Hôtel maternel de Ouagadougou : le gîte des petits parias en difficulté

A l’Hôtel maternel de Ouagadougou, le ratio de 6 bébés pour une nourrice n’est généralement pas respecté.

Aux enfants privés de leurs familles, l’Hôtel maternel de Ouagadougou offre un toit et du soin en attendant l’idéal pour tout enfant : une famille. Face à la persistance du phénomène d’abandon de bébés, cette structure voit ses capacités d’accueil dépassées, au point de désespérer une équipe professionnelle engagée jour et nuit aux côtés de ces tout-petits qui se sont heurtés dès l’aube de la vie au sort impitoyable du rejeté.

Les 12 coups de cloche de midi viennent de sonner à l’Hôtel maternel de Ouagadougou, ce 6 juin 2024. Alors que les plus grands sont réunis en petits groupes dans les dortoirs et sous le hangar servant de salle de repas provisoire, des cris et gazouillis d’enfants résonnent dès l’entrée du bâtiment principal. Ils proviennent de la salle 1 qui accueille les enfants de 0 à 3 ans. A les voir si paisibles, réunis autour des deux nounous, impossible d’imagi- ner que ces petits êtres si fragiles ont déjà vécu le pire : l’abandon ou le rejet par leurs familles biologiques. C’est le cas de Oumarou (prénom d’emprunt).

Ce jeune garçon de 8 ans a été trouvé, couvert de blessures et agonisant, dans une forêt

Le directeur de l’Hôtel maternel, Sibiri Gansonré : « Les jours les plus heureux sont ceux où un enfant nous quitte pour rejoindre sa famille ».

de la région de l’Ouest du Burkina Faso. Ses « sauveurs » confiaient au service de l’Action sociale qu’il avait passé plusieurs jours, seul dans cet « enfer ». L’état de Oumarou était critique car il perdait régulièrement connaissance. Il a été placé à l’Hôtel maternel de Ouagadougou en 2022 pour faciliter son accès aux soins. Les médecins finissent par lui diagnostiquer une épilepsie. Depuis lors, il bénéficie d’un traitement adapté qui
a permis de réduire la fréquence de ses crises.

Tantôt hyperactif tantôt évanescent, Oumarou est considéré par les encadreurs comme le « gaffeur » à surveiller de près, surtout lorsqu’il démarre sa « crise ». Mais il est tout temps d’esprit vif. En témoigne cette scène qu’il nous a donnée à voir. Comme le repas tardait à être servi, c’est lui qui est venu en éclaireur à la cuisine. Nidaoua (prénom d’emprunt), 13 ans lui, est originaire de la région du Centre-Sud (Manga).

La nourrice Sidonie Zombré s’emploie à apporter amour et soins aux nourrissons trouvés.

Devenu un « paria » encore tout bébé, après les décès successifs de sa mère, de son père et de sa grand-mère, il avait été recueilli par le catéchiste du village. Même ce bon samaritain a dû se résoudre à le placer auprès d’un centre d’accueil d’enfants en difficulté sous la menace de se voir expulsé de son domicile. En effet, le jeune garçon était accusé d’être sorcier mangeur d’âmes qui menaçait la vie de tout le monde dans le village. Nidaoua, à l’allure si frêle, est pourtant un résistant car il aurait échappé plusieurs fois à une mort programmée au regard des décoctions qu’on lui a fait ingurgiter.

Arrivé au centre, 3 ans plus ­­tôt (ndlr, 2021), il préfère le plus souvent rester à l’écart de ses petits camarades. Alida et Kennett (prénoms d’emprunt), respectivement 5 ans et 3 ans, ont été, eux-aussi, confiés à l’Hôtel maternel pour une prise en charge plus efficace après avoir été « déposés » en 2021, au centre d’accueil d’urgence de Somgandé par les Forces de défense et de sécurité (FDS) de retour du théâtre des opérations. Depuis 3 ans, toutes les recherches d’informations pour reconstituer l’histoire de ces deux enfants en vue d’élaborer un projet de vie pour chacun d’eux sont restées vaines. La seule certitude les concernant est qu’ils viennent de la région du Sahel. Impossible de savoir s’ils sont mêmes frères et sœurs.

