Le gouvernement du Burkina Faso a décrété en 2016 la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans dans les formations sanitaires publiques. Le panier de soins concerne les consultations et les actes d’intervention, des médicaments et des consommables médicaux, des produits sanguins, les examens complémentaires, le séjour hospitalier et l’évacuation sanitaire dans le système de santé. Après huit ans de mise en œuvre, la gratuité a contribué à réduire le taux de mortalité maternelle de moins de 59 %.
Limata Ganamé est une mère de cinq enfants dont trois vivants. Dans le centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Bingo, sise au secteur n°7 de Ouahigouya où nous l’avons rencontrée elle tient un nourrisson de six mois. Aujourd’hui, c’est le rendez-vous pour la pesée de routine de son enfant. Après la consultation, la sage -femme affirme que son enfant se porte bien. Dame Limata n’a rien payé pour cela.
Avant ce nourrisson, dame Ganamé a perdu deux enfants après leur accouchement. Son histoire commence en 2014 quand elle tombe enceinte pour la première fois. Faute de moyen financier, elle n’a pas pu faire le suivi de sa grossesse. « Je suis ménagère, mon époux ne travaille pas. C’était difficile pour moi d’aller dans un centre de santé pour faire les consultations ni avoir de quoi acheter le médicament (fer) contre une éventuelle anémie et le produit antipaludique », confesse-t-elle, l’air triste. Elle a donc trainé la grossesse jusqu’à son accouchement. C’est après trois jours de travail qu’elle a finalement donné naissance à domicile d’un enfant mort-né.
Quelques mois après ce malheur, elle tombe de nouveau enceinte. Le scenario se répète. Aucune consultation prénatale (CPN) jusqu’au jour de l’accouchement qui aurait permis d’éviter le pire. « Juste quelques heures après, son bébé a rendu l’âme », raconte-t-elle, les yeux embués.
L’histoire aurait pu se répéter pour dame Ganamé, mais la nouvelle politique du gouvernement est tombée pile pour la sortir de l’ornière. La gratuité des soins pour les femmes enceinte et les enfants de moins de cinq ans. « Grâce à cette politique, j’ai pu faire mes visites prénatales, avoir les produits contre l’anémie et le paludisme. Aujourd’hui, j’ai trois enfants en bonne santé. Le dernier est né en décembre 2023 », explique-t-elle, l’air reconnaissante.
Comme elle, Mme Kadidiata Weremy, refugiée, est aussi une mère de six enfants. Venue du Mali, elle a foulé le sol burkinabè en 2018. « C’est ici que j’ai eu mon dernier enfant qui fait la classe de CP1 cette année. J’ai été surprise de constater que les soins sont gratuits. Au début, j’ai cru que cela était dû à mon statut de réfugié. C’est après coup que j’ai compris que c’est une politique mise en place par l’Etat », relève-t-elle.
La politique a été salvatrice pour nombre de femmes. En effet, selon les données de l’annuaire statistiques 2022 du ministère en charge de la santé, les coûts moyens des soins pendant la grossesse se situent entre 1000 et 22 000 FCFA.
Un tableau récapitulatif des tarifs des soins avant la gratuité
Formations sanitaires | Consultations prénatales | Accouchements |
centre de santé et de promotion sociale (CSPS) | 1 000 | 3 300 |
Centre médical avec antenne chirurgical (CMA) | 7 000 | 25 000 |
Centre hospitalier régional/ centre hospitalier universitaire (CHR/CHU) | 22 000 | 52 000 |
Source : annuaire statistique 2022 du Ministère en charge de la Santé
L’évolution des consultations et des accouchements
La gratuité des soins, une décision salvatrice
Selon la directrice de Gender vision and coaching, Mme Fatimata Sinaré Ouilma, une spécialiste en genre et du développement, le constat était que les femmes avaient des problèmes pour se prendre en charge en matière de santé. Certaines se sont souvent présentées dans les centres de santé sans ressources même pour assurer la pesée qui coûtait 200 FCFA. Une chose qu’elles doivent faire tous les mois jusqu’à l’accouchement. « Si elles n’ont pas de l’argent pour payer les frais de consultations, ce n’est pas des comprimés pour lutter contre l’anémie et le paludisme qu’elles pourront acheter », explique dame Sinaré. Pourtant le paludisme est la première cause de mortalité au Burkina Faso. « C’est ce qui explique la hausse du taux de mortalité maternelle », ajoute-t-elle. La gratuité est une merveille pour l’experte en genre, Mme Sinaré. Elle se réjouit surtout pour les femmes en milieu rural qui sont éprouvées au niveau de la bourse.
« Cette décision vient comme une bouffée d’oxygène pour nous soulager et nous motiver à faire le suivi correct des grossesses. Ainsi dès que le travail commence, on se rend immédiatement à la maternité la plus proche pour l’accouchement », confirme Limata Ganamé.
Baisse de la mortalité maternelle
Ces données émanant du secrétariat technique de la réforme du financement de la santé (ST/RFS) présentent l’évolution du taux de mortalité maternelle. Il démontre qu’entre 2015 et 2021, il y a une baisse drastique de 59 %.
Et le maïeuticien de la maternité du (CSPS) du secteur 2 de Ouahigouya, Abdoulaye Ouédraogo de noter que pour réduire les risques de complications pouvant entrainer le décès de la mère après l’accouchement, la femme enceinte doit au moins faire quatre consultations prénatales (CPN) comme c’était le cas avant et prendre ses médicaments jusqu’à l’accouchement. Elle doit être assister par un professionnel de la santé lors de son accouchement. « Cela réduit considérablement les risques de complications. Si la patiente est bien suivie, les risques sont minimes », confie l’agent de santé. La gratuité a donc contribué à faire hausser le taux des accouchements de 2018 à 2022 et baisser celui de la mortalité maternelle.
Pour le chargé des programmes à la Direction de la santé et de la famille, Dr Mathieu Bougma, la prise en charge gratuite des soins des femmes enceintes encouragent leurs époux à les accompagner dans les centres de santé dès qu’elles sont enceintes. « Dès que le travail commence, elles sont conduites à la maternité. Plus besoin pour eux de les laisser trainer jusqu’au stade des complications avant de s’y rendre », renchérit-t-il.
La satisfaction des patientes est appréciable. Grâce à un sondage réalisé entre janvier et mars 2024 sur 17 839 bénéficiaires, elles ont exprimé leur degré de satisfaction des services de santé de gratuité. Le sondage a porté sur l’accueil, la confidentialité, l’hygiène, la politique gratuité, le traitement reçu et le temps d’attente. Il a révélé que la satisfaction globale est de 100 % sur la confidentialité et 99 % pour chacune des autres composantes, selon les données du bulletin d’information de la gratuité des soins.
Ce sentiment est partagé également par Limata Ganamé. « Être assister par un agent de santé, nous évite des complications pendant et après l’accouchement. Je ne peux que souhaiter qu’elle perdure », insiste-t-elle tout en saluant les efforts du gouvernement.
Pour le Médecin chef du district sanitaire de Ouahigouya, Lozé Issa Traoré, cette appréciation est avérée. Grace à la gratuité, le nombre des femmes enceintes et des enfants de zéro à cinq ans qui viennent en consultation dans les centres de santé à augmenter. « Les hommes non seulement autorisent leurs femmes à aller dans les formations sanitaires pour le suivi de la grossesse jusqu’à l’accouchement mais ils les accompagnent quand l’enfant est malade. Mieux, ils s’y rendent le plus rapidement possible. Ces gestes ont contribué à diminuer le taux de mortalité infantile et maternelle », insiste-t-il. Et de poursuivre que la mesure est vraiment salutaire pour les familles vulnérables.
Souleymane Porgo, avec son Association bonne main, est membre de l’Organisation à base communautaire d’exécution (OBCE) en santé. Cette structure est chargée du suivi des politiques d’Etat sur le terrain par les organisations de la société civile. Il atteste que la mesure de la gratuité des soins fait des « heureuses gagnantes ». « Aujourd’hui, les femmes n’ont plus de soucis à se faire pour l’achat d’un carnet de santé, des produits pour lutter contre l’anémie et prévenir le paludisme, ou des frais de pesée et de soins prénataux. Tout se fait gratuitement. C’est un ouf de soulagement pour les familles », confirme l’OBCE Porgo.
Cependant, il dénonce le retard dans le remboursement des factures par l’Etat. A l’entendre, les comités de gestion (COGES) des formations sanitaires se retrouvent parfois dans l’impossibilité de renouveler les commandes des produits, d’où les ruptures parfois constatées.
Taux de satisfactions de 17 839 bénéficiaires
Fleur BIRBA
fleurbirba@gmail.com
Sidwaya.info