Culture fourragère dans le Ziro: un levier essentiel pour la durabilité de l’élevage

Le manque d’infrastructures de conservation du fourrage constitue l’un des handicaps majeurs pour de nombreux producteurs du Ziro.

L’amenuisement des ressources pastorales a conduit bon nombre d’éleveurs et agriculteurs à se tourner, ces dernières années, vers la production des cultures fourragères. Dans la province du Ziro (Sapouy), région du Centre-ouest, la pratique connait un engouement particulier, faisant des producteurs de fourrage des personnes résilientes face au déficit d’aliments pour le bétail.

La saison agricole 2023-2024 tire à sa fin, en ce début du mois d’octobre 2023 dans le village de Neliri, situé à 7 km de la commune de Sapouy, province du Ziro. Cette bourgade est connue pour la pratique de la culture fourragère. Dans la matinée du vendredi 11 octobre, excepté quelques bambins jouant aux alentours des domiciles et des personnes du troisième âge,les paysan se trouvent dans leurs champs, en plein travaux de fin de saison.

A vue d’œil, les spéculations agropastorales, des céréales aux légumineuses, présentent de « très bonnes » physionomies. Elles augurent une bonne fin de saison. Il est 10 h lorsque nous arrivons dans un champ de niébé fourrager. L’exploitation de Niangao Oualon s’étend sur plus de trois hectares (ha). Avec quelques-uns de ses enfants et ses 4 épouses, ce cultivateur cinquantenaire, féru de culture fourragère, est en pleine récolte des grains avant de passer à l’étape de la fauche/ramassage des résidus de récolte (fanes, tiges, pailles).

Comme lui, ils sont nombreux, les agropasteurs de ce patelin à faire de la production fourragère, une véritable alternative pour l’alimentation du bétail. La pratique, fait-on savoir, est introduite dans la localité depuis 2018. Du constat dans les champs, il ressort que ce sont les cultures à double objectif qui sont prisées. « Elles permettent, non seulement, de nourrir la famille mais aussi le bétail », justifie, au passage, le chef de Service départemental en charge de l’élevage de Sapouy, Amédée Tiendrebeogo.

Oualon Niangao est également un éleveur de renom mais aussi de culture fourragère, dans le village de Neliri. Son cheptel, affirme-t-il, se chiffre à plus d’une trentaine de têtes de bovins et d’une centaine de têtes de petits ruminants. De nos jours à Neliri comme partout ailleurs, nous laisse entendre ce producteur de fourrage, alimenter le bétail demeure difficile.

Sédentariser les animaux

Le contexte de pression foncière limitant l’accès au pâturage naturel, est pointé du doigt.

Selon le chef de service régional des espaces et des aménagements pastoraux de la direction régionale en charge des ressources animales du Centre-Ouest, Yahaya Romba, la culture fourragère est pratiquée
avec un niveau de technicité diversifié.

C’est fort de cela, détaille Oualon Niangalo, que l’initiative lui est venue, non sans raillerie d’autres producteurs, à s’intéresser à la production du fourrage.Et convaincu de sa démarche, il s’y est lancé il y a 8 ans. « Je suis agriculteur et éleveur à la fois. Et comme nous n’avons plus de pâturage pour nourrir nos animaux et en même temps nous nourrir, j’ai décidé de me tourner vers les cultures fourragères », dit M. Niangao.

Au début, confie ce cinquantenaire, cette « aventure » ne se limitait qu’à de petites superficies et au fil des années, elle s’est avérée bénéfique. Aujourd’hui, son champ s’étend sur plus d’une vingtaine d’hectares avec différentes spéculations. A titre illustratif, son champ de maïs fourrager (wari) est de 5 ha, 3 ha de niébé fourrager (komkale) et 10 ha pour le sorgho fourrager (sariasso). Si Oualon Niangao se satisfait de sa production, il fait remarquer, cependant, qu’il s’est « vidé » de toutes ses ressources financières pour l’entretien de sa production.

Mais, à l’écouter, depuis qu’il produit son propre fourrage, les entraves qui plombaient son élevage ont vite trouvé des voies de solution. En effet, grâce à cette activité, ce producteur a pu sédentariser ses animaux. Il les alimente sur place évitant ainsi les bisbilles jadis, fréquents entre agriculteurs et éleveurs dans la localité. « Si chaque éleveur produit le fourrage, beaucoup de problèmes que nous connaissons seraient minimisés », se convainc-t-il.

Pour ce faire, les producteurs de fourrage comme lui plaident pour un meilleur accompagnement du ministère de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques. De l’avis de M. Niangao, c’est surtout la réduction des prix des intrants agricoles et zootechniques qui est plus souhaitée. La cherté des semences fourragères et de l’engrais, aux dires de nombreux producteurs, ne favorise pas la pratique de cette spéculation. « Cette année, j’ai acheté 55 sacs d’engrais à raison de 27 500 F CFA, l’unité », souligne-t-il.

