Maraîchage à Bagré et à Loumbila : Les cris de détresse des producteurs

Les oignons pourrissant à même le sol après le passage de la pluie.

La COVID-19 a durement éprouvé les producteurs maraîchers de Bagré, dans la région du Centre-Est, et ceux de Loumbila, dans le Plateau central. Faute d’infrastructures appropriées de conservation des produits, ceux-ci ont tout perdu et ne savent plus à quel saint se vouer. Témoignages !

Un plan d’eau à perte de vue, une étendue de plaines aménagées, des cultures rizicoles, maraîchères, des bananerais, etc. Nous sommes sur le périmètre du barrage de Bagré, l’un des plus grands ouvrages hydrauliques du Burkina Faso, situé dans la région du Centre-Est, à 240 km de Ouagadougou. Ici, est mis en œuvre un projet de pôle de croissance dénommé « Bagré pôle » pour la production agroalimentaire. Les producteurs de cette localité ont été durement touchés par les effets pervers de la pandémie.

« Nous n’avons pas encore enregistré de cas positif du coronavirus, mais nous subissons durement les conséquences de la maladie », se lamente, Boukaré Kéré, producteur maraîcher depuis plus d’une décennie. Il n’a jamais subi autant de pertes comme cette année. Avec un investissement de 650 mille FCFA, il a récolté 60 sacs d’oignons (de 200kg), et s’attendait à une recette de 1, 8 million de francs CFA.

Mais, c’était sans compter avec la crise sanitaire de la COVID 19 et ses conséquences sur l’économie, qui a entraîné la fermeture des marchés et des frontières. « Sur mes 60 sacs, j’ai pu vendre 25 à 15 mille francs l’unité contre 30 mille francs en temps normal. Imaginez ce que j’ai perdu », se désole-t-il. Un petit calcul mental donne une perte de plus d’un million FCFA, un sérieux revers pour ce producteur.

Avec forces détails, les lèvres séchées par le carême de ce jour 7 mai 2020, M. Kéré relate les péripéties de sa faillite. Un matin, il joint au téléphone son acheteur, basé à Lomé au Togo, pour l’enlèvement de sa production. Les deux conviennent d’une date qui ne sera pas respectée à cause de la fermeture des frontières du fait de la COVID-19.

Quand la pluie s’invite

Boukaré Kéré, producteur d’oignons: « Ici, il n’y a pas de cas positif au coronavirus, mais nous subissons durement les conséquences de la maladie».

Après s’être rendus compte que la mesure ne concerne pas les véhicules de fret, les deux s’accordent sur une nouvelle date. Malheureusement, la veille, de façon inattendue, dame pluie ouvre ses vannes sur Bagré en plein mois d’avril. Ce nouveau rendez-vous est ajourné en attendant, que les oignons mouillés sèchent. « Mais lorsque la pluie bat les oignons, il n’y a plus de solution », révèle M. Kéré, le visage pâle. Au troisième rendez-vous, après tri, seulement 25 sacs d’oignons ont pu être vendus, confie-t-il, secouant sa tête, comme pour nier l’évidence.

Ousséni Zabsonré, autre producteur maraîcher à Bagré, du haut de ses 50 ans, lui aussi, a fait les frais des effets collatéraux de la maladie à coronavirus. Vêtu d’un boubou gris, l’homme élancé, à la barbe blanche étoffée, nous conduit sur le site de stockage de ses oignons. Sous un manguier feuillu, des oignons pourris à même le sol, constituent le triste décor des lieux. Cette perte est due à la longue attente des acheteurs togolais, au soleil et à la pluie. « C’est ici que j’avais stocké ma production.

Si vous étiez venus plus tôt, vous auriez pu constater toute l’ampleur de mes pertes », souligne-t-il, les yeux rivés sur le tas d’oignons en décomposition. Sur 30 sacs produits, 15 ont pu être vendus, après tri, à 15 mille francs CFA le sac, un prix en-deçà des 30 mille FCFA habituels. Le reste plus ou moins consommable a été partagé aux voisins. « A défaut d’espèces sonnantes et trébuchantes, il vaut mieux bénéficier des bénédictions des voisins », se console-t-il.

Certains producteurs ont pu vendre le sac à plus de 15 000 FCFA. C’est le cas de Edmond Sinaré, un autre agriculteur installé sur la plaine aménagée de Bagré depuis 1996. Mais il n’oubliera pas de sitôt la COVID-19. Car, il a enregistré un manque à gagner de 500 mille FCFA, sur ses 50 sacs d’oignons vendus aux acheteurs ghanéens à 20 mille l’unité.

