« Faidherbia albida »: L’arbre qui perd ses feuilles en saison des pluies

Le « Faidherbia albida » est un arbre répandu à Boni, village situé à environ 15 kilomètres de Houndé, dans l’Ouest du Burkina Faso. Cette espèce végétale qui colonise la bourgade depuis des lustres a un mécanisme de fonctionnement différent des autres arbres. Contrairement aux autres plantes qui perdent leurs feuilles en saison sèche pour s’adapter à l’aridité des conditions climatiques, le « Faidherbia albida », perd ses feuilles en début de saison pluvieuse. Sa feuillaison commence en début de la saison sèche. Aussi, il joue un rôle important dans la vie socioéconomique des habitants de ladite localité. Immersion dans l’univers d’une espèce végétale chargée de mystères !

Juillet 2020. La saison des pluies vient de bien s’installer dans l’Ouest du Burkina Faso. A Boni, village situé à environ 15 kilomètres de Houndé, chef-lieu de la province du Tuy, la végétation a reconquis ses terres. A présent, elle déploie brillamment sa luxuriance au pied de la colline où s’étale le village. De part et d’autre de la Route nationale n°1 qui traverse le village d’Est en Ouest, les feuillages des grands « Khayas senegalensis », Neem et autres espèces plantées au long de la route bougent au gré du vent. Au moment où presque tous les arbres reverdissent dans la localité, une seule espèce se distingue : branches entières effeuillées scrutant le ciel, branchettes épineuses, tronc de couleur grise portant des tâches blanchâtres et des fissures par endroits, écorces écaillées. Telles sont les caractéristiques physiques de l’espèce végétale au cœur de la saison hivernale. Localement appelé « n’laho » en langue bwamou, l’arbre qui force l’admiration au premier venu est connu sous le nom scientifique de « Faidherbia albida » encore appelé « Acacia albida ».
Décembre 2020. Soit cinq mois après, la saison sèche dicte sa loi dans le village de Boni. Le « Faidherbia albida » présente de nouveaux caractères morphologiques. Il a recouvré ses feuillages. Sur ses grosses branches, les branchettes dénudées garnies d’épines se sont recouvertes de feuilles de type « alterne, composé et bipenné ». Outre sa feuillaison, l’espèce est en pleine floraison et certains arbres ont commencé à produire les premiers fruits.
Selon l’enseignant-chercheur Loyapin Bondé, membre du laboratoire de biologie et écologie végétales à l’Université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou, le « Faidherbia albida » est une légumineuse qui pousse dans les régions sèches de l’Afrique tropicale et subtropicale ainsi que dans le Moyen Orient. Autrefois, classé dans la famille des Mimosacées, aux dires de l’enseignant-chercheur, le « Fadherbia albida » appartient désormais à la famille des Fabacées, selon la nouvelle classification proposée par APG (Angiosperm Phylogeny Group) III en 2009. Pour le spécialiste en écologie végétale, l’inversion de la feuillaison constitue une caractéristique particulière de l’espèce. Il fait, par ailleurs, comprendre que les travaux récents menés au Burkina Faso, sur le « Faidherbia albida », montrent que la feuillaison de l’espèce est positivement influencée par la « kinétine » et la « gibbéreline ». Selon ses explications, il s’agit de deux phytohormones dont la teneur « augmente dans les organes végétatifs de l’espèce en saison sèche plus particulièrement pendant la période froide, ce qui sous-tend que leur sécrétion est liée à certaines variables climatiques ». A l’en croire, le « Faidherbia albida » est une espèce adaptée aux zones où la pluviométrie annuelle varie entre 300 et 1 800 millimètres.

Un arbre utilitaire !

A Boni, des colonies de «n’laho», sont dispersées parmi les concessions et sur des vastes surfaces destinées à la culture.
Le dimanche 12 juillet 2020, sur la place publique, Siéwion Gnoumou, 62 ans, est assis l’air pensif, au pied du grand baobab. A côté, des jeunes garçons, en petit groupe, devisent à cœur joie en cette matinée de jour de repos. Après les salutations d’usage, nous voilà à la suite du sexagénaire dans sa concession, située à deux pas de l’arbre. Il nous reçoit sous un hangar de fortune. Dans son champ situé de l’autre côté du goudron, se dressent des pieds de « n’laho ». «Avec le passage des hautes tensions, certains ont été abattus et il n’en reste plus qu’une quinzaine », déclare le sexagénaire.
Selon lui, le « Faidherbia albida » enrichit le sol dans le champ. « Quand les feuilles tombent ça fertilise le sol. C’est comme de l’engrais ! », explique-t-il. Sous sa véranda, le regard lointain, le vieux Nankoi Bondé, âgé de 74 ans, est du même avis. En face de sa concession trois grands pieds de « Faidherbia albida » trônent sur une petite portion de terre où poussent allègrement des jeunes plants de maïs. Selon le septuagénaire, les plants qui poussent sous le houppier de ces arbres, présentent généralement une bonne physionomie. Pour le chef du village, Yacouba Bondé, ces plants de maïs, sans avoir besoin d’engrais, produisent de « gros épis » à la récolte. Aussi, les écorces de l’arbre constituent, d’après lui, un « bon remède » contre la toux et les plaies « inguérissables ». Les habitants du village sont quasi-unanimes que les fruits de l’arbre constituent de « bons » fourrages pour le bétail. « Les fruits apparaissent pendant la saison sèche où il y a un manque de pâturage. Lorsque vous les donnez aux animaux, ça les empêche d’aller errer (…) et aussi ça les fait grossir », témoigne l’éleveur, Kassia Drissa, à la tête d’un troupeau familial d’environ 90 bêtes (bœufs et moutons). Depuis trois ans maintenant, dit-il, il a recours aux fruits du « Faidherbia albida », qu’il achète pour alimenter son bétail.