Une source de revenu

Dans son champ de niébé fourrager, Kobia Nama estime que l’une des difficultés est la cherté des semences.

Qu’à cela ne tienne, il dit garder espoir, parce qu’il pourrait recouvrer l’entièreté de ses dépenses après la vente de son fourrage.Aussi, en plus de nourrir son troupeau avec ses récoltes, une grande partie est vendue à de nombreux éleveurs de la province et même d’ailleurs. Bien que la priorité de la production fourragère soit d’alimenter le bétail, sa pratique, à entendre bon nombre de producteurs dans le village de Neliri, est également pourvoyeuse d’emplois et source de revenu. La vente du fourrage permet ainsi d’améliorer la situation financière.

« L’année passée, j’ai eu près de 4 millions F CFA dans la vente du fourrage. Avec cette somme, je parviens à prendre en charge la scolarité de mes enfants et à subvenir aux autres besoins de ma famille », se réjouit Oualon Niangao. Issa Zongo, producteur de fourrage dans le même village, ne dit pas le contraire. Agropasteur, sa production s’étend sur plus d’une dizaine d’hectares, en plus d’une quarantaine de têtes de bœufs.

Il confie avoir réalisé un bénéfice de près de 2 millions F CFA, la saison écoulée, dans la vente de son fourrage. Grâce à ce revenu, M. Zongo a pu se construire un magasin de stockage de fourrage, élément essentiel, fait-il savoir, pour la conservation de cet aliment pour bétail. « Il n’y plus de brousse pour permettre aux animaux de divaguer et de paître comme avant. Donc, avec ce que nous produisons comme fourrage, nous les nourrissons pendant la saison sèche, sans avoir besoin de se déplacer comme on le faisait avant », affirme Issa Zongo.

Les cultures fourragères, maintient-il, demeurent une alternative pour juguler le déficit d’aliment pour bétail qui devient, selon ses dires, de plus en plus préoccupant pour bon nombre d’éleveurs. C’est aussi le point de vue de dame Kobia Nama. La cinquantaine bien sonnée, elle est l’une des femmes à s’intéresser à la pratique de la culture fourragère. Avec l’appui de son époux, relate-t-elle, elle a pu obtenir une superficie de 5 ha pour sa production fourragère. Le niébé, le soja et le maïs sont les variétés cultivées.

Dans son champ de niébé fourrager, nous l’avons rencontrée, toute souriante. Elle déclare que face aux effets du changement climatique, la culture fourragère est devenue une nécessité pour peu qu’on veuille assurer la productivité et la durabilité des systèmes agropastoraux. « C’est la seule manière qui permet aux éleveurs de faire face au problème d’alimentation du bétail, surtout en période sèche », ajoute Kobia Nama.

Un tremplin pour la viabilité de l’élevage

Le directeur provincial en charge des ressources animales et halieutiques du Ziro, Souro Sanou : « L’intensification de la culture fourragère est une voie indispensable pour assurer l’accroissement de la productivité animale ».

La « brave » Kobia regrette, cependant, la suspension de la Foire des producteurs de fourrage de la province du Ziro. De son avis, cette journée promotionnelle sur la fauche et la conservation du fourrage, qui se tenait chaque année, offrait l’occasion aux producteurs de partager leurs expériences en termes de bonnes pratiques, en plus d’être une tribune de vulgarisation à grande échelle de la pratique fourragère.

Dans les faits, après la 14e édition en octobre 2020, l’activité n’a plus été organisée pour diverses raisons. La maladie à coronavirus et l’instabilité politique à la tête de l’Etat, explique le président de cette foire, Ali Barry, sont les raisons de l’abandon de cette initiative. « C’était une journée d’encouragement et de sensibilisation de l’ensemble de la population à l’utilité de la pratique fourragère », commente-t-il. Fort de cela, Ali Barry lance un appel pour la tenue à nouveau de cet événement.

A défaut, il préconise surtout un accompagnement conséquent des producteurs. « Si on accompagne les producteurs, c’est tous les acteurs de la chaine de valeur des filières animales qui gagneront », se convainc, dans cette dynamique, Alidou Sawadogo, cultivateur fourrager, établit dans le village de Kasso, à 5 km de Sapouy. Lui, est propriétaire d’un champ fourrager qui s’étend sur une dizaine d’hectares. Il déplore l’insuffisance accrue des infrastructures de conservation (fenils) mais aussi l’indisponibilité des terres cultivables liée à la pression foncière.