Chute des prix

Tout comme à Bagré, les agriculteurs de contre-saison de Loumbila, dans la région du Plateau central n’ont pas été épargnés par l’onde de choc de la COVID-19. Les mesures

Le producteur, Pascal Dakissaga : « Nous ne sommes pas pris en compte dans les mesures sociales contre la pandémie ».

restrictives prises par le gouvernement pour endiguer la propagation de la maladie, les ont conduits quasiment au même bilan alarmant. Pertes des quantités produites, chute des prix sur le marché. « Avec la fermeture des marchés, et des frontières, la quarantaine des villes, nous n’arrivions plus à écouler nos productions.

Les acheteurs ne venaient plus. », se rappelle la productrice, Rosalie Sawadogo, tout en allaitant son bébé. Par conséquent, les producteurs ont été contraints de brader le sac de 50kg entre 4 000 et 7500 FCFA, alors qu’il se vendait à au moins 10 000 F CFA avant la pandémie, affirme le président de l’Union nationale des producteurs d’oignons du Burkina Faso (UNAPOB), René Soalla. Face à ces pertes sèches inattendues et « jamais vécues », les producteurs, ont tous le regard tourné vers l’autorité politique.

Ils veulent leur part de mesures sociales contre la COVID-19. « Nous ne sommes pas pris en compte dans les mesures sociales pour aider les populations à faire face à la pandémie. Nous sommes en faillite mais les prix des intrants restent intacts. Il nous faut aussi rembourser les crédits contractés pour la compagne », explique le producteur, Pascal Dakissaga. Quant à M. Zabsonré, il a dû négocier le report du paiement de ses employés à l’année prochaine, espérant des résultats meilleurs.

Désemparés, les producteurs attendent gros de l’Etat. « Nous ne savons pas comment aborder la saison humide qui s’annonce. Si le gouvernement ne nous vient pas en aide avec des fonds de roulement et des intrants, il n’est pas évident que nous allons pouvoir faire de la maraîcherculture la saison prochaine », s’inquiète M. Kéré.

Pertes post-récoltes, un phénomène récurrent

La maraîchercultrice, Rosalie Sawadogo : « Nous sollicitons l’aide du ministère de l’Agriculture pour réaliser de bonnes infrastructures de conservation».

Si en 2020, la maladie à coronavirus a accentué la perte des productions, la problématique ne semble pourtant pas nouvelle. « Les pertes post-récoltes sont un phénomène récurrent », fait savoir le président de la Confédération paysanne du Faso (CPF), Bassiaka Dao. Selon le ministère de l’Agriculture et des Aménagements hydrauliques, 12% à 30% des productions agricoles sont perdues chaque année au Burkina Faso.

Pour les agriculteurs, le manque d’infrastructures appropriées de conservation en est la principale cause. Daniel Tapsoba est maraîcherculteur à Loumbila, dans le Plateau central, depuis trois décennies. Tomates, oignons, aubergines, piments, sont, entre autres, les cultures qu’il exploite sur un périmètre de deux hectares. Si la plupart de ces produits sont vendus dès qu’ils arrivent à maturité, ses oignons sont conservés sous les arbres, dans les greniers, les maisons, en attendant des prix rémunérateurs.

Des moyens de conservation que M. Tapsoba sait incommodes, vu les pertes qu’il enregistre chaque année. « La production d’oignons est très rentable. Mais le manque d’infrastructures adéquates de conservation constitue une véritable préoccupation pour nous », reconnaît-il. La volonté de se doter des équipements de stockage et de conservation se heurtent au manque de ressources financières. Selon le président Soalla, les producteurs sont conscients de l’enjeu mais les infrastructures de conservation sont coûteuses. Pour un magasin de conservation de qualité, répondant aux normes et pouvant contenir 10 à 12 tonnes d’oignons, il faut au minimum 5 millions FCFA.

Un montant qu’il trouve hors de portée des maraîchers. « Nous voyons que dans les zones de Koudougou et Banzon, avec l’appui des projets, on réalise des hangars de conservation d’oignons pouvant contenir 20 tonnes. Mais nous n’avons pas les moyens pour réaliser ces infrastructures, les chambres froides et autres qui coûtent des millions », argumente Kéré Boukaré. Pour Pascal Dakissaga, l’inaccessibilité aux moyens efficaces de stockage et de conservation, en sus, de causer des pertes des récoltes et de recettes, oblige les agriculteurs à produire à minima.

Pour le président de la CPF, Bassiaka Dao, l’Etat doit faciliter la réalisation des infrastructures de conservation et des unités de transformation agroalimentaire.

