Malgré la situation sécuritaire difficile que vivent certaines localités du Burkina Faso, des agents de santé continuent d’y exercer leurs fonctions avec bravoure. Nous avons fait le constat dans la zone de Titao, dans la province du Lorum, région du Nord, en fin mars 2021.
«J’ ai servi au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Sollé. On entendait qu’il y a eu des attaques par-ci, par-là, dans la zone. On avait peur de se déplacer, car on entendait que des gens ont marché sur des mines», relate Amidou Konaté, nom d’emprunt d’un agent de santé rencontré, le mercredi 31 mars 2021 à Titao. «Je connais plusieurs jeunes de Sollé qui venaient faire des consultations au CSPS qui ont perdu la vie lors des attaques. Nous avons aussi reçu des blessés par balle de certaines attaques au CSPS», poursuit-il, avec plein d’amertumes.
Amidou Konaté a servi au CSPS de Sollé d’octobre 2018 à décembre 2020, avant de demander à quitter les lieux à cause de la multiplication des attaques et la psychose grandissante. «La voie que nous empruntions de Titao pour aller à Sollé s’était dégradée, nous obligeant à prendre une voie détournée. Même la nouvelle voie a aussi enregistré des attaques», a-t-il affirmé.
Ayant servi au CSPS de Sollé pendant deux ans, M. Konaté reconnaît n’avoir pas été témoin direct des différentes attaques dans la localité. «C’est quand j’ai quitté la localité, qu’il y a eu l’attaque de la base des Forces de défense et de sécurité à Sollé. L’attaque des marchands sur la route m’a trouvé en congé», a-t-il confié. Cet agent de santé raconte qu’à cette période, il fallait suivre un convoi pour aller à Sollé et revenir et pourtant les convois étaient aussi attaqués.
Moussa Nikiéma, un nom d’emprunt également, lui, était en service au CSPS de Rouga, où il a perdu un collègue, agent de santé bénévole, assassiné au cours d’une attaque dans la localité. «Le jour de l’attaque, le 21 octobre 2019, j’étais en formation à Titao et le CSPS a été fermé après l’attaque. Nous avons été redéployés au CSPS urbain de Titao», se rappelle-t-il.
Un bénévole meurt au marché
Selon le Médecin-chef du district (MCD), Lozé Issa Traoré, l’agent de santé bénévole a perdu la vie dans l’attaque du marché de Rouga. «Les agents de santé travaillaient à Rouga et venaient dormir à Ouindigui pour repartir le lendemain. Ce jour-là, à la descente à 17 heures, cet agent a demandé aux autres de le devancer, car il voulait faire un tour au marché pour prendre du carburant. Il est arrivé au mauvais endroit au mauvais moment. On leur a demandé de se coucher et on les a canardés», a-t-il expliqué. A son avis, c’est l’un des seuls points noirs vécus par les agents de santé de la localité. M. Traoré fait observer que cet évènement a troublé le personnel de santé de la zone, poussant beaucoup à quitter leurs postes pour Titao.
«Nous sommes obligés de redéployer ailleurs les agents qui jugent que la situation n’est pas propice pour qu’ils y travaillent», a indiqué le médecin- chef de District. Ainsi, au cours de l’année 2019, plusieurs CSPS ont été fermés et les agents redéployés au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) et au CSPS urbain de Titao.
Malheureusement, l’insécurité a aussi touché le chef-lieu de province avec l’attaque du commissariat de Titao, dans la nuit du 9 au 10 novembre 2019, avec pour conséquence la fermeture du CMA de Titao. «Il y avait une psychose dans la localité et nous étions les seuls agents de l’Etat qu’on pouvait voir dans les différentes localités de la province», explique le MCD.
Redéployé au CSPS urbain à Titao, Moussa Nikiéma reconnaît aussi que ce n’était pas facile. «Nous n’étions pas tranquilles et nous nous posions beaucoup de questions. En effet, nous ne savions pas si nous allions rester là-bas. Les nuits, l’on entendait des coups de feu», a-t-il témoigné.
En fin 2019, du fait de la situation sécuritaire, il n’y avait que 9 formations sanitaires fonctionnelles sur les 22 dans la province. Cette période a été marquée par l’arrivée de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui s’est installé au CSPS urbain de Titao pour apporter assistance aux populations.
Aussi, tous les malades avaient été réorientés vers le CSPS urbain jusqu’à la réouverture du CMA au mois de février 2020 sans la garde. Le médecin-chef de District indique, qu’il a repris la garde au CMA de Titao, d’abord avec le personnel de l’ONG Terre des hommes, avant que ses propres agents ne suivent la cadence avec l’amélioration de la situation sécuritaire. Dr Lozé Issa Traoré salue les ONG pour leur appui et leur présence dans les formations sanitaires, malgré les risques. Ces ONG, a-t-il précisé, appuient les CSPS de Rouga, de Sollé et de Banh avec trois agents en les dotant de médicaments.
La sage-femme Sali Toé (nom d’emprunt) a servi trois mois dans un CSPS de la province, comme bénévole de l’ONG Terre des hommes, au cours de l’année 2020. «Quand je suis arrivée nouvellement, ce n’était pas facile. On entendait que les terroristes étaient dans certaines localités autour de nous. On était effrayée mais on était chaque fois rassurée par les Volontaires de défense de la patrie (VDP)», a-t-elle indiqué.
