Dans cette tribune parvenue à notre rédaction, l’enseignant à l’UNAN (Universidad nacional autónoma) de Managua au Nicaragua, Pr Edgar Palacio Galo revient sur la Révolution d’août 83 et son apport à la Révolution populaire sandiniste.
En 1983, en ex-Haute-Volta, un jeune capitaine, visionnaire et lucide comme un prophète, a fait irruption sur la scène internationale. Thomas Sankara n’est pas arrivé au pouvoir pour administrer un système hérité, mais pour le renverser et bâtir, sur ses ruines, une nation digne : le Burkina Faso, terre des Hommes intègres. A une époque dominée par la Guerre froide et l’asservissement néocolonial, Sankara a osé dénoncer et combattre l’ennemi du peuple : l’impérialisme yankee. Sa révolution a été un acte de souveraineté radicale, qui s’est traduit par une réforme agraire, une campagne de vaccination, un reboisement massif et le rejet des aides conditionnelles. Elle constituait, en substance, l’application concrète de la maxime révolutionnaire selon laquelle la libération nationale est indissociable de la libération sociale et économique.
Cependant, l’héritage de Sankara ne peut se limiter aux frontières de son pays natal. Son véritable génie, celui qui nous appelle à la gratitude militante, réside dans son internationalisme indéfectible. Il comprenait que la lutte du Burkina Faso était la même que celle menée en Palestine, en Afrique du Sud contre l’apartheid et au Nicaragua sandiniste assiégé. Pour Sankara, la solidarité n’était pas un cliché diplomatique ; c’était le prolongement logique de son anti-impérialisme.
Le cri de la dette et la souveraineté absolue
La première déclaration majeure de Sankara contre l’ordre mondial établi eut lieu lors de la conférence de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1987, lorsqu’il prononça son discours légendaire sur la dette extérieure. A une époque où les dirigeants africains murmuraient timidement à propos de restructuration, Sankara s’exprima haut et fort et déclara que la dette était la reconquête de l’Afrique, un piège destiné à perpétuer l’exploitation. Il proposa l’unité du continent pour une répudiation commune : « Si seulement le Burkina Faso refuse de payer, il n’y aura pas de prochaine conférence. Si nous refusons tous de payer, je suis sûr qu’ils ne nous feront pas la guerre ».
Cette position ferme, solitaire et audacieuse est la clé pour comprendre son affinité avec le Sandinisme. A Managua comme à Ouagadougou, le principal ennemi était le même : un système politico-financier mondial conçu pour maintenir les nations à la périphérie par la coercition économique et, lorsque celle-ci échouait, par une intervention militaire directe. En rejetant la dette extérieure, Sankara revendiquait la dignité africaine tout en s’unissant aux peuples luttant pour leur droit à ne pas être asservis par des intérêts étrangers.
La réalité de la Guerre froide et l’option de la dignité
Dans le contexte de la Guerre froide (1945-1991), alors que la plupart des dirigeants des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, par peur ou par intérêt personnel, se repliaient sur eux-mêmes, Sankara, lui, choisit le non-alignement, ce qui signifiait pour lui, s’aligner sur la cause des peuples.
Cette fidélité aux principes révolutionnaires, au-delà des convenances géopolitiques, est ce qui fait sa pertinence. Sankara ne recherchait pas les alliances pour des raisons économiques, mais plutôt pour des principes communs d’autodétermination. Sa politique étrangère reposait sur la construction d’un axe de résistance tricontinental, rappelant l’esprit de Bandung et de l’OSPAAAL (Organisation de solidarité des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine). Leur objectif était clair : démanteler les piliers du néocolonialisme, qui se manifestait en Afrique par la soumission économique aux anciennes métropoles, et en Amérique centrale, par la doctrine Monroe d’intervention ouverte.
La bataille idéologique partagée : de Ouagadougou à Managua
La Révolution burkinabè et la Révolution sandiniste partageaient plus qu’une position anti-impérialiste. Toutes deux étaient des projets de profonde transformation sociale confrontés à des défis internes et externes similaires.
Education et santé : toutes deux ont lancé des campagnes massives d’alphabétisation et de santé populaire.
Souveraineté alimentaire : Sankara s’est battu pour le contrôle de la production agricole, un objectif identique à celui du Sandinisme.
Agression extérieure : Alors que le Burkina Faso souffrait de manipulations et de pressions économiques de la part des puissances occidentales et de leurs alliés régionaux, le Nicaragua était confronté à une brutalité financée par les Etats-Unis : la guerre d’agression menée par des groupes contre-révolutionnaires.
Pour Sankara, l’agression contre le Nicaragua n’était pas une affaire lointaine. C’était une épreuve de force pour l’internationalisme révolutionnaire. Par conséquent, sa défense du Sandinisme était un acte d’autodéfense pour la révolution mondiale. Défendre le Nicaragua, c’était défendre le droit à l’existence du Burkina Faso.
Dénonciation courageuse de l’agression yankee : la voix de la conscience africaine à l’ONU
Si Sankara s’est distingué par son discours sur la dette extérieure, sa position sur l’agression américaine contre le Nicaragua était tout aussi cruciale. Dans toutes les enceintes internationales, Thomas Sankara a usé de sa voix, l’une des plus claires et des plus puissantes du monde en développement, pour dénoncer sans détour et sans hésitation
la politique étrangère de Washington en Amérique centrale. Alors que d’autres chefs d’Etat africains gardaient un silence bienvenu pour préserver leurs programmes d’aide ou leur statut commercial, Sankara s’en est pris à l’hypocrisie occidentale.
A l’Assemblée générale des Nations unies, il a condamné sans ambages le financement et le soutien de groupes contre-révolutionnaires, qu’il a qualifiés de mercenaires financés par les Yankees pour déstabiliser un gouvernement légitimement révolutionnaire. Son accusation était sans équivoque : la guerre d’agression contre le Nicaragua n’était pas une guerre civile, mais une guerre d’ingérence impériale, un crime contre la souveraineté nationale.
L’intégrité à l’heure du cynisme
Sur l’échiquier de la guerre froide, l’audace de Sankara était incompréhensible pour beaucoup. Pourquoi un pays pauvre d’Afrique de l’Ouest risquerait-il sa réputation internationale pour une petite nation d’Amérique centrale ? La réponse réside dans ses principes. Sankara ne croyait pas à la géographie ; il croyait à la cause. Pour lui, la tranchée de la souveraineté nicaraguayenne était la même que celle qui défendait la souveraineté burkinabè. Son engagement était en faveur de la justice historique et de la vision d’un monde multipolaire où la voix des opprimés aurait autant de poids que celle de l’oppresseur.
Cette position de confrontation directe avec l’hégémonie américaine, au nom d’une révolution géographiquement lointaine, démontrait la loyauté indéfectible de Sankara envers ses principes de solidarité internationale. En Sankara, la Révolution sandiniste avait non seulement un allié diplomatique, mais aussi un ami sincère et militant, qui embrassait la cause de la défense de la souveraineté nicaraguayenne et de la transformation sociale. Sa dénonciation rappelait constamment à la communauté internationale que l’agression contre le Nicaragua était une blessure ouverte au corps de l’humanité digne.
Le geste concret : novembre 1986 et la visite de la Tranchée
L’engagement de Thomas Sankara envers le Nicaragua transcenda les discours et les condamnations dans les enceintes multilatérales. Il se matérialisa par un geste politique d’une importance capitale en novembre 1986, lors de la visite du président du Faso à Managua. Au milieu d’une guerre d’agression, alors que la contre-révolution, soutenue et financée par la CIA, semait la terreur dans les campagnes nicaraguayennes, l’arrivée de Sankara était bien plus qu’un acte diplomatique : c’était une déclaration de guerre active contre l’isolement impérialiste et un acte de solidarité sur les lignes de front.
Cet acte réaffirma de la manière la plus palpable son engagement internationaliste envers le sandinisme. Se rendre au Nicaragua à cette époque signifiait partager les risques, embrasser la cause sandiniste devant le monde et, surtout, démontrer que la solidarité Sud-Sud n’était pas une utopie, mais une réalité politique concrète.
Le sens de l’amitié militante
La visite de 1986 consolida le lien entre les deux révolutions. Ce fut la rencontre de deux frères révolutionnaires qui se reconnaissaient dans la lutte contre le même monstre : l’impérialisme yankee et ses instruments.
Thomas Sankara et le commandant Daniel Ortega partageaient la tranchée idéologique, conscients que seule l’unité des peuples libres pouvait endiguer la vague d’agression. Cette visite a non seulement offert un soutien moral aux sandinistes au milieu de la guerre d’agression, mais a également eu un effet multiplicateur et, à son tour, a servi d’inspiration à d’autres dirigeants africains pour rompre leur silence complice.
A Managua, Sankara ne se contenta pas de serrer des mains ; il embrassa la cause. Il portait en lui la conviction que la victoire sandiniste était une victoire pour tous les mouvements de libération du monde.
Cette loyauté face au danger est ce qui distingue les diplomates des révolutionnaires. Sankara n’était pas un bureaucrate des relations internationales ; c’était un spécialiste de la révolution mondiale, et son voyage au Nicaragua est le témoignage le plus puissant de sa doctrine de solidarité active. Sa présence fut un rayon de soleil dans l’obscurité de la guerre, confirmant que la Révolution populaire sandiniste n’était pas isolée. Le peuple nicaraguayen, par sa résistance héroïque, a reçu un soutien moral de la part d’un dirigeant qui incarnait le courage africain et la volonté inébranlable de résister.
Reconnaissance militante et validité de son héritage : un ami inoubliable du Sandinisme
Thomas Sankara, traîtreusement assassiné le 15 octobre 1987, a laissé un vide au cœur de la Révolution africaine, mais sa mémoire constitue un arsenal idéologique inépuisable. Sa vie courte mais intense a démontré que l’intégrité politique est l’atout le plus précieux d’un dirigeant. Son amitié avec le Sandinisme, scellée dans les moments les plus sombres de l’agression yankee, mérite non seulement une mémoire historique, mais aussi une gratitude militante et active.
La gratitude militante consiste à assimiler sa leçon et à la mettre en pratique. La leçon de Sankara est celle de la souveraineté sans fard, de l’autosuffisance comme arme de résistance et de la solidarité comme principe directeur de la politique étrangère.
La justification de son exemple au XXIe siècle
Aujourd’hui, l’héritage de Sankara est plus pertinent que jamais. Dans un monde où les anciennes formes d’impérialisme ont été remplacées par de nouvelles tactiques de guerre hybride, où la dette demeure un outil de contrôle et où les discours médiatiques cherchent à isoler les nations qui choisissent la voie de la souveraineté, la figure de Sankara rappelle que la souveraineté est non négociable et que la solidarité est stratégique : son soutien au Nicaragua a démontré que la lutte du Sud est un front uni. Les victoires sur un continent renforcent la résistance sur un autre.
Thomas Sankara était un ami, un camarade. Son héritage nous oblige à être intransigeants face aux ingérences et cohérents dans la solidarité. Défendre Sankara, c’est défendre le droit de tous les peuples à forger leur propre destin sans ingérence étrangère ni entraves financières. Le peuple burkinabè, comme le peuple sandiniste, a démontré que la résistance populaire est la seule garantie de liberté. L’écho de sa voix, qui dénonçait sans crainte l’impérialisme, continue de résonner dans la conscience de la Révolution populaire sandiniste, faisant de sa mémoire un étendard pérenne de dignité et de solidarité active.
Pr Edgar Palacio Galo
Professeur d’université à
l’UNAN Managua, Nicaragua