Madi Ouédraogo est le président du Conseil des opérateurs économiques burkinabè de Côte d’Ivoire (COEB-CI) depuis juin 2023. Il est par ailleurs responsable de l’entreprise SERFIN (Services & finances), spécialisée dans la distribution des produits financiers, notamment la monétique, les cartes prépayées, le transfert d’argent, depuis une trentaine d’années. Communément appelé « Madi Western Union », il est celui qui a introduit le transfert d’argent Western Union en Afrique de l’Ouest depuis 1993. Dans cette interview accordée à Sidwaya, le samedi 1er mars 2024, à Abidjan, le président Ouédraogo aborde, entre autres, ses objectifs à la tête du COEB-CI, le rang du Burkina en tant premier investisseur étranger en Côte d’Ivoire, le rôle que la diaspora doit jouer dans l’économie burkinabè.
Sidwaya (S) : Comment se porte la communauté des hommes d’affaires burkinabè vivant en Côte d’Ivoire ?
Madi Ouédraogo (M.O.) : Comment cette communauté se porte, cela dépend de l’angle sous lequel, on se place. Mais, nous souhaitons qu’elle se porte mieux. C’est d’ailleurs pour qu’elle se porte mieux que le Conseil des opérateurs économiques burkinabè de Côte d’Ivoire (COEB-CI) a été créé depuis trois ans. Il est composé d’une trentaine de membres. La communauté est grande, mais il faut toujours un noyau pour la tirer vers le haut. L’objectif du COEB-CI est d’organiser cette communauté. Et, si nous sommes bien organisés, cette communauté se portera mieux.
S : Quels sont vos rapports avec les hommes d’affaires ivoiriens ?
M.O. : Nos rapports avec les hommes d’affaires sont au beau fixe. Et vous n’êtes pas sans savoir que les relations entre le Burkina et la Côte d’Ivoire ne datent pas d’aujourd’hui. Entre les deux peuples, c’est comme entre l’arbre et l’écore. Il ne faut pas y mettre le doigt. Les hommes d’affaires burkinabè vivant en Côte d’Ivoire n’ont n’aucun problème ici. Individuellement, les opérateurs économiques de la diaspora burkinabè ont des partenariats d’affaires avec leurs homologues ivoiriens. Tout se passe bien. Lorsque le gouvernement ivoirien a annoncé, chiffres à l’appui, que le Burkina est le premier investisseur étranger en Côte d’Ivoire, beaucoup étaient surpris. Car, ils ne le savaient pas. Mais, le contraire est aussi possible. Il faut qu’il y ait des Ivoiriens qui investissent aussi au Burkina. Il ne faudrait pas que ce soit dans un sens unique. Lorsque nous aurions réussi cela, nos relations seront encore plus étroites. Le Burkina a des domaines où il a besoin d’investisseurs, mais que les opérateurs économiques ivoiriens ne savent pas. Le rôle du COEB-CI est aussi de travailler à faire connaitre les opportunités d’investissements qui existent au Burkina.
S : Pendant longtemps, on a connu les Burkinabè très présents dans le secteur agricole ivoirien, principalement dans la production du café-cacao. En dehors de ce secteur traditionnel, quels sont les secteurs dans lesquels les Burkinabè investissent aujourd’hui ?
M.O. : Ce que qu’on connaissait, c’est le Burkinabè ancien, si je peux m’exprimer ainsi, qui rentrait en Côte d’Ivoire et qui continuait dans la forêt pour faire l’agriculture. Cette image qu’on avait du Burkinabè est révolue. Aujourd’hui, il y a un Burkinabè nouveau. Nous avons des Burkinabè spécialistes dans tous les secteurs d’activités économiques : les finances, le BTP, la sécurité, etc. C’est à nous de le faire savoir. Et le COEB-CI va jouer ce rôle. Habituellement, le Burkinabè n’aime pas se vendre. Avec le COEB-CI, cette attitude est désormais terminée. Aujourd’hui, c’est l’autorité ivoirienne qui dit que le Burkina est le premier investisseur étranger dans ce pays, mais qu’en disent les Burkinabè eux-mêmes ? Il est temps que nous puissions nous vendre, occuper l’espace et nous faire valoir.
S : Quel est votre commentaire sur le rapport 2023 du centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire où le Burkina Faso avec 11% des investissements y apparait comme le premier investisseur étranger devant des pays comme, la Turquie (7%), la France (5%), la Chine (5%), le Liban (5%), le Maroc (6%) ?
M.O. : Je suis surpris et heureux. Car cela permet de voir autrement le Burkinabè. Je pense que les Ivoiriens ont bien accueilli cette information. Ce n’est pas une mauvaise chose. Le rapport a bien précisé les secteurs dans lesquels les Burkinabè sont présents. Et c’est une réalité.
S : C’est bien d’être meilleur investisseur en Côte d’Ivoire, mais quelle est votre contribution au développement socioéconomique du Burkina ?
M.O. : La diaspora est notre matière première. Si on la considère ainsi, on doit la prendre au sérieux ! Chacun de nous est venu en Côte d’Ivoire séparément, s’est installé là où il veut pour mener ses acticités. Après, si tes affaires prospèrent, tu ne peux oublier ton pays. Mais si nous voulons que cette diaspora soit profitable à notre pays, il nous faut nécessairement nous organiser ici d’abord ! Et le COEB-CI va jouer ce rôle auprès de ses membres, mais aussi auprès des autorités. Nous avons une forte communauté ici, un savoir-faire sur le plan professionnel. Nous devons être en mesure de présenter ces atouts à l’Etat de Côte d’Ivoire, et faire savoir que nous avons du potentiel à l’image des autres communautés comme les Turcs, les Marocains, etc. Lorsque nous aurions réussi cette organisation, notre mère-patrie ne pourrait qu’en bénéficier. Individuellement, il y a des membres de la diaspora burkinabè résidant ici qui investissent au pays, même si cela ne se sent pas. Il nous faut investir dans l’économie burkinabè, à travers un cadre organisé. Lorsque vous êtes bien organisés, constituez une force, l’autorité est bien disposée à vous écouter et à vous créer les conditions propices pour ses investissements au pays. Mais aller en rangs dispersés, rien ne marchera.
S : Vous êtes le nouveau président du COEB-CI depuis juin 2023, pour un mandat de trois ans. Quelles sont vos ambitions à la tête de cette organisation ?
M.O. : L’un de nos objectifs est d’améliorer les conditions de vie et de travail des membres du COEB-CI, de faire en sorte qu’ils soient de véritables hommes d’affaires à même de tirer le reste du peloton. Nous avons un important nombre de Burkinabè qui exercent dans de petites acticités. Il est de notre devoir de les organiser, de les pousser vers le haut. Et cela fait également partie de nos objectifs. Il s’agit aussi de travailler à développer les échanges entre le Burkina et la Côte d’Ivoire. Il ne faudrait plus que ce soit toujours dans un seul sens. Nous allons mener ce combat pour que les produits burkinabè qui arrivent en Côte d’Ivoire soient valorisés. Nous ne voulons plus que les produits venant du Burkina trainent, pourrissent dans les gares. Nous voulons que tout le monde se retrouve, qu’il s’agisse du petit maçon, du menuisier, du cultivateur, de celui qui taille le gazon, etc. Le COEB-CI va faire ce travail d’organisation afin nous ayons un nouvel état d’esprit. Nous avons nos frères Libanais qui vivent mieux ici. C’est parce qu’ils sont organisés et solidaires. Nous n’avons pas la prétention de tout faire. Mais durant notre mandat, nous allons tracer des sillons pour ceux qui viendront après nous. Une chose est sûre, nous allons poser des actes qui seront visibles.
S : Une vision assez claire, avec une volonté bien affichée. Mais pour y arriver, vous auriez besoin de mobiliser des hommes et des femmes autour de vous…
M.O. : Pris individuellement, les Burkinabè vivant ici ont ce sursaut. Le problème est que jusque-là, nous ne nous sommes pas mis ensemble pour agir. Dans toute chose, il faut quelqu’un pour tirer la locomotive. Peut-être que de par le passé, certaines expériences n’ont pas été concluantes. Mais aujourd’hui, les choses ont évolué. Et s’organiser pour faire les affaires, entre nous, je trouve l’idée noble. En tous les cas, nous n’avons pas de choix que cette voie. Nous sommes engagés dans cette dynamique et Dieu aidant, nous allons y arriver.
S : Depuis pratiquement une dizaine d’années, le Burkina vit une crise sécuritaire et humanitaire. Comment vivez-vous cette situation difficile que traverse la mère-patrie ?
M.O. : Ce n’est pas le Burkina seulement qui est en crise. Vous voyez ce qui se passe un peu partout dans le monde. Notre souhait est que la paix revienne dans notre pays.
S : Pour vaincre les forces du mal, les autorités de la Transition ont lancé un appel à l’effort de paix, à la mobilisation des Burkinabè de l’intérieur et de l’extérieur. Les hommes d’affaires burkinabè vivant en Côte d’Ivoire ont-ils entendu et répondu à cet appel patriotique de la Nation ?
M.O. : Nos parents souffrent au pays. Nous ne pouvons pas rester indifférents à la situation nationale. Dans les campements, à travers les associations, les Burkinabè ont apporté leur contribution à l’effort de paix. Au sein du COEB-CI, nous avons également apporté notre contribution. En plus de cela, chacun aide séparément ses parents qui sont au pays. Tous les jours, nous sommes interpellés par nos familles au pays. Si, nous sommes bien organisés, cette contribution peut s’améliorer davantage !
S : Face à cette crise sécuritaire et humanitaire, avez-vous un message à lancer aux Burkinabè ?
M.O. : Ce sont des épreuves de la vie qui vont passer ! J’invite les uns et les autres à garder leur sang-froid. Nous ne sommes pas le seul pays à connaitre pareille crise. Cela fait partie de la vie des nations. Ici, nous avons la compassion de nos frères ivoiriens. Avec la rage de vaincre, nous allons sortir de cette crise.
Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com (De retour d’Abidjan)