Face aux difficultés d’accès des jeunes aux financements, il est de plus en plus question du concept « Entreprendre à zéro franc » (EZF). Mais que renferme cette notion ? Constitue-t-elle une alternative crédible pour bâtir des entreprises de type nouveau au Burkina Faso ? Pour en savoir davantage, Sidwaya a rencontré le directeur général de l’Agence de financement et de promotion des petites et moyennes entreprises (AFP-PME), Honoré Kietyeta.
Sidwaya (S) : L’accès des Petites et moyennes entreprises (PME) et des jeunes aux crédits est une question récurrente. Est-ce un problème de manque de structures de financements ou de conditionnalités d’accès aux crédits?
Honoré Kietyeta (H.K.) : La problématique de l’accès aux crédits recouvre deux aspects qui peuvent être imputés aux structures de financement. On peut retenir l’inadaptation des mécanismes de financement par rapport aux profils d’entrepreneurs et de projets. Le vivier des entreprises est constitué à près de 90% par les PME dont la plupart a une organisation de type informel. Faute de conditionnalités adaptées ou d’expertise interne pour comprendre leurs activités, elles sont accompagnées principalement pour les opérations de bas de bilan, fonds de roulement, marchés etc., alors qu’elles devraient l’être pour des opérations de plus long terme comme leurs investissements en capital productif. Au niveau des start-up, par exemple, il est difficile d’obtenir l’expérience et les sûretés requises pour un prêt classique. Au niveau des femmes, l’exigence de biens immobiliers comme garanties pose souvent problème quand on sait que l’accès au foncier pour la gent féminine n’est pas évident parfois pour des raisons socioculturelles.
Comme deuxième reproche, on peut noter la faible représentativité des établissements de crédit en dehors des grandes villes. Ce qui affecte la croissance et la compétitivité des PME des autres localités.
Au niveau de l’Agence de financement et de promotion des petites et moyennes entreprises (AFP-PME), nous travaillons à mobiliser davantage de ressources et à trouver des passerelles entre fonds nationaux et sociétés de garantie et banques, afin d’offrir en synergie des produits financiers plus flexibles ainsi que des formules d’accompagnement répondant aux besoins des PME et des établissements des crédits.
S : En dehors de l’accès au financement, y a-t-il d’autres contraintes à la promotion de l’entrepreneuriat ?
H. K. : Pour se développer, l’entreprise a besoin de clients auxquels il doit offrir des produits ou services de qualité pour les fidéliser. Ensuite, l’accès à la connaissance, à la formation est aussi vital pour une PME. On peut citer aussi la fiscalité comme contrainte à la promotion des PME. Elle reste mal appréhendée et freine l’élan vers la mise aux normes des entreprises alors que l’évolution des entreprises dans le secteur informel ne favorise pas leur participation aux appels d’offres publics, les partenariats avec l’extérieur.
S : Aujourd’hui, vous êtes dans une dynamique de promotion du concept « Entreprendre à zéro franc » (EZF). Que renferme cette notion ?
H. K. : Le concept « Entreprendre à zéro franc »(EZF) peut choquer ou susciter des débats.Mais nous-mêmes, nous avons été séduits lorsque l’équipe de la Fondation africaine pour l’entreprenariat et le développement économique (FAFEDE) nous a présenté ce concept révolutionnaire. Il a été développé et breveté par le Dr. Samuel MATHEY, fondateur de la FAFEDE.
En réalité, « EZF », signifie entreprendre sans apport financier extérieur. On met alors le porteur du projet au cœur de son business. On l’emmène à réfléchir à ce qu’il peut faire, s’il n’avait que lui-même et ses propres ressources, pour réaliser le rêve qu’il porte. C’est pourquoi, nous avons lancé, avec la FAFEDE, cette caravane qui doit toucher 10 mille jeunes et femmes des 13 régions du Burkina Faso d’ici fin 2020.
S : Qu’est-ce qui justifie qu’une agence de financement comme l’AFP-PME s’engage dans la promotion d’un tel concept ?
H. K. : Cela peut paraître étonnant qu’une agence de financement s’engage à promouvoir le concept « entreprendre à zéro franc »! Mais, quand on est dans un pays et l’environnement ou les moyens sont limités, il est normal de s’inscrire dans cette dynamique. En tant que Fonds public, nos interventions visent à terme, la création de richesses et d’emplois durables.Notre objectif est donc de donner les rudiments et le mental nécessaires au public cible. Cette année au niveau des concours de la fonction publique, il a été enregistré plus de 1 200 000 candidats pour moins de 6000 postes, avec des perspectives de salaires mensuels compris entre 75 000 FCFA et 200 000 FCFA, pour les plus chanceux. Alors que suivant notre capital de départ, on peut mener des activités qui vous génèrent 10 000 F par jour ou 50 000F par jour. Peut-être que l’on doit mieux surveiller notre environnement pour détecter les opportunités et démarrer avec le peu que l’on a, comme nous l’apprennent les grands opérateurs économiques de notre pays. En tant qu’agence nationale de financement, nous avons pensé qu’il faut avoir dans les prochaines années un vivier d’entreprises portées par ce type d’entrepreneurs.
S : Pour vous, EZF est une alternative crédible pour le Burkina Faso de disposer d’une nouvelle race d’entrepreneurs ?
H. K. : Incontestablement ! Car, si nous avons ce changement de mentalité, l’auto-emploi va être accéléré, il sera une option prioritaire pour nos jeunes. Et personne n’en voudra à l’Etat, ni à ses proches de ne lui avoir pas trouvé un boulot, de ne lui avoir pas préparé quelque chose à sa sortie de l’école, de l’université. Ce n’est pas la panacée mais l’une des solutions les plus innovantes. Nous sommes convaincus que l’on peut entreprendre sans financements extérieurs et cela mérite d’être enseigné à nos populations.
S : Vous êtes sur le terrain depuis juin 2019 pour la promotion de ce concept, quel bilan peut-on tirer ?
H. K. :L’engouement des jeunes pour cette formation « EZF » est énorme même si cela ne signifie pas que l’objectif est atteint. Pour nous assurer de son impact, nous avons mis en place un dispositif de suivi-évaluation. L’objectif de la formation est que les participants y sortent avec des projets clés en main. A Banfora, sur les 300 participants, nous avons enregistré 273 projets à l’issue de la formation, avec pour objectif 40% de conversion dans les trois mois qui suivent. Aujourd’hui, nous sommes à 61% de projets démarrés dans les trois mois. Ce bilan d’étape est très encourageant. Si nous arrivons à toucher 10 mille participants, on aurait donc 6 mille entrepreneurs EZF. Ce serait une armée d’entrepreneurs que l’on aurait contribué à former, pour l’image et la compétitivité de l’économie burkinabè.
Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO