Le Mouvement pour le changement et la renaissance (MCR) a été créé en janvier 2019 par des ex-militants du Parti pour la renaissance nationale (PAREN) de Laurent Bado. Dans cette interview, le président national, Carlos Toé, revient entre autres, sur les premiers pas de ce jeune parti, ses ambitions, son idéologie et sa candidature à la future présidentielle portée par l’ex-ministre et député, Tahirou Barry.
Sidwaya (S.) : Qu’est-ce qui vous a fait partir du Parti pour la renaissance nationale (PAREN) pour créer le Mouvement pour le changement et la renaissance (MCR) ?
Carlos Toé (C.T.) : Partir, c’est trop dire. Nous avons été exclus à l’issue d’un congrès et nous nous sommes donné un temps d’observation. Quoi qu’on dise, nous avons eu une longue lutte politique car, la plupart d’entre nous avions commencé à s’intéresser à la politique depuis les années 1999-2000. Nous avons jugé bon de fructifier ces 17 ans d’expériences, afin de les partager avec la jeunesse qui commence à s’intéresser à la politique.
S. : Ne pensez-vous pas avoir créé un parti de trop, si l’on sait que vous pouviez rejoindre d’autres formations d’idéologie sankariste ?
C. T. : Il y a une bataille cognitive autour de l’idéologie sankariste. A chaque 15 octobre, le triste anniversaire de la mort de Sankara, des colloques et tables rondes sont organisés par certains anciens compagnons du capitaine Thomas Sankara, qui posent des actes contre l’idéologie.
Il y a ceux qui se réclament sankaristes, qui ont créé des mouvements associatifs pour pérenniser l’œuvre de Sankara, à l’image de sa petite sœur Blandine qui a travaillé sur l’autosuffisance alimentaire. Il y a aussi des dinosaures de cette classe sankariste qui étaient de la société civile, notamment Chériff Sy.
La deuxième classe politique comprend ceux qui ont dès le début, réclamé l’obédience sankariste à partir d’une formation politique comme Nayab Kaboré, Nana Tibo et Ernest Nongma. Aussi, Valère Somé et Ismaël Diallo ont porté le sankarisme. A partir de la crise Norbert Zongo, de nombreux sankaristes, pourtant très farouches, se sont retrouvés dans les gouvernements successifs.
Toute cette dynamique politique autour du symbole Sankara avait fini par ternir l’image de l’homme. Le Sankarisme est donc apparu comme un marché politique où chacun vend ce qui est vendable du président Sankara. Nous n’avons pas voulu être des commerçants d’une partie de Sankara, que ce soit ses idées, ses comportements …
Le MCR donne une renaissance à l’idéologie de Sankara en nous appropriant sa manière de résoudre les problèmes des Burkinabè. Nous ne revendiquons pas une toge de sobriquet à travers une dénomination quelconque. Le sankarisme, c’est dans les faits comme l’a dit Blandine, sa sœur. Tahirou Barry, lors de son passage au ministère de la Culture a mené de nombreuses actions et insufflé une nouvelle dynamique à ce département.
S. : Comment se porte le MCR, huit mois après sa création ?
C. T. : Comme tout bébé, nous apprenons à marcher. Nous avons fini de ramper à quatre pattes. Maintenant nous sommes debout parce qu’en terme de structuration, nous avons un personnel suffisant pour faire face à n’importe quel enjeu politique actuel.
Même si on nous dit, l’élection présidentielle c’est dans trois mois, le MCR est déjà dans le starting-block.
S. : Qu’en est-il de votre présence sur le territoire national ?
C. T. : D’abord, pour faire le congrès qui nous a donné mandat pour l’élection présidentielle et législatives, nous nous sommes assurés que nous avions les ressources humaines nécessaires. C’est à partir de cet instant, que nous avons lancé le MCR. Nous ne faisons que formaliser ses structures.
En dehors de quelques zones liées à la situation sécuritaire, dans les zones où nous avions une grande obédience, en termes de formalisation, nous avons la satisfaction nécessaire. Nous avons commencé à faire quelques installations pour prouver que nous ne dormons pas. Nos militants sont rassurés que nous sommes dans la même
dynamique.
S. : La création du MCR a été immédiatement suivie de votre appel à la candidature du député Tahirou Barry à la présidentielle de 2020. N’est-il pas le vrai président du parti, comme le disent certains?
C. T. : Il n’y a pas de bataille de leadership entre Tahirou Barry et moi. Nous sommes des camarades politiques et nous avons milité pendant longtemps ensemble. En fonction des moments, l’un ou l’autre fait profil bas. Tahirou et moi sommes les deux faces de la même médaille.
S. : Quelle offre politique du MCR pour gagner la présidentielle de 2020 ?
C. T. : L’offre politique, c’est se départir de tous les débats idéologiques et résoudre les problèmes comme le faisait Sankara. Notre programme de gouvernement prône le changement radical à travers la manière d’être et de faire. Le premier problème auquel nous allons nous attaquer, c’est celui du système scolaire.
En observant le système éducatif, on se rend compte qu’il s’agit d’un délaissement social. Si on n’arrive pas à travailler pour avoir une dynamique cohérente entre l’école et la famille, le problème d’éducation et de scolarisation va toujours se poser. Les parents envoient l’enfant pour apprendre les connaissances, pourtant, l’école ne les reçoit que pour juste leur apprendre le savoir. Il n’y a pas de plus-value qui permet à l’individu de faire face à son environnement. Il faut revoir les curricula.
S. : Quelles sont les chances du candidat de votre parti au futur scrutin présidentiel ?
C. T. : Au lancement du MCR, un journaliste avait demandé qu’à partir de la théorie des «trois grands baobabs», à quelle plante, nous nous identifions. Nous avons dit, en son temps que nous sommes une liane qui monte au sommet et les gens ont pensé que nous sommes arrogants. C’est le réalisme politique. Quand on regarde l’état actuel de notre pays, il n’est pas question qu’on s’abstienne de faire des propositions concrètes. C’est aux Burkinabè de donner la place qui sied aux propositions du MCR.
S. : Pour les échéances électorales à venir, comment occupez-vous le terrain politique ?
C. T. : Nous ne dormons pas. Nous sommes en contact avec les personnes ressources et les jeunes à Ouagadougou comme à l’intérieur du pays. Nous allons expliquer notre position par rapport aux réalités de la politique actuelle mais aussi à l’avenir, car nous travaillons à la conscientisation du peuple.
Par exemple, si vous prenez le ministère du Commerce, les marchands ambulants proposent des articles importés, alors que la matière première de ces produits existe au Burkina Faso. La première révolution mentale, c’est d’interdire l’importation des outils ou articles finis. 40 % des engins à deux roues ont du matériel en plastique alors qu’au Burkina, on a en même temps un problème avec les sachets plastiques. Comme le disait le Pr Joseph Ki-Zerbo, on ne développe pas, on se développe.
Il faut travailler à créer une nouvelle vision du développement social de l’individu. Nous avons pas mal de propositions dans le manifeste du parti pour être disponible avec la candidature de Tahirou Barry. L’électeur pourra avoir accès à nos propositions concrètes.
S. : Vous arrive-t-il de consulter votre mentor, Laurent Bado ?
C. T : Personnellement, je n’ai plus de contact avec Laurent Bado, mais Tahirou Barry, lui continue à lui rendre des visites de courtoisie et ça se limite à là. Avant de se prononcer définitivement sur sa candidature, il a fait un tour chez lui pour lui faire l’annonce. Dès lors que nous ne sommes plus dans la même famille politique, il n’y a plus de raison de se fréquenter, mais quoi qu’on dise, c’est notre professeur et il a beaucoup apporté à ce peuple.
S. : Le dialogue politique initié par le président du Faso a abouti à de nombreuses recommandations. Quel commentaire en faites-vous ?
C. T. : Nous n’y avons pas été associés, mais soucieux de la bonne marche de ce pays, nous osons espérer que les propositions faites vont redonner espoir aux Burkinabè. Nous espérons surtout que les uns et les autres tiendront parole. En dehors de cela, je voulais que le chef de l’Etat comprenne que la scène politique a évolué et qu’il ne peut plus continuer à raisonner de façon dichotomique : opposition-majorité présidentielle.
Il y a d’autres formations politiques qui sont nées et qui n’ont pas mis pied dans l’une ou l’autre entité. Est-ce à dire que ces formations politiques n’ont rien à apporter ? Il y a une pluralité dont il faut en tenir compte. Même sous la Transition, on a tenu compte de la diversité et dans une situation républicaine, il n’y a pas de raison qu’on ne tienne pas compte des autres.
S. : Le Burkina subit de nombreuses attaques terroristes. Pour certains, la démission du gouvernement est la solution. Est-ce aussi votre avis ?
C. T. : Je me demande sur quels éléments d’appréciation ceux qui demandent la démission du gouvernement se basent et pour quelle finalité. Les ministres peuvent être démis de leurs fonctions, mais pour quelle finalité ?
Pour le MCR, il faut faire un diagnostic réel de nos forces de défense et de sécurité et redéfinir les concepts de sécurité nationale avec les missions des différentes structures. Aujourd’hui, la question est plus sécuritaire et nécessite du renseignement et de l’anticipation.
Comment neutraliser l’autre avant qu’il n’use de sa puissance de feu ? Quel que soit le dispositif qu’on va mettre en place, tant que la stratégie de l’anticipation ne va pas prévaloir sur la défensive, cela va être difficile. Je trouve bizarre que des jeunes soient formés dans une école d’élite comme le Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) et finissent à l’université de Ouagadougou.
Il devrait y avoir une suite logique pour que par exemple en matière d’aéronautique, de renseignements, de combat …, il y ait de grandes écoles qui offrent des cycles universitaires à ces militaires qui sortent du PMK.
S. : Le procès du putsch a livré son verdict : 20 ans de prison pour Diendéré et 10 pour Djibrill Bassolé. Votre commentaire…
C. T. : Pour le MCR, il faut se féliciter que le procès ait eu lieu. Ce verdict est une note de désespoir et un signal fort d’espérance. Une note de désespoir, parce que les familles des victimes qui pensaient être soulagées par la vérité n’ont pas été satisfaites. Certains qui étaient dans les box et qui espéraient être libres n’ont pas été acquittés.
L’un dans l’autre, ce verdict a suscité beaucoup de désespoir. Mais c’est un signal fort d’espérance, en ce sens que plus jamais, aucun Burkinabè, si puissant ou doté de puissance de feu, ne pourra penser qu’il peut se substituer au peuple. C’est la preuve que nous avons franchi la porte de non-retour, nous sommes en plain-pied dans la démocratie et personne ne pourra penser un jour qu’il pourra arriver au pouvoir par la force des armes.
Interview réalisée par
Jean-Marie TOE &
Frank POUGBILA
(Stagiaire)