76 pensionnaires pour 50 places

Selon le chef de service de l’action éducative et des placements à la direction en charge de la lutte contre les violences faites aux enfants, Kaboré Tahélé, la situation des enfants en détresse n’est pas reluisante.

A tous les enfants privés de famille à l’image de Oumarou, Nidaoua, Alida et Kennett, l’Hôtel maternel offre une chance de grandir en ­­toute sécurité. Malheureusement, ce dispositif de protection de l’enfance au Burkina Faso est lui-même, à ce jour, en détresse, parce que débordé par l’afflux des enfants en danger. En effet, d’une capacité d’accueil de 50 enfants, l’Hôtel maternel enregistre à ce jour, (ndlr : 15 juin 2024) un effectif de 76 pensionnaires soit 152% de sa capacité normale. Pour faire plus de place, le directeur de l’Hôtel maternel, Sibiri Gansonré, a dû se résoudre à fermer l’atelier de couture broderie tricotage.

« Nous avons entreposé les machines et le matériel d’apprentissage et puis nous avons transformé la salle en dortoir pour les garçons de 4 à 15 ans », explique-t-il. De même, le dortoir initialement destiné aux mineures enceintes rejetées par leurs familles a été reconverti en Centre d’éveil et d’éducation préscolaire (CEEP) en vue de faire respecter le droit à l’éducation des pensionnaires.

« Nous avons actuellement 19 enfants dont la tranche d’âge est comprise entre 3 et 6 ans. Si nous devions les scolariser hors du centre, cela nécessite- rait de disposer d’un bus afin de les convoyer tous les jours et du personnel supplémentaire, donc des moyens supplémentaires dont nous ne disposons pas. Nous avons fait l’option de signer des contrats avec deux éducateurs de la petite enfance », assure M. Gansonré.

Un choix gagnant car il permet à l’Hôtel maternel d’inclure les enfants qui ont des retards cognitifs dans le processus d’apprentissage. Affectée depuis 2010 à la salle des nourrissons ou salle 1, la nourrice Sidonie Zombré a un regard bienveillant et un sourire qui ne la quitte jamais. « Il faut reconnaitre qu’en tant que Centre d’accueil de l’enfance en détresse (CAED) public, l’Hôtel maternel est toujours sollicité, d’où le nombre élevé d’enfants.

Le commissaire de police Dofini Bonkian appelle les parents à rester des soutiens pour les jeunes filles enceintes afin de réduire le nombre de bébés trouvés.

Nous avons deux équipes de trois nourrices qui se relaient pour prendre soin des enfants. En ce moment, avec les départs en congé de certaines collègues, chacune se retrouve avec plus de 12 bébés à gérer car nous avons 26 enfants au total », soutient-elle. Malgré la charge de travail, les nourrices ne se lassent, visiblement pas de leurs protégés. Durant le temps de l’entretien, dame Zombré a gardé Clothis sur les jambes et de temps à autre, elle rassurait bébé Raphael par des mots doux.

Le droit à un nom

La prise en charge des enfants privés de famille à l’Hôtel maternel de Ouagadougou ne se limite pas à leur offrir gîte et couvert. L’équipe s’emploie au quotidien à respecter les différents droits énoncés dans la Convention des droits de l’enfant (CIDE). L’infirmerie est d’ailleurs le passage obligé pour chaque nouvel enfant en vertu du droit à la santé. « Certains nourrissons trouvés arrivent même avec le placenta. Dans ce cas, je les examine en donnant les soins ombilicaux et oculaires.

Mais en cas de signes de danger, on préfère généralement le référer à la Pédiatrie Charles De Gaule ou au Centre hospitalier universitaire de Bogodogo. Après les premiers soins, la conseillère en nutrition donne la conduite à tenir sur le plan nutritionnel pour les plus petits », explique l’infirmière Corinne Attiron, en service à l’Hôtel maternel. Une autre grande étape est l’attribution d’une identité à chaque enfant. « En général, ceux qui les trouvent leur donnent un prénom ou bien cela revient à nous qui les accueillons.

