’une lutte fondamentalement sans objet. A côté de la grande majorité des parents d’élèves, étonnamment passifs face à cette situation, il se peut aussi que, tapis dans l’ombre et rompus à l’art et aux stratégies des luttes clandestines chères à certaines organisations, il y ait bien comme l’a dit le chef de l’Etat des tireurs de ficelles politico-idéologiques impénitents parmi les enseignants et les encadreurs des scolaires en colère et en rébellion ouverte et organisée contre le projet de réformes. Toute chose qui relève ni plus ni moins d’un machiavélisme démoniaque. Une tactique de guerre par procuration peut-être contre le ministre Ouaro et le gouvernement, dont seuls les simples d’esprits peuvent se gausser.
Car, s’il est permis et même de bon droit de se moquer des déboires d’un adversaire politique, il est à l’évidence inconscient d’encourager et de pousser des gamins innocents à commettre l’irréparable. Dans quelques jours, les examens scolaires. Avec ou sans application effective des réformes annoncées, les élèves de troisième et de terminale, qui ont déserté les classes depuis fin mars pour lapider du flic à longueurs de journées, n’auront pas eu le temps nécessaire d’achever leurs programmes. Ni même peut-être de réviser convenablement leurs leçons, les soirs après des journées de courses-poursuites avec les FDS. Quels seront leurs performances et leurs résultats aux examens ?
Le gouvernement a sommé les responsables d’établissements de mettre les bouchées doubles, pour boucler l’année scolaire par anticipation, en ce qui concerne les classes intermédiaires. Il faut espérer que cette mesure préventive apporte un minimum d’accalmie sur le front de la contestation et que cela permette de réfléchir avec un esprit un peu plus apaisé à la suite à donner au projet de réformes. En attendant de voir le sort qui sera réservé aux autres en salles d’examen, il y a, semble-t-il, de la place pour se ménager une sortie de crise honorable, sans que personne nécessairement ne perde sa place ni la face. A une seule et unique condition cependant.
Que l’ensemble des protagonistes, connus ou cagoulés, de cette crise comprennent les risques énormes encourus. Que le gouvernement avec en tête le chef de l’Etat, les élèves avec l’implication active de leurs parents, les profs et les encadreurs avec la conscience éducative en priorité acceptent tous mettre un petit peu d’eau dans leur vin comme on le dit. A la veille d’assises nationales sur l’éducation en préparation, il devrait y avoir la possibilité de reverser les sujets qui fâchent le plus à la discussion, en vue d’un consensus opérationnel. Nul besoin de tout renverser aujourd’hui pour reconstruire demain. Que Dieu bénisse toujours le Burkina Faso.
Sidazabda Damien OUEDRAOGO