Le Kenya gagne en maturité démocratique. Malgré des conflits électoraux qui ont jalonné son histoire, ce pays d’Afrique de l’Est suscite un peu d’espoir, dans un continent où la démocratie ne s’est pas toujours bien portée. Ce relatif îlot de stabilité politique vient de démontrer, une fois de plus, qu’il peut donner des leçons de démocratie à d’autres Etats. A quatre mois des futures élections présidentielle et législatives, la Cour suprême du Kenya a invalidé, le jeudi 31 mars 2022, un processus de révision constitutionnelle controversé, initié par le président Uhuru Kenyatta. La réforme, baptisée « Building Bridges Initiative» (BBI), devait permettre de modifier la Constitution de 2010, consacrant le régime présidentiel pour créer de nouveaux postes au sein de l’exécutif.
Ce sont, entre autres, les postes de Premier ministre, de deux vice-Premiers ministres et d’un chef de l’opposition. Le nombre de sièges au Parlement devait aussi connaitre une augmentation, si le projet de révision constitutionnelle passait comme une lettre à la poste. Au-delà des détails, Kenyatta prétend, avec cette réforme, mettre fin au système électoral du « vainqueur qui rafle tout », principale cause des conflits électoraux dans le pays. C’est la douche froide donc pour le chef de l’Etat kenyan qui avait mobilisé ses énergies et déployé une pile d’arguments, pour faire adopter ce projet, mûri depuis 2018. Pour porter haut sa cause, Kenyatta s’est même rallié à son ancien challenger à la présidentielle, le vétéran de la politique kenyane, Raila Odinga, candidat pour la cinquième fois à la présidentielle d’août prochain. Ce ralliement l’a amenée à tourner le dos à son dauphin, le vice-président William Ruto, appelé à affronter son nouvel allié dans les urnes. Mais rien n’y fit. Le rêve du président Kenyatta de voir son projet aboutir s’est brisé, même s’il n’en démord pas, malgré la défaite.
Certains de ses concitoyens voyaient, à travers son projet de réforme, une volonté de ne pas quitter les arcanes du pouvoir. Il est soupçonné, avec le BBI, de vouloir créer le poste de Premier ministre, pour en profiter au cas où son nouvel allié, Odinga, réussissait à se faire élire au prochain scrutin présidentiel. Cette allégation n’est pas dénuée de tout fondement, le champ politique étant un terrain de manœuvres par excellence. L’expérience nous enseigne, surtout en Afrique, que les hommes politiques sont capables de tout, quand il s’agit de rester aux affaires et de continuer à jouir des privilèges y afférents. Sinon comment comprendre, que Uhuru Kenyatta, en fin de mandat, se batte comme un beau diable pour faire passer la BBI. Il pourrait bien laisser la latitude à son éventuel successeur de mener des réformes à même de propulser le pays vers l’avant ou de l’aider à panser ses plaies. Ce n’est pas en fin de mandat qu’il faut se montrer entreprenant, de sorte à vouloir toucher à la Constitution. Les projets de révision constitutionnelle promus par des chefs d’Etat en Afrique sont très souvent suspects, s’ils ne dévoilent des intentions inavouées ou des agendas cachés. En tous les cas, Kenyatta a échoué là où d’autres dirigeants africains ont fait des passages en force. C’est un bon signe pour la démocratie au Kenya et sur le continent, où les défis sont énormes et multiformes.
Kader Patrick KARANTAO