Pour le directeur provincial de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques du Ziro, Souro Sanou, il y a lieu d’accompagner les pasteurs et les agropasteurs dans la production du fourrage cultivé. Convaincu de la « grande place » qu’occupe le fourrage dans la viabilité et le dynamisme du secteur de l’élevage. M. Sanou estime, en effet, qu’en plus d’accroitre la productivité agropastorale et de supporter les coûts de production qui, du reste, ne sont plus à la portée de bon nombre d’éleveurs, certaines cultures fourragères telles les légumineuses permettent d’améliorer la fertilité du sol et sa texture par la fixation de l’azote.

Mieux vulgariser la pratique

« Produire et stabiliser ses animaux permet de mieux rentabiliser et réduire les conflits liés à l’utilisation des ressources naturelles. Il faut promouvoir cette pratique pour faire face aux effets néfastes du changement climatique qui ont provoqué la rareté des ressources pastorales », observe-t-il. En termes d’accompagnement des producteurs, le directeur provincial en charge de l’élevage précise qu’ils sont organisés, par l’entremise de ses services, en sociétés coopératives.

Cela, note-t-il, afin de leur venir en appui dans divers domaines, notamment la distribution des semences et la vulgarisation des bonnes pratiques agropastorales. Toutefois, il reconnait que cela demeure insuffisant si tant est qu’on veuille mieux vulgariser la pratique de la culture fourragère telle que souhaitée par les premières autorités du ministère. Il formule ainsi le vœu de voir s’intensifier davantage la pratique de la culture fourragère.

Cela, se rappelle-t-il, à l’image des années 2018, où par le biais du Projet de développement de l’élevage en zone périurbaine de Ouagadougou, beaucoup d’acquis ont été relevés, en termes d’appui aux producteurs. « Il y a l’insuffisance de formations en techniques de production et de conservation de fourrage ainsi que l’absence d’équipements. L’accompagnement existe mais, il n’est pas conséquent pour couvrir les besoins des éleveurs », concède Souro Sanou.

Du côté de la direction régionale de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques du Centre-Ouest, l’on reconnait aussi la nécessité d’appuyer les efforts des producteurs. Si des efforts sont faits dans ce sens, la faible alphabétisation des paysans handicape considérablement l’appropriation des appuis-conseils. Selon le chef de service régional des espaces et des aménagements pastoraux, Yahaya Romba, des sorties sporadiques de terrain ont permis de s’en convaincre.

« Il s’agit, surtout, de la non-maitrise des techniques de conservation et de bien d’autres aspects », relève-t-il. Il salue, du reste, l’engagement des paysans qui, nonobstant ces difficultés, continuent de produire du fourrage dans cette partie du Burkina Faso. A écouter M. Romba, des initiatives conséquentes seront mises en œuvre à l’effet de vulgariser et d’intensifier la culture fourragère dans la région.

Ce, au regard de son apport « inestimable » à l’alimentation du bétail tout en permettant aux éleveurs d’être plus résilients face aux effets néfastes du changement climatique et à la pression des activités anthropiques sur les ressources fourragères. « Elle reste la seule alternative par laquelle nous pouvons développer notre système d’élevage face à la diminution du disponible fourrager », conclut Yahaya Romba.

Soumaïla BONKOUNGOU


Le coût des semences fourragères hors de portée

Comme les autres secteurs d’activités du monde rural, les producteurs de fourrage font face à certaines difficultés qui annihilent les initiatives des paysans. Au nombre de celles-ci, les prix des semences fourragères sur le marché qui restent, selon la majorité des producteurs, très élevés, en plus de ceux des intrants agricoles. En effet, si elles ne sont pas distribuées par les services de l’Etat, il faudrait débourser 1 500 à 3 000 F CFA pour obtenir 1 kg de semence, selon la spéculation. Toute chose qui freine l’élan de nombreux paysans à s’adonner à la pratique de la culture fourragère avec des impacts sur les politiques de sa vulgarisation agricole et de promotion. Travailler à la réduction des coûts des semences fourragères, pourrait ainsi contribuer à développer la pratique et atteindre les objectifs escomptés.

S.B.


La pression foncière, une menace !

A l’image d’autres contrées du Burkina Faso, la province du Ziro ploie sous le coup de la pression foncière. En effet, aux dires de nombreux agropasteurs, de grands espaces sont des propriétés privées au détriment des activités agropastorales. Zones de pâture, couloirs de passage du bétail et espaces cultivables se réduisent d’année à année. D’où l’inquiétude de beaucoup de producteurs de cultures fourragères, craignant à long terme, d’être dépossédés de leurs espaces cultivables. Si cette occupation à grande échelle des terres se poursuit, la pratique de la culture fourragère se retrouverait écornée au profit de celle de subsistance uniquement. Il s’ensuivra, de l’avis de tous, le recul du secteur de l’élevage.

S.B.

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