Moussa Alex Sawadogo, ex-délégué général du FESPACO : « cette 29e édition était celle de la confirmation et de tous les défis »

La 29e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou s’est tenue, du 22 février au 1er mars 2025. Cette édition a connu le sacre du film « Katanga ou la danse des scorpions » du Burkinabè Dani Kouyaté qui donne à son pays, le 3e Etalon d’or de Yennega. Invité de la rédaction du journal Sidwaya, le mardi 8 avril 2025, l’ancien délégué général du FESPACO, récemment nommé directeur général de l’Agence burkinabè de la cinématographie et de l’audiovisuel (ABCA), Moussa Alex Sawadogo, fait le bilan de la biennale. De plus, il aborde les questions des salles de ciné, la qualité des films burkinabè, les défis, le financement de l’industrie cinématographique et la place du 7e art dans la diplomatie et la reconquête de notre souveraineté.

Sidwaya (S): Le FESPACO 2025 s’est achevé le 1er mars dernier ? Quel bilan faites-vous de son organisation ?
Moussa Alex Sawadogo (M.A.S): Cette édition, je dirais personnellement, qu’elle a été celle de tous les risques. Je l’appelais dans mon concept, le FESPACO de la confirmation, en ce sens que j’étais à ma IIIe édition (2021-2023). Il était temps de prouver de quoi le Burkina Faso était capable, de montrer ses qualités d’organisation, son self-power et surtout, de faire du FESPACO, l’un des plus grands festivals du continent africain, voire du monde en rapport avec les cinémas d’Afrique. Pour nous, organisateur, pour ne pas dire managers d’événements comme le FESPACO ou d’autres festivals, nous voyons plus ce qui est négatif que ce qui est bien fait. C’est un peu dans notre métier ainsi de toujours voir ce qui n’a pas marché, comment anticiper ou pour la prochaine édition, trouver des meilleures solutions. Comme bilan, personnellement, je suis satisfait parce qu’avant de commencer le FESPACO, la problématique que nous avons posée à la délégation générale, c’était d’arriver à faire de telle sorte qu’un événement comme le FESPACO, continue de garder sa notoriété dans une situation comme celle que nous vivons présentement et puisse enlever tout soupçon de pays en crise sécuritaire, pauvre et autres. Il s’agissait de montrer que le Burkina a toujours cette force de pouvoir organiser des grands événements. De la cérémonie d’ouverture à la clôture en passant à la projection des films, nous sommes très satisfaits. C’est au-delà même de ce que nous attendions. Nous avons réussi. C’est la première fois dans l’histoire du FESPACO, depuis sa création d’arriver à projeter 235 films. Ce qui est énorme. Ce qui n’est jamais arrivé dans l’histoire du FESPACO. Et les 235 films se sont traduits à travers presque 700 activités, parce que les films ont été présentés deux ou trois fois. Aussi, il s’agissait de réaliser les masterclass qui étaient quand-même énormes, parce que le FESPACO n’est plus uniquement un espace de visibilité, mais en même temps de transmission de savoirs et d’enseignements. Tous les masterclass ont été réalisés dans de très bonnes conditions.
Au-delà, il y a eu des rencontres professionnelles aussi pour attirer de nombreux directeurs artistiques. Ce sont plus d’une centaine de directeurs artistiques qui sont venus du monde entier. Pour la première fois dans l’histoire du FESFACO, nous avons reçu le directeur du festival des films du Sultanat d’Oman. Nous avons réussi grâce au grand soutien de l’Etat burkinabè et tous les partenaires afin que tous ceux que nous avons reçus à travers le monde entier repartent chez eux dans de très bonnes conditions. Nous sommes très satisfaits.