Mais pour le nom de famille c’est l’officier d’Etat civil qui décide », précise-t-il. La procédure administrative pour l’attribution du nom de famille doit être entamée un mois après

L’Hôtel maternel de Ouagadougou permet aux enfants « rejetés » de vivre leur vie d’enfants.

l’admission de chaque enfant mais dans la pratique, celle-ci est enclenchée par l’éducateur référent dans les six mois qui suivent. L’identité est d’autant plus importante que les enfants sont inscrits dans les écoles, collèges et lycées ainsi que les centres de formation professionnelle en vertu de leur droit à l’éducation.

De plus, pour chacun des pensionnaires, l’équipe de travailleurs sociaux s’attèlent à élaborer un projet de vie ou un projet éducatif individuel. Ce document recense toutes les actions à mener pour chaque enfant. « Si c’est un enfant qui a été trouvé, son projet de vie va préciser si c’est un enfant qui peut être proposé en adoption ou si sa famille peut être retrouvée. Si la famille de l’enfant peut être retrouvée, l’éducateur référent va travailler à
faire le lien avec cette famille en collaboration avec le
service placeur », détaille M. Gansonré.

L’adoption, une fin heureuse

La famille reste le cadre idéal pour l’épanouissement de l’enfant. Cette réalité, le
ministère en charge de la famille ne l’ignore pas. Dans sa direction provinciale du Kadiogo, c’est spécifiquement le bureau adoption et placement du service famille et enfance qui s’occupe de ce volet. « On ne peut pas faire une ou deux semaines sans que la police, la gendarmerie, ou la population nous sollicite pour placer un enfant.

Dans le dortoir de la salle des nourrissons, les lits sont collés les uns aux autres afin de faire une place à chacun des petits anges.

Fort heureusement en décembre 2023, nous avons trouvé des familles pour tous les enfants qui étaient proposés à l’adoption », se réjouit le chef de service de la famille et de l’enfant à la direction provinciale en charge de la famille et de l’enfance du Kadiogo, François Xavier Ouédraogo. Le directeur de l’Hôtel maternel assure que sa plus grande satisfaction est de recevoir les parents adoptifs d’un enfant trouvé que le juge a déclaré enfant abandonné. « Chaque sortie est un moment de joie pour toute l’équipe, ainsi que pour l’enfant et sa nouvelle famille car nous préparons soigneusement ce moment », confie-t-il avec un large sourire.

Un rêve inaccessible pour les enfants vivant avec un handicap ?

Pour certains enfants trouvés, les échanges de sourires et de larmes de joie au moment de quitter le centre pour rejoindre une famille semblent un rêve inaccessible. C’est le cas de Cédric, devenu aveugle après avoir été jeté dans un puits quelques heures après sa venue au monde. L’opération pour lui rendre la vue a malheureusement échoué. « Nous l’avons proposé en adoption et un couple a accepté de l’accueillir comme leur fils.

Mais au dernier moment, ils ont désisté. Du coup il est toujours avec nous au centre », confie la responsable du bureau adoption au sein de la direction provinciale en charge
de la famille, Adeline Ouédraogo. Cette assistante sociale est d’autant plus triste que Cédric n’est pas seul dans cette situation. En effet, à l’Hôtel maternel, 14 autres enfants vivent avec un handicap. « La vraie difficulté est que les enfants vivant avec un handicap avancent en âge, alors que pour eux, les demandes d’adoption sont rares. En principe, le centre doit accueillir les enfants de 0 à 15 ans, mais il y a des pensionnaires qui ont 17 ans et même plus », souligne M. Gansonré. C’est notamment le cas de Eloïse (nom d’emprunt), la plus ancienne pensionnaire du centre.

Les enfants sont regroupés par tranches d’âge en vue d’assurer leur développement harmonieux.

Cette jeune fille de 26 ans vit avec un handicap des membres supérieurs et inférieurs et se déplace en fauteuil roulant. C’est d’ailleurs suite à un article publié en 2007 pour dénoncer la maltraitance dont elle était victime, qu’elle a été accueillie au centre. A 26 ans, Eloïse n’est plus à l’aise et souhaite quitter le centre mais n’a nulle part où aller, surtout qu’elle a
besoin d’une assistance au quotidien.