« L’absence d’infrastructures limite nos capacités de productions. Car si tu n’arrives pas à vendre rapidement, tu fais des pertes. Nous ne pouvons donc pas nous engager dans de grandes productions », précise-t-il. Résultat, le pays est contraint de recourir aux importations pour combler la demande nationale en certains produits maraîchers. « Nous produisons à un moment où, faute d’infrastructures de conservation, nous sommes obligés de brader nos productions, pour ensuite courir derrière d’autres pays pour importer les mêmes produits plus chers », regrette le président des producteurs d’oignons.

Pire, les maraîchers subissent le diktat des commerçants. « Les produits maraîchers étant hautement périssables, les acheteurs notamment étrangers sont des ″price-makers″ (faiseurs de prix) et font du chantage aux producteurs. La situation s’est amplifiée avec la COVID-19, vu que nous exportons la majeure partie de nos productions maraîchères vers les pays voisins », dénonce le directeur de la promotion de l’économie rurale, Dr Abdelaziz Ouédraogo.

« L’Etat doit remplir sa mission régalienne… »

Las de vivre cette situation, Rosalie Sawadogo et ses collègues producteurs agricoles appellent l’Etat à la rescousse. « Nous sollicitons l’aide du ministère de l’Agriculture pour réaliser de bonnes infrastructures de conservation et lutter contre les infections des plants. Cela va nous permettre d’augmenter nos productions », implore-t-elle. Ils sont soutenus par la CPF, qui appelle les pouvoirs publics à remplir pleinement leur mission régalienne en matière de soutien à la production.

« La construction des infrastructures de stockage et de conservation des productions agricoles incombe d’abord à l’Etat. Qu’est-ce qui empêche l’Etat de construire un grand magasin dans chaque commune ? », s’interroge son président. Mais le rôle de l’Etat, poursuit-il, ne doit pas se limiter à la réalisation, il doit s’impliquer dans la gestion jusqu’à s’assurer que le privé peut prendre efficacement la relève avant de rétrocéder les infrastructures aux coopératives ou groupements.

Selon le DG de la promotion de l’économie rurale, Dr Abdelaziz Ouédraogo, le problème des pertes post-récoltes et des infrastructures agricoles est pris au sérieux au ministère de l’Agriculture.

Pour ce faire, M. Dao invite l’Etat à tirer les leçons de l’échec dans la gestion des chambres froides de l’UCOBAM. La faîtière des organisations paysannes appelle également le gouvernement à faciliter l’implantation des unités de
transformation agroalimentaire, et ce, au-delà du « discours politique ressassé fréquemment ».

Le patron de la CPF dit ne pas comprendre que le Burkina Faso ne dispose jusque-là d’une grande unité de transformation de tomates à Loumbila ou à Yako ou une grosse laiterie à Dori, au vu des potentialités qui s’y trouvent ! Du côté du ministère en charge de l’agriculture, on soutient que le problème des Pertes post-récoltes (PPR) et des infrastructures agricoles est « pris au sérieux ».

Selon le directeur général de la promotion de l’économie rurale, Dr Abdelaziz Ouédraogo, son département s’est doté de programmes de réalisations d’infrastructures agricoles afin de réduire les PPR. Pour lui, depuis 2016, trente unités de transformation sont construites ou en cours de réalisation.

Il s’agit, entre autres, des unités de transformation de tomate de Di, de Bobo-Dioulasso, de manioc de Diébougou, d’arachide de Ganrango, de pomme de terre de Titao. Sans oublier la dernière infrastructure en date, la chambre froide de Loumbila, inaugurée le 28 mai 2020.

Face à l’incapacité de l’Etat de satisfaire les besoins du monde agricole en infrastructures, le ministère conseille aux producteurs de faire usage des techniques traditionnelles de stockage et de conservation des produits agricoles qui font recettes.

Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com


Quid des pertes post-récoltes

L’agronome consultant, Justin Savadogo, définit les Pertes post-récoltes (PPR) comme étant « toute production végétale, animale ou halieutique, initialement prévue pour la consommation humaine et qui n’a pu l’être du fait de causes diverses, qui se situent au niveau des opérations de récolte, séchage, battage/égrenage, vannage et du stockage ». A l’entendre, les PPR réduisent considérablement les revenus, la résilience alimentaire des producteurs, et partant, de tout le pays.

« Elles diminuent également la valeur nutritive et marchande des produits alimentaires », a-t-il renchéri. Pour mieux orienter les interventions, croit savoir M. Sawadogo, l’Etat devra procéder à une évaluation systématique du niveau de pertes post-récoltes sur l’ensemble de tout le pays et dans toutes les filières. « Dans tous les cas, l’ampleur du phénomène des pertes alimentaires post-récoltes est telle qu’il faut des actions fortes pour réduire la dépendance alimentaire du Burkina Faso », plaide-t-il.

M.S

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