S: Selon l’opinion populaire, cette édition a gagné tous les paris (mobilisation des festivaliers, engouement populaire, records de films en compétition…). Qu’est-ce qui explique ce succès ?
M.A.S: Cela s’explique par deux raisons. Nous sommes arrivés à garder le caractère d’abord, professionnel et ensuite populaire du FESFACO. Nous avons voulu garder cet aspect parce que c’est ce qui pousse les professionnels à quitter leurs pays, leurs régions, leurs villes, pour venir au Bukina afin de voir des films pour la première fois et qu’ils pourront reprogrammer dans leur festival. La preuve est que nous avons reçu 100 directeurs de festivals de films au monde. Aussi, il fallait garder le côté professionnel de l’organisation. Ce qui est important. Parce qu’au FESPACO, les professionnels ne sont pas amenés à voir seulement les films. Ils viennent aussi pour les rencontres professionnelles, pour voir des films qui sont en Working in progress. Cela faisait partie d’une de nos rubriques du FESFACO. Ce qui va leur permettre d’avoir des premières mondiales au festival de Cannes, de Berlin et d’autres festivals. Et surtout, de présenter des projets. Parce que nombreux sont les producteurs qui viennent à la recherche de projets, parce que le FESFACO, pour ne pas dire le cinéma aujourd’hui, c’est une industrie, et qui dit industrie, dit business. Ils viennent aussi pour avoir ces projets qu’ils pourront plus tard produire, afin d’alimenter leur industrie ou de se faire du business.
Après les deux dernières éditions, nous avons renforcé le caractère du FESFACO Pro, en renforçant l’industrie du cinéma, en ouvrant les masterclass entre les étudiants, et ceux qui aiment le cinéma, les professionnels. Il était également important de donner de l’espace au côté populaire, surtout dans la situation dans laquelle nous sommes. Le peuple burkinabè a besoin de sortir, de relaxer, de rencontrer d’autres mondes. Et c’était important de lui donner ces possibilités. Nous avons ouvert d’autres espaces, renforcé l’espace Idrissa Ouédraogo qui est une création du FESFACO, que nous avons donné à une organisation. Nous avons, en collaboration avec la mairie, travaillé sur la décoration de la place des Cinéastes et de faire de sorte que les rues marchandes aussi soient beaucoup plus alimentées. Nous avons également fait venir des professionnels du Tchad et d’autres pays, pour donner un espace de distraction, c’est-à-dire la musique et autres. Au-delà, nous avons fait en sorte que les espaces professionnels soient réservés à certains curieux, à ceux qui veulent aspirer à travailler dans le cinéma, et en donnant beaucoup plus de possibilités aux étudiants, de profiter des collègues et des masters class. J’insiste sur le soutien des médias qui ont réussi d’une manière très professionnelle, à communiquer, à donner à la population l’envie d’aller voir le FESPACO. Et lorsque vous écrivez, vous donnez des informations à la population, de voir des premières mondiales, des masters class, des films inédits.
Au-delà du caractère professionnel et populaire du FESPACO, nous avons travaillé de telle sorte que la programmation soit vue dans presque tous les quartiers de Ouagadougou. Ce qui n’était pas évident. 235 films, c’était 600 projections. Nous avons commencé dans les quartiers populaires. D’abord dans les villes à 100 kilomètres, comme Yako, après dans les quartiers périphériques comme Bassinko, Saaba … et enfin dans presque tous les quartiers de Ouagadougou.

S : Le début du FESPACO a coïncidé avec l’inauguration de Azalaï Hôtel. Quel est le symbole ?
M.A.S : C’était la stratégie voulue avec la délégation générale du FESPACO. Nous connaissons tous la notoriété de l’hôtel Indépendance à l’époque. C’est là que nous avons vu les Sambène Ousmane, Djibril Mabeti Diop, Souleymane Cissé, Gaston Kaboré … C’était important de pouvoir, dans notre stratégie de communication, ramener les professionnels au cœur du festival, d’aller vers un hôtel qui était emblématique pour le FESPACO. Aujourd’hui, il est difficile de parler de l’histoire du FESPACO sans évoquer l’Hôtel Azalaï. Nous n’étions pas très sûrs que l’hôtel allait être ouvert. En 2023, nous avons approché l’hôtel qui nous a fait savoir que cela n’allait pas être possible. Mais nous avons essayé de garder cette dynamique, cette communication avec l’hôtel, de faire en sorte qu’en 2025, avec le soutien de l’Etat et de notre ministère de tutelle, l’hôtel soit fin prêt. Nos premières conférences de presse officielles, c’était à l’hôtel Azalaï. Le premier client de l’hôtel était un de nos invités du Tchad. Et aussi, c’était d’œuvrer pour que tous ceux qui, à un certain moment, doutaient de s’il faut venir au FESPACO ou pas, entendent parler de l’hôtel Indépendance allaient prendre leur billet d’avion et venir. Et l’hôtel était vraiment à notre écoute. L’hôtel a travaillé d’arrache-pied. C’était vraiment une grosse pression pour eux de travailler jusqu’au jour J afin que l’hôtel soit disponible à l’ouverture du FESPACO.