Une espèce qui autonomise les femmes

Le « Faidherbia albida » joue également un rôle important dans l’autonomisation des femmes de Boni. En effet, pendant la saison sèche correspondant à la fructification de l’arbre, c’est tout un business qui se crée autour de la vente des fruits du « n’laho ». Au premier plan duquel on trouve les femmes. Bamboussan Gnoumou, la soixantaine bien sonnée et mère de cinq enfants, est l’une de ces nombreuses femmes qui, au moment de la production de l’arbre, s’adonnent à la vente des fruits. A proximité de sa concession, s’étend une grande superficie d’«Acacia albida ». « Lorsque les fruits de l’arbre mûrissent et tombent, nous les ramassons pour les vendre à des marchands », clame-t-elle en montrant du doigt les arbres visibles depuis sa concession. « L’année où les arbres produisent beaucoup, je peux avoir jusqu’à 10 sacs de 50 kilogrammes de fruits », affirme la sexagénaire. Selon elle, le prix du sac varie entre 1 000 et 2 000 F CFA en fonction de la disponibilité du fruit. « Comme cette année, la production était faible, nous avons vendu le sac à 1500 F CFA », a-t-elle indiqué.
Aux dires de la vieille Bamboussan, les revenus servent à acheter des vivres complémentaires pour les repas de la famille. Cela fait près de cinq années que Dofintemi Penou, mariée et mère de cinq enfants, pratique le commerce des fruits du « n’laho ».
Pendant la fructification, cette trentenaire, native de Bahoun, un village de la commune de Boni, va dans les champs tous les matins, à la recherche des fruits au pied des arbres.
A l’en croire, la production n’ayant pas été bonne cette année, elle n’a pu récolter que six sacs de fruits qu’elle a cédés à un parent éleveur.
« L’argent obtenu m’a permis d’acheter des plats (récipients) dont j’avais besoin », a-t-elle laissé entendre, l’air enjoué. Et de poursuivre : «L’argent sert aussi parfois à acheter des cahiers pour mes enfants qui vont à l’école ». Hagniki Gnoumou, 29 ans, est une autre vendeuse des fruits de l’arbre. Non loin de sa concession, un vieux « Faidherbia albida » devenu complètement sec, résiste encore aux intempéries. La mine souriante, la jeune femme évalue à trois ans ses premiers pas dans l’activité. Au cours de la campagne passée, elle dit avoir collecté près de dix sacs de fruits. Grâce aux revenus engrangés, cette mère de cinq enfants dit avoir acheté quelques vêtements et des fournitures scolaires pour ses mômes.
« Parfois quand on n’a pas encore soldé la scolarité des enfants et que leur père dit qu’il y a manque de moyen, je paie la scolarité avec l’argent de mon commerce », détaille la jeune femme qui a trois enfants inscrits à l’école du village.
Selon la coordonnatrice communale des femmes de Boni, Korotimi Lamien, le ramassage des fruits du
« n’laho » est une activité que les femmes exercent individuellement. Elle s’étale habituellement de décembre à mars. Pour elle, le « Faidherbia albida » est un arbre important pour les femmes à Boni car, en plus de les occuper en saison sèche, il contribue à leur autonomisation financière. Selon le chef de service départemental de l’environnement, Daouda Pafadnam, le « Faidherbia albida » est l’une des espèces végétales les plus rencontrées dans la commune de Boni. Pour lui, c’est un arbre qui a plusieurs utilités mais son utilisation est faite parfois au mépris de certaines règles. En effet, certaines activités anthropiques représentent des dangers pour la survie de l’espèce.
« Les menaces sont dues au fait que les gens coupent les fruits et les feuilles de l’arbre pour les animaux. Ils utilisent aussi les branches pour faire des enclos (…) et il y a l’utilisation des écorces qui contribuent à tuer l’arbre »,
a-t-il laissé entendre. Afin d’avoir un meilleur traitement de l’arbre, les populations sont sensibilisées aux risques de leurs actions pendant les sorties, selon le contrôleur des Eaux et forêts.
A l’endroit des femmes qui exploitent les fruits de l’arbre, M. Pafadnam conseille
« de laisser tomber les fruits avant de les ramasser parce qu’en utilisant la gaule pour les cueillir on peut casser les branches».
Pour accroître la régénération de l’espèce, selon l’enseignant-chercheur Loyapin Bondé, plusieurs pistes peuvent être explorées.
Parmi celles-ci, il évoque la prise de conscience des populations locales et des décideurs sur la nécessité de restaurer les parcs à «Faidherbia albida », la promotion de la plantation et du suivi des plants de l’espèce pour garantir leur croissance, la pratique de la Régénération naturelle assistée (RNA) dans les champs et la conduite d’études approfondies sur les conditions écologiques optimales à l’établissement de l’espèce pour mieux orienter les activités de plantation.

Babou Eric BAZIE
(AIB/Tuy)

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Quid de l’apparition du « faidherbia albida » dans le village ?

L’apparition du « Faidherbia albida » dans le village de Boni semble être entourée de mystères. En effet, selon le chef de terre, Tangossi Bondé, la présence de l’espèce dans le village date de très longtemps et serait même antérieure à sa création. Pour lui, elle serait apparue dans la localité au même moment que les arbres tels que le tamarinier. « Dans certains lieux on dit que ces arbres viennent du Sahel. Mais je ne sais pas comment ils sont arrivés ici. Nous sommes nés trouver ces arbres », affirme le chef du village, Yacouba Bondé. Même son de cloche chez le sexagénaire, Siéwion Gnoumou. « Je suis né trouver ces arbres dans le village (…) mais il y a de nouveaux pieds qui sont apparus devant nous car lorsque les fruits de l’arbre tombent cela donne de nouveaux plants », a-t-il expliqué.
B. E. B.

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