Un phénomène à la peau dure

Dans la province du Kadiogo, le phénomène des « enfants trouvés » a la peau dure, selon plusieurs sources. Le chef de service de la Brigade régionale de protection de l’enfant (BRPE) du Centre, le commissaire principal de police Dofini Bonkian, confie qu’entre 2019 et le premier trimestre de 2024, le service a enregistré 100 enfants trouvés. Pour expliquer la persistance du phénomène, le commissaire Bonkian est formel. Pour lui, les familles ont une grande part de responsabilité. « En général, dans nos enquêtes, il ressort que lorsqu’une fille prend une grossesse, sa famille ne l’accepte pas.

Dans certains cas, on lui laisse le choix entre quitter la famille ou se débarrasser de l’enfant. S’il se trouve que l’auteur de la grossesse refuse la paternité, elle se retrouve exclue. Il y a aussi les cas d’inceste. Lorsque c’est découvert rapidement, généralement la fille est chassée de la famille », révèle-t-il. Au Burkina Faso les BRPE sont logées dans les 13 directions régionales de la Police nationale. Parmi leurs missions figure la constatation des violences faites aux mineurs qui sont définies dans la Convention internationale des droits de l’enfant.

Les enfants abandonnés vivant avec un handicap ont moins de chance de trouver une nouvelle famille que leurs camarades « bien portants ».

Une mission bien connue du grand public car en général, les personnes qui trouvent un enfant dans la rue font appel à la BRPE. Tahélé Kaboré est le chef de service de l’action éducative et des placements à la direction de la lutte contre les violences faites aux enfants et la protection de l’enfant en situation d’urgence. Il affirme que la situation des enfants en détresse parmi lesquels se trouvent les enfants trouvés ou enfants privés de famille n’est pas reluisante.

En effet, fait-il savoir, la dernière supervision réalisée en 2021 par le département en charge de la famille a permis de recenser 4 884 enfants en détresse au plan national et 1 749 à l’échelle de la seule province du Kadiogo (Ouaga-dougou). Pour lui, l’augmentation du nombre de structures d’accueil est aussi la preuve que le nombre d’enfants trouvés ne faiblit pas. Et pour cause, en seulement trois ans, quatre nouveaux CAED ont été créés et
33 nouvelles familles accréditées. « Avec la situation sécuritaire, on voit de plus en plus d’orphelins de père et de mère, il y a aussi des enfants rencontrés lors des opérations, leurs parents ont soit fui ou sont morts », renchérit-il.

Nadège YE


La prise en charge des enfants vivant avec un handicap, une gageure

L’Hôtel maternel de Ouagadougou accueille en ce moment une quinzaine d’enfants vivant avec un handicap. Ces petits ont de ce fait des besoins spécifiques que l’équipe met un point d’honneur à satisfaire. Il s’agit du recrutement d’un orthophoniste pour aider ceux qui ne s’expriment pas correctement à acquérir le langage verbal ainsi que d’un kinésithérapeute pour la rééducation fonctionnelle des enfants ayant un trouble psychomoteur. Le personnel spécifique est complété par un psychologue qui intervient tous les samedis auprès des enfants.

N.Y


Quel avenir pour les enfants non adoptés ?

Pour le moment, il y a un vide juridique concernant l’avenir des enfants abandonnés qui n’ont pas eu la chance d’avoir une nouvelle famille, car aucun texte n’encadre leur prise en charge. La loi sur les Pupilles de la Nation devrait permettre de combler ce vide. Le Conseil des ministres du mercredi 17 juillet 2024 a adopté un décret portant adoption de Pupilles de la Nation burkinabè. Malheureusement, le décret ne concerne pas les enfants trouvés. En effet, la loi prend uniquement en compte les enfants des membres des FDS et des VDP tombés sur le champ de bataille pour la reconquête du territoire national.

N.Y


Situation des enfants trouvés dans la région du Centre

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