S : Pour cette édition, certains partenaires traditionnels se sont abstenus d’accompagner la biennale du cinéma africain. Aviez-vous eu des inquiétudes pour la réussite de l’évènement ?
M.A.S : En tant que manager d’un événement comme le FESPACO, il faut toujours s’y attendre. Nous sommes comme le train. Nous démarrons la locomotive à partir du moment où les autorités nous en donnent l’accord. C’est sûr qu’à un certain moment, des passagers vont descendre et d’autres vont monter. C’est cela qui fait la beauté du métier. Nous parlons, nous créons le rêve. Et dans ce rêve, nous sommes sûrs que nous ne pourrions pas arriver sans les partenaires. Et, nous sommes conscients qu’il y a des partenaires dans la situation actuelle qui allaient nous lâcher. Mais, il fallait trouver les moyens. Nous avons démarré la locomotive, bien sûr avec le soutien de nos autorités et la conviction que nous allions y arriver. Et dès qu’ils ont quitté le navire pour ne pas dire le train, l’Etat burkinabè comme d´habitude a pris ses responsabilités. C’est là qu’il faut remercier une fois de plus nos autorités qui sont conscientes de l’importance, de la force et de la politique réelle du FESPACO. Et, nous sommes arrivés à bon port. Et, je crois fort bien que ceux qui nous ont laissés en plein vol, essaient même de rattraper l’avion. Mais, nous avons déjà atterri avec tous les passagers à bon port. Et chacun a rejoint sa famille respective.

S : Alors quelle était la formule de financement retenue pour le FESPACO, puisqu’à un moment donné, la possibilité d’un financement par l’Union africaine était évoquée ?
M.A.S : A quelque chose malheur est bon. Je pense que la force d’un événement comme le FESPACO, c’est lorsqu’il est porté par ses premiers responsables, c’est-à-dire les autorités. Cela vous donne toutes les responsabilités possibles et toute la force d’imagination, de création, pour faire en sorte que votre festival puisse vraiment impacter d’abord la population locale, nationale et donner votre visibilité à l’extérieur. Dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, je pense que si l’Etat bukinabè ne supportait pas le FESPACO, ou si le FESPACO n’était pas un projet de l’Etat du Bukina, il n’existerait pas. En ce sens que, nombreux sont des festivals qui ont essayé de faire comme le FESPACO, des initiatives privées qui ont essayé de créer des événements comme le FESPACO, ils ne sont jamais arrivés. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas un partenaire fort, un premier responsable comme l’Etat qui l’accompagne. Ce n’est pas pour faire l’histoire du festival aujourd’hui. Mais quand vous prenez le festival de Berlin, un festival de catégorie A, porté par l’Etat allemand, le directeur est choisi par l’Etat. Le festival de Cannes, c’est un festival porté par l’Etat français. Donc, pourquoi imaginer autre chose à partir du moment qu’il y a des expériences qui marchent ? Je pense qu’on peut toujours éssayer de copier le FESPACO, mais, on ne va jamais l’égaler. J’insiste.

S : Quelles ont été les difficultés rencontrées dans l’organisation de cette fête du cinéma africain ?
M.A.S : D’abord, c’était les questions financières. Mais rapidement, l’Etat a pris ses responsabilités ; ce qui nous a rassurés dans le processus d’organisation. Et secondairement, c’était le fait d’arriver à ramener tous les invités qui étaient au-delà de 300 personnes. Et l’autre point que nous avons eu comme difficulté au début, qui a été rapidement remédié par notre ministre, c’était la question des visas qui étaient des soumissions en ligne. Et vous savez, les soumissions en ligne, lorsqu’il y en a plusieurs à la fois, le traitement n’est pas toujours évident. Il y a eu un bug, mais rapidement, cela a été remédié. Aujourd’hui, aucun invité ne peut dire officiellement qu’il a été invité par le FESPACO et son visa a été refusé.
L’autre difficulté que nous avons eue, c’est surtout comment arriver à programmer les 235 films. Il faut le reconnaître. 235 films revient à dire qu’il y avait 600 projections. Et 600 projections dans la ville de Ouagadougou, où nous n’avons pas assez de salles de cinéma, ce n’était pas évident. Donc, il fallait imaginer, créer des espaces, envahir d’autres lieux qui pourront se transformer en salles de cinéma. C’est ce que nous avons fait à l’ancien Conseil économique et social (CES) qui était devenu un pôle de projections, un espace de projection et de rencontre. Nous avons aussi créé des espaces en plein air avec du matériel que nous avons acquis. Ce qui s’est très bien passé. Et je crois fort bien que si nous voulons continuer dans cette dynamique, à être le champion du cinéma dans le monde, je ne dirais pas le plus grand festival, mais le champion parce que je peux dire, sans arrogance, au regard de ce que nous avons fait, même des grands festivals dans le monde entier n’arrivent pas à projeter 600 films en moins de 10 jours. Il faut qu’on crée des espaces qui pourront accueillir des événements comme le FESPACO pour qu’on puisse vraiment continuer dans cette dynamique.

