Le défi des municipales

La classe politique burkinabè n’est pas favorable à la tenue des élections municipales en mai 2022. La majorité et l’opposition ont affiché leur position au grand jour, la semaine dernière. Réuni, le jeudi 13 janvier 2022 à Ouagadougou, le Comité de suivi des recommandations du dialogue politique a suggéré le report du scrutin, pour des raisons d’ordre organisationnel et sécuritaire.

Ces municipales, censées consacrer le renouvellement des exécutifs locaux, devaient se tenir premièrement en mai 2021, avant d’être ramenées à la même période cette année, le temps de relire le Code électoral et le Code général des collectivités territoriales. Les acteurs politiques se sont rendus à l’évidence, que le nouveau rendez-vous ne pouvait pas non plus être honoré, dans un contexte sécuritaire préoccupant.

Ils devront se retrouver à nouveau, le 25 janvier prochain, pour échanger sur de nouvelles échéances. La Commission électorale nationale indépendante (CENI), organe en charge de l’organisation des élections, planchait pour le 15 mai ou courant novembre 2022. Le 15 mai n’étant plus certain, vu le souhait de la classe politique, il ne reste plus que la seconde option.

Même si la proposition de la CENI d’organiser les municipales en novembre prochain n’était pas retenue, on peut avancer sans risque de se tromper, que le consensus autour d’une autre période va prévaloir au dialogue politique. A la vérité, certains signaux faisaient déjà penser au probable report des municipales : la suspension de l’opération de révision des listes électorales et des activités des démembrements de la CENI, courant 2021.

Avec les attaques terroristes quasi quotidiennes dans diverses régions du pays, l’organisation des municipales suscite une grande interrogation. Faut-il organiser ce scrutin à un moment où plusieurs localités sont occupées par des groupes armés ? La réponse à cette question divise l’opinion. Pour certains, l’organisation des municipales ne sauraient être une priorité, vu la recrudescence des attaques terroristes, avec leur lot de morts, de blessés et de déplacés internes.

Ce qui doit préoccuper le gouvernement, c’est de ramener la paix au Burkina, pour permettre une pleine expression de la démocratie. Il faut purement et simplement annuler les municipales dans ces circonstances, à leur entendement. Malgré l’insécurité, croient savoir d’autres, la démocratie doit vivre et se pérenniser en terre burkinabè.

Il n’est pas question de faire la volonté de l’ennemi, qui veut instaurer le chaos dans notre chère patrie. Les responsables de la Convention des organisations de la société civile pour l’observation domestique des élections (CODEL) sont de cet avis. Ils estiment que les acteurs commis à l’organisation des municipales n’iront pas là où la sécurité ne leur permet pas. L’association Compétences électorales africaines (CEA) plaide également pour la tenue des municipales, sans conditions.

Il faut éviter à tout prix, un recul démocratique, selon cette organisation. La CODEL et la CEA n’ont pas tout faux. Tenir des élections dans un environnement sécuritaire dégradé n’est pas une mince affaire, mais il faut le faire. Le Burkina doit rester debout, malgré l’adversité. L’exécutif, soucieux d’entretenir la flamme de la démocratie, a balisé le terrain, en révisant le Code électoral en 2020 et en 2021.

Des dispositions ont été introduites pour organiser les élections, en dépit de l’insécurité. Entre autres, la loi a consenti un seuil d’au moins 50% des circonscriptions électorales dans la commune pour la validation des résultats, la mise en place de délégations spéciales dans les communes où les élections n’ont pas pu se tenir et le vote des personnes déplacées internes dans leur communes d’accueil.

Même si elles ne sont pas appréciées de tous, ces mesures offrent une marge de manœuvre face à l’ennemi qui veut faire du Burkina, un Etat de non droit. Si des municipales ne sont pas organisées, il va falloir impérativement régler le problème de statut des élus locaux pour se conformer à la loi.

La prolongation d’un an du mandat des exécutifs locaux expire dans cinq mois. Que va-t-il se passer après ? Faut-il prolonger à nouveau leur mandat ou recourir à des délégations spéciales, scenario le plus plausible. La prolongation du mandat a l’avantage de préserver la stabilité des exécutifs locaux fonctionnels, sans pour autant résoudre la question de la légitimité qui se pose.

Si elles constituent une alternative, les délégations spéciales, redoutées par certains administrés, ne semblent pas faire l’affaire dans un contexte de lutte contre le terrorisme. Même si certains d’entre eux n’arrivent plus à remplir leurs missions, à cause de l’insécurité, les élus locaux entretiennent des liens étroits avec les populations. Ils ont des attaches profondes avec les villages et hameaux de culture de leur ressort territorial.

De ce fait, ils sont capables de glaner, çà et là, des informations sensibles, qui peuvent servir dans le combat contre les forces du mal. C’est connu, le renseignement occupe une place de choix dans le combat contre l’hydre terroriste. On se demande alors, si les acteurs de l’administration, qui pilotent généralement les délégations spéciales, pourront jouer le même rôle avec efficacité.

Bien vrai, qu’ils sont en contact avec les populations, mais ces acteurs sont-ils censés maitriser les milieux communaux et leurs subtilités que les élus locaux ? Il y a matière à débat. Polémique ou pas, il faudrait trouver les moyens d’organiser les élections municipales. Ce serait aussi une forme de résilience…

Kader Patrick KARANTAO

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