19 formations sanitaires fonctionnelles sur 22
Sali Toé a affirmé que souvent, on les informait d’attaques sur des voies qu’ils avaient l’habitude d’emprunter, mais précise qu’avec l’aide de la population et de Dieu, les choses se sont bien passées. Elle était la seule femme du CSPS avec deux autres agents volontaires de Terre des hommes, en plus du major et d’un autre agent de l’Etat. Elle a expliqué que souvent, elle pouvait passer toute la journée en train de faire des consultations prénatales et à peine rentrée le soir, elle devait repartir à la maternité parce qu’une nouvelle femme est arrivée pour accoucher. «Heureusement que nous avions l’appui de MSF qui venait les lundis et les vendredis pour nous appuyer. La sage-femme d’Etat est revenue en juillet 2020 quand la situation sécuritaire s’est améliorée», a-t-elle déclarée.
La présence de ces agents bénévoles qui exerçaient le métier a motivé les agents de santé de l’Etat qui se sont redéployés dans les localités. Ainsi, la plupart des CSPS qui avaient fermé, ont été rouverts au fur et à mesure et le dernier ouvert est celui de Banh depuis décembre 2020.
Depuis mars 2021, 19 formations sanitaires sur 22 sont fonctionnelles dans la province du Loroum et la garde a repris dans la majorité d’entre elles, nous informe Docteur Lozé Issa Traoré. Le MCD espère la reprise de la garde dans les formations sanitaires restantes avec l’amélioration de la situation sécuritaire.
Concernant les trois formations sanitaires encore fermées, le Médecin-chef de district note qu’elles ont besoin d’être réhabilitées avant leur réouverture parce qu’elles ont été vandalisées pendant les attaques. Il s’agit du CSPS de Nongodoum qui se trouve dans la commune de Banh, puis des CSPS de Felaboukou et Toulfé qui se trouvent dans la commune de Titao. «Nous sommes en train de courir derrière les partenaires, nous avons fait le point au ministère de la Santé aussi pour leur réhabilitation avant leur ouverture», a affirmé Dr Lozé Issa Traoré.
Le premier responsable sanitaire a indiqué, que présentement, la situation sécuritaire s’est beaucoup améliorée dans la province du Loroum et pour encourager ses agents, il n’hésite pas à se rendre à leurs postes. «Je suis allé à Ingané, à Sollé. J’ai parcouru toute la commune de Ouindigui en février dernier à moto. On se déplace certes avec beaucoup de prières, mais on se dit que là où se trouvent les agents, nous devons y aller en tant que premier responsable pour ne pas les décourager».
Depuis plus de deux ans, la province du Loroum vit sous couvre-feu à cause de la situation sécuritaire. Dans ce contexte, le MCD assure que le couvre-feu n’interdit pas la circulation pour les malades dans la province. «Lorsque vous avez un malade, vous pouvez circuler aux heures du couvre-feu. Si les Forces de défense et de sécurité (FDS) ou les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) vous croisent, vous vous expliquez et vous continuez», a-t-il indiqué. Selon Dr Traoré, une formation sanitaire qui a des malades qui ont besoin d’une surveillance la nuit alors qu’elle n’a pas de garde, doit à partir de 17 heures, les envoyer dans une autre formation sanitaire où l’on prend la garde pour qu’on puisse veiller sur eux.
Des évacuations nocturnes
Concernant les accouchements, il a affirmé que les agents de santé bénéficient de l’appui des Agents de santé à base communautaire (AEVC) et les accoucheuses villageoises que l’Etat a recrutées pour accompagner les formations sanitaires en termes de sensibilisation, de promotion de la santé. «Dans les villages, s’il y a une accoucheuse villageoise reconnue, nous l’outillons et la nuit, s’il y a un problème, les CSPS n’étant pas fonctionnels, les gens peuvent aller vers elle pour qu’elle accompagne la femme pour son accouchement», a ajouté, M. Traoré. Si la femme accouche au cours de la nuit, le matin, elle doit être accompagnée dans une formation sanitaire pour bénéficier du reste du paquet de soins prévus pour elle et son enfant. Si elle n’accouche pas, elle est raccompagnée le matin dans la formation sanitaire pour son accouchement, a-t-il indiqué.
Le Médecin-chef de district a déclaré qu’actuellement, les ambulances font des évacuations la nuit sur Ouahigouya, mais elles restent encore prudentes pour les autres artères au sein de la province. Dr Traoré a félicité ses agents pour le travail abattu, au cours des dernières années, surtout les difficiles périodes de 2018, 2019 et 2020. Des agents qui réaffirment leurs volontés à rester dans la localité pour le plaisir de sauver des vies. «Ce qui nous motive à rester dans la localité, c’est la santé de la population. Quand tu vois la situation de certains malades, tu te demandes ce qui allait se passer si tu n’étais pas là», relate Amidou Konaté. Affecté dans la localité depuis sa sortie de l’école de Santé en 2018, cet agent se sent aujourd’hui, fils de la localité.
Moussa Nikiéma de son côté se dit être beaucoup rassuré dans son nouveau CSPS avec la présence des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). «L’assurance est peu à peu revenue et nous sommes repartis vers les populations qui avaient besoin de soins», a-t-il indiqué. Malgré la fin de son contrat et la situation sécuritaire de la localité, la sage-femme, Sali Toé, a décidé d’y rester pour aider les agents de santé de l’Etat. Selon le Médecin-chef de district, son ambition, c’est de redresser tous les indicateurs, mettre toutes les formations sanitaires sur pied avant son départ.
Wurotèda Ibrahima SANOU
www.sanou31@hotmail.fr
NB : Pour des raisons de sécurité, des noms d’emprunt ont été donnés aux agents qui témoignent.
Par ailleurs, le CSPS de Doussaré a été officiellement inauguré, le jeudi 8 avril 2021, après notre passage par le haut-commissaire du Lorum, Djibril Bassolet.