S : Particulièrement, quels sont vos points de satisfaction dans l’organisation de cette édition ?
M.A.S : J’étais personnellement ébloui de voir à la cérémonie d’ouverture deux présidents de la République. Je pense que c’est la première fois que cela arrive. Nous avons reçu le président du Faso et le président du Tchad. Et encore à la clôture, nous avons reçu notre président. Personnellement, j’étais flatté. A chaque grande cérémonie, le président est présent. Cela montre aussi sa volonté de continuer à faire en sorte que le FESPACO demeure l’un des grands festivals au monde. L’engouement populaire et professionnel, nous a beaucoup éblouis. Et secondairement, c’était la prise en main du festival par la population de Ouagadougou. Je suis un fils du FESPACO. Je suis né trouver le FESPACO. Je n’ai jamais vu autant une population sortir nombreuse, même dans d’autres pays où j’ai eu la chance d’être ou de travailler et de voir d’autres festivals, aussi bien dans les salles de cinéma et dans les cérémonies et dans d’autres espaces de distraction. Je dis merci à la population de Ouagadougou, à la population burkinabè, de faire du festival leur événement.

S : Parlant des salles de cinéma, certaines ont réfusé du monde. Aviez-vous été surpris par l’engouement ?
M.A.S : Non. Pas du tout. C’était notre force de programmation. Lorsqu’on connaît son public, qu’on sait ce que la population veut et qu’on veut donner un caractère nouveau à son événement, avec toutes les études, les démarches que nous avons faites, nous avions confiance. Conscients de la volonté du peuple burkinabè, la population de Ouagadougou, qui aime le cinéma, nous avons trouvé de très bons films et réussi à les programmer. L’innovation de l’achat des tickets en ligne que nous avons introduite a permis à la population de prendre d’assaut les salles de cinéma. Je crois qu’aujourd’hui, nous pouvons nous enorgueillir et dire que Ouagadougou est la capitale du cinéma africain. Parce que j’ai eu la chance, d’être dans d’autres festivals. Voir des familles sortir, aller manger dans des restaurants, et après aller dans les salles de cinéma voir des films, ce n’est pas évident.

S : Certains cinéphiles ont reproché au comité d’organisation d’avoir vendu plus de tickets que de places disponibles. Comment cela est-il arrivé ?
M.A.S : Nous avons été victimes de notre succès. Je vois beaucoup plus le positif. C’était juste à une seule projection au Ciné Burkina qu’il y a eu cette situation. C’était à la première du film Katanga. Il y a eu juste un problème de management dans la salle du Ciné Burkina. Il y a eu des autorités qui sont arrivées, donc ceux qui étaient chargés de la gestion de la salle ont laissé rentrer d’autres personnes qui ne devraient pas y être. Du coup cela a bloqué ceux qui étaient à l’extérieur, et rapidement le comité national d’organisation a pris ses responsabilités. Nous avons essayé de corriger à la prochaine projection au Ciné Nerwaya. Ce jour-là, tout le monde a pu entrer dans la salle. J’y étais personnellement. Nous avons tout vérifié et les choses se sont bien passées. Nous sommes désolés pour cela. Avec les mesures que nous avons prises cette année, ce n’est pas plus de tickets vendus. C’est un problème de management et nous portons les responsabilités.

S : Avec du recul, cette situation nécessite-t-elle la construction de nouvelles salles de ciné ?
M.A.S : Le cinéma a toujours été une question de son et de lumière. C’est-à-dire qu’