A l’occasion du FESPACO 2025, la Maison Pathé’O propose un défilé hors du commun, conçu comme un véritable plateau de tournage. A travers l’événement « Mon vêtement, mon identité », le créateur burkinabè Ainé Pathé Ouédeaogo espère mettre en lumière l’importance de la mode comme marqueur identitaire et levier culturel. Une invitation à repenser la mode africaine et à célébrer le savoir-faire textile du continent.
Sidwaya : Pouvez-vous nous parler du concept de cet événement ? Quelle
est sa philosophie et son objectif principal ?
Pathé’o : Cet événement est avant tout un défilé de mode, une mise en lumière de la création vestimentaire africaine. Il s’agit de présenter au public plusieurs pièces uniques, fruits d’un travail de recherche et d’inspiration à travers le continent. Le thème « Mon vêtement, mon identité » reflète une réflexion sur l’habillement des Africains. A force d’observer ce que les populations portent, on réalise que, bien souvent, ce n’est pas un choix mais une contrainte liée à l’offre disponible. L’objectif de ce défilé est donc d’inciter les Africains à se réapproprier leur identité vestimentaire en valorisant les matières locales et les créations qui leur ressemblent. Il s’agit d’une invitation à s’africaniser, non pas par obligation, mais par un choix conscient d’adopter une mode qui correspond à leur culture et leur histoire.
S: Pourquoi avoir choisi le FESPACO comme cadre pour organiser ce défilé ?
Pathé’O : Le FESPACO a accepté d’intégrer cet événement dans sa programmation, et cela fait parfaitement sens. Le cinéma et la mode sont intimement liés : chaque acteur porte des créations de stylistes, que ce soit à l’écran ou en dehors. Bien que nous n’ayons pas conçu spécifiquement des tenues pour les acteurs du cinéma, beaucoup d’entre eux portent déjà nos créations. Ce lien entre la mode et le septième art existait donc naturellement. Participer au FESPACO est une belle opportunité pour rappeler que l’habillement fait partie intégrante de la culture et de l’image que nous projetons à travers le cinéma et au-delà.
S: Qu’est-ce que signifie pour vous « Mon vêtement, mon identité » ?
Pathé’O : L’idée derrière « Mon vêtement, mon identité » remonte aux années 1975-1976. A cette époque, il était difficile d’imaginer que l’on puisse bâtir une mode basée sur les matières africaines.
L’esprit des gens était tourné vers l’Europe, le prêt-à-porter et les vêtements importés. Ceux qui choisissaient de valoriser les tissus locaux perdaient souvent des clients, car il fallait convaincre le public de la qualité et de la valeur de ces créations. L’objectif de cette initiative est donc double : Sensibiliser les consommateurs à l’importance de porter des vêtements qui reflètent leur culture et leur identité. Et encourager les jeunes créateurs à s’inspirer de l’Afrique pour proposer une mode authentique, plutôt que de copier des tendances étrangères qui ne correspondent pas toujours à notre réalité. Aujourd’hui, l’avenir de la mode est en Afrique, et il est essentiel de continuer à promouvoir nos tissus et nos savoir-faire pour construire une industrie textile forte et indépendante.
S: Quelle est la particularité de ce défilé ?
Pathé’O : Ce n’est pas le premier défilé de la Maison Pathé’O, mais chaque édition est unique. Nous travaillons constamment à innover et à améliorer nos créations. Cette fois, nous avons mis un accent particulier sur les matières que nous fabriquons nous-mêmes, notamment les tissus tissés localement et le « Koko Dunda », un tissu teint artisanalement. D’un point de vue technique, ce défilé sera unique en son genre. Il se distinguera en adoptant la mise en scène d’un plateau de tournage. Chaque séquence du défilé correspondra à un plateau où évolueront mannequins et réalisateurs, offrant ainsi une expérience immersive et interactive. Ici, les mannequins deviennent des acteurs, et le public joue un rôle actif dans la mise en scène. Ce sera un événement inédit, loin des formats classiques. Le défilé sera retransmis en direct sur la chaîne BF1 le mardi à partir de 21h, permettant ainsi à un large public de vivre cette expérience.
S: Cette collection a-t-elle un nom ?
Pathé’O : Il n’y a pas de nom spécifique pour cette collection, mais elle s’inscrit pleinement dans la philosophie « Mon vêtement, mon identité ». L’idée est simple : porter des matières africaines, qu’elles soient tissées, imprimées ou teintes localement. Même si certains tissus viennent de l’extérieur, nous les transformons avec des couleurs et des motifs inspirés de notre culture.
S: Quelles matières ont été utilisées pour cette collection ?
Pathé’O : Nous collaborons étroitement avec les artisans tisserands pour créer des tissus adaptés à la mode contemporaine. Autrefois, les pagnes tissés avaient une largeur de 20 à 25 cm, ce qui limitait les possibilités de confection. Aujourd’hui, nous avons réussi à produire des tissus pouvant aller jusqu’à 1,50 m voire 1,60 m de large, rendant leur utilisation plus flexible. Nous avons également travaillé sur la souplesse du tissu, les couleurs et les motifs, pour que ces étoffes soient non seulement belles, mais aussi agréables à porter. Cette collection proposera donc une grande variété de pagne tissé et de
tissus teints à la main (Koko Dunda), avec plus de 300 motifs différents.
S : Comment la mode peut-elle contribuer à la promotion du cinéma, thème central de cette 29e édition du FESPACO ?
Pathé’O : Le lien entre cinéma et mode est indissociable. Un acteur, un réalisateur, ou toute autre personne impliquée dans le cinéma doit être habillé, et cet habillement participe à la construction visuelle du film. Notre message est simple : l’habillement doit être en accord avec l’histoire racontée. Un film qui parle d’Afrique doit s’appuyer sur une mode africaine. Il ne s’agit pas uniquement de s’habiller localement au sens strict, mais d’adopter une identité vestimentaire qui reflète notre culture et nos traditions. Si nous voulons que nos films racontent l’Afrique avec authenticité, il est essentiel que le vêtement suive cette même démarche.
S : Pensez-vous que l’industrie de la mode africaine est suffisamment soutenue par les pouvoirs publics ?
Pathé’O : En Afrique, les autorités publiques ne mettent pas en avant la mode, car ce n’est pas un secteur qui fait partie de leurs priorités. Pourtant, nous, créateurs, vivons de la mode. Nous la développons, nous faisons des recherches, nous innovons constamment. Ce n’est pas une question de négligence de la part des gouvernements, mais plutôt d’orientation. La mode ne fait pas encore partie des secteurs stratégiques auxquels ils accordent une attention particulière. Pourtant, un soutien plus affirmé des autorités permettrait à cette industrie de se structurer davantage et d’avoir un impact économique encore plus fort.
S : Votre marque est aujourd’hui une référence en Afrique et dans le monde. Quel a été votre plus grand défi ?
Pathé’O : Quand nous avons commencé, la mode africaine n’était pas
valorisée. Les pagnes locaux étaient souvent mal perçus dans les grandes occasions. Pour être considéré comme bien habillé, il fallait porter un costume, un trois-pièces ou un abacost, des vêtements qui, en plus, ne sont pas adaptés à notre climat. Notre combat a donc été de changer les mentalités et de faire comprendre que les Africains ont le choix de porter des tenues qui leur ressemblent. Il ne s’agit pas de rejeter ce qui vient d’ailleurs, mais de reconnaître la richesse et la diversité de notre propre mode vestimentaire.
S : Quel message adressez-vous aux jeunes créateurs de la nouvelle génération ?
Pathé’O : Contrairement à ce que certains pensent, la mode est un métier exigeant. Il ne suffit pas de publier des photos sur les réseaux sociaux pour se dire styliste.
Il faut apprendre la couture, comprendre les matières, connaître son public et maîtriser les techniques de création. Nous nous sommes battus pour montrer aux Africains qu’ils n’étaient pas obligés de porter des costumes et des manteaux conçus pour des climats froids. Nous avons des matières légères, colorées, adaptées à notre environnement et à notre peau.
Il est essentiel que la nouvelle génération prenne conscience de cette richesse et s’approprie pleinement l’héritage textile africain.
S : Un dernier mot pour les passionnés de mode et les spectateurs ?
Pathé’O : Rendez-vous au défilé Pathé’O ! Ce sera une occasion pour découvrir le fruit de notre travail et de célébrer ensemble la mode africaine. Notre objectif est de faire en sorte que le cinéma et la mode avancent main dans la main, s’associant pour se renforcer mutuellement. Le défilé « Mon vêtement, mon identité » résume parfaitement cette idée à travers une phrase clé : « Dis-moi ce que tu portes, je te dirai qui tu es ». Nous sommes définis, en partie, par ce que nous portons. Notre habillement doit être un moyen d’affirmer notre identité et de refléter notre culture. Après près de 60 ans d’indépendance, il est essentiel que nous, Africains, soyons fiers de notre mode et capables de nous identifier à travers nos vêtements. Il ne s’agit pas de promouvoir une mode ethnique ou exclusive, mais plutôt d’encourager l’utilisation de matières locales, comme le Faso Dan Fani, à l’image de ce que fait déjà le Burkina Faso.
L’enjeu est de repenser notre conception de la mode et des textiles, afin d’en faire un véritable levier de développement et d’expression culturelle. Aujourd’hui, face à une communication agressive qui impose souvent
des modèles étrangers, l’Africain doit réinventer sa perception de la mode. Il doit comprendre que ce qu’il porte est une extension de lui-même, un symbole de son histoire et de son appartenance.
Interview réalisée par Nadège YE