A la suite du coup d’Etat du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), Sidwaya a rencontré Dr Daniel Kéré, enseignant-chercheur à l’université Thomas-Sankara et directeur exécutif du Cercle d’étude Afrique-Monde afin de recueillir son avis sur la situation nationale.
Sidwaya (S) : Le président Roch Marc Christian Kaboré a été renversé le lundi 24 janvier dernier par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR). Etait-ce, selon vous, prévisible au regard de la situation nationale délétère ?
Daniel Kéré (D.K.) : Oui, le coup d’Etat était prévisible depuis plusieurs mois. Au vu de la dégradation de la situation sécuritaire et aussi de l’incapacité des anciennes autorités à retourner la situation et au regard des nombreux scandales de corruption qui a créé une situation assez compliquée. Et il faut remarquer que bien avant cela, des mouvements de mutineries étaient observés dans certaines casernes à l’époque de l’ancien chef d’état-major. Des médiations avaient été menées pour calmer la situation mais les ressentiments étaient déjà profonds au sein de la Grande muette. Au regard de ce cocktail d’éléments, plusieurs analystes esquissaient déjà le danger que le régime courait et ont essayé d’alerter les anciennes autorités sur leur capacité à retourner rapidement la situation pour conjurer ce qui devait arriver. Malheureusement, l’inéluctable finit toujours par se produire.
S : Le coup d’Etat a été globalement salué par les populations. Que faut-il comprendre à travers ces manifestations de joie ?
D.K. : Je parlerai plutôt d’une forme d’indifférence bienveillante. Bienveillante en ce sens que les populations tolèrent ce coup d’Etat, mais ce n’est pas la grande ferveur des grands jours que l’on observe autour de ce coup d’Etat. Il y a une indifférence dans la mesure où peu de personnes sortent manifester pour soutenir le président Roch Marc Christian Kaboré.
S : Le coup d’Etat repose-t-il la question de la réconciliation nationale ?
D.K. : La réconciliation nationale est un impératif pour notre pays en ce sens que le pays a besoin de toutes ses forces vives, qu’elles soient de l’ancienne majorité ou de l’opposition. Forces de défense et de sécurité, autorités religieuses et coutumières, jeunes, personnes âgées, le pays a besoin de toutes ces énergies pour avancer. Nous sommes dans une situation difficile. On attend de voir les premiers actes que les nouvelles autorités vont poser. Est-ce qu’elles vont poursuivre la nouvelle dynamique engagée sous le régime Kaboré ? On attend de voir. Mais j’insiste sur le fait que la participation de toutes les composantes de la société est essentielle pour que le pays puisse aller de l’avant.
S : La Constitution a été suspendue. Quelles pourraient en être les implications juridiques ?
D.K. : Les implications sont nombreuses dans la mesure où la Constitution est la charpente juridique, la clé de voûte du droit dans un Etat. C’est de la Constitution que le droit administratif tient ses sources, de même que toutes les autres branches du droit telles que celle commerciale etc. Quand vous prenez un arrêté, il vise un décret qui, à son tour, vise une loi mais en dernier recours c’est la Constitution qui est visée. Donc si la Constitution est suspendue, c’est toute la charpente juridique qui est compromise. Des actions sont déjà en cours actuellement. Comment les justifier ?
Parce que la suspension de la Constitution fait basculer le pays vers un Etat d’exception en ce sens que les actes qu’on va poser ne reposent pas sur la Constitution. Mais sur quoi reposent-ils exactement ?
Si on va traiter les actions au cas par cas, il est évident que nous sommes dans un Etat d’exception. Il va falloir se pencher sur cette question. Ce qui va permettre de justifier la légalité de toutes les actions en cours. Il faut réhabiliter la Constitution et proposer une sorte de charte qui prenne en compte la nouvelle situation mais sans toutefois remettre en cause l’organigramme juridique qui existait et qui régit toujours les activités en cours. Je pense que la réflexion peut être engagée.
S : Allons-nous assister à une concentration des pouvoirs par le MPSR ?
D.K. : On attend de voir les différentes institutions qui seront mises en place par les nouvelles autorités mais a priori, l’Assemblée nationale est dissoute, de même que le gouvernement, donc les pouvoirs législatif et exécutif n’existent pas actuellement. Il y a donc une concentration de fait d’un pouvoir entre les mains du MPSR. Est-ce que cette concentration de pouvoir va demeurer ou va être éclatée au sein des institutions qui seront mises en place pour conduire la Transition ? On attend de voir.
S : Quels devraient être les principaux défis que doivent relever les militaires dans le contexte actuel ?
D.K. : Les principaux défis à relever doivent être en cohérence avec la situation qu’ils ont présentée comme étant explicative de leur accession au pouvoir à savoir la situation sécuritaire, les questions de corruption, etc. La lutte contre ces maux doit donc être au centre de leur action. Il faut qu’ils soient en cohérence avec eux-mêmes et les actions qu’ils vont poser doivent s’inscrire dans cette dynamique. On attend de voir les mesures qui seront prises dans les jours à venir pour être vraiment situé sur le chemin suivi. Mais, on s’attend à ce qu’ils s’attaquent en premier lieu à la question sécuritaire, à la lutte contre la corruption. Pour cela, il leur faut un soutien populaire massif. Leurs actions doivent tendre à satisfaire au maximum les intérêts des populations à savoir trouver des emplois pour les jeunes, etc. S’il y a cette ferveur populaire qui les accompagne, ils pourront réussir leur Transition. Mais cette ferveur populaire est tributaire des actions qu’ils vont mener dans l’intérêt populaire.
S : Qu’est-ce qui doit être entrepris pour réussir la future Transition qui sera mise en place ?
D.K. : On attend de voir les différentes institutions qui seront mises en place. Mais il faut une large concertation des composantes de la société. Il faut que toute la classe politique puisse fournir des propositions pour qu’on trouve un schéma assez consensuel. Et c’est ce schéma qui va déterminer le visage de la Transition. Il faut qu’on s’accorde sur un certain nombre de mesures à prendre. Ces mesures doivent être prises dans l’intérêt général afin d’avoir le soutien populaire. Cette Transition fera l’objet de tractation quant à sa durée et à la composition des membres.
S : Le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba est un ancien élément du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). D’aucuns craignent alors un retour aux affaires du système Compaoré. Partagez-vous cette inquiétude ?
D.K. : Personnellement, je ne connais pas le nouveau leader du pays. Mais ce que je peux dire c’est que la dynamique d’évolution de notre population est exigeante. Les nouvelles autorités vont-elles aller de l’avant ou faire un retour vers l’ancien régime ? Je ne peux présager de ce qui sera décidé. Mais il faudrait préciser que la population burkinabè est devenue très exigeante par rapport à ses libertés publiques, à certains acquis démocratiques, aux droits humains, etc. Le peuple attend qu’on aille de l’avant et non qu’on retombe dans le système répressif qu’on a connu dans le régime passé.
S : La CEDEAO va certainement prendre des sanctions comme elle l’a fait pour le Mali. Ces sanctions sont-elles réellement dissuasives ?
D.K. : Les sanctions de la CEDEAO n’effraient plus. Sinon, il n’y aurait pas de coup d’Etat au Burkina. Les sanctions prises contre le Mali participent du fait que la junte militaire semble durer au pouvoir et veut un prolongement de la Transition. Or, les textes de la CEDEAO sont très clairs. La voie privilégiée pour arriver au pouvoir est celle des élections et non les coups d’Etat. La CEDEAO est en cohérence avec ses propres principes mais ne dissuadent plus d’autres personnes de prendre les armes pour conquérir le pouvoir. Et c’est ce qui est arrivé au Burkina. Les sanctions de la CEDEAO ne sont donc plus dissuasives.
S : La CEDEAO est-elle une organisation crédible ou comme le disent certains une CEDEAO des chefs d’Etat ?
D.K .: Il y a longtemps que la CEDEAO a perdu une cote de sa popularité auprès des populations. Lorsque des chefs d’Etat tentent de tripatouiller la Constitution pour se maintenir au pouvoir alors que celle-ci l’interdit formellement, la CEDEAO ne réagit pas. Mais lorsque des chefs d’Etat sont débarqués, elle veut brandir le bouclier. Les populations ne peuvent pas comprendre pourquoi l’organisation sous régionale se tait quand les chefs d’Etat pratiquent une démocratie de façade et réagit vivement quand ces mêmes chefs d’Etat sont débarqués. Il faut insister sur le fait que nos démocraties souffrent énormément parce qu’on a des systèmes d’élections qui sont assez minoritaires. Pour le Burkina Faso, aucun chef d’Etat n’a déjà été élu avec plus de deux millions de voix depuis que le pays est indépendant. Et ce, pour un potentiel électoral de 10 millions de personnes. En termes d’images, si dans une salle de classe il y a 100 colosses, que seuls 30 participent à une élection et que vous êtes élus avec 15 voix, ça fait peur ! Par ailleurs, pour participer à ce système électoral, il faut beaucoup d’argent qui ne provient pas forcément de sources licites. Ce ne sont pas des cotisations de membres qui financent les campagnes électorales. Et cet argent doit être remboursé coûte que coûte après la victoire. Cette situation existe au Burkina Faso et dans bien d’autres pays. Alors comment on peut parler de démocratie ? Est-ce que la CEDEAO s’attaque à ces maux ?
A ceux de la mal gouvernance ? Ou même de l’insécurité en mobilisant des moyens pour aider les Etats ? La réponse est non !
Au contraire, c’est quand l’armée prend le pouvoir qu’elle réagit. A mon avis, il y a lieu que la CEDEAO se réforme afin d’aider les populations à régler leurs problèmes de gouvernance interne. Si la CEDEAO arrive à le faire, elle pourra reconquérir sa cote auprès des populations.
Interview réalisée par Nadège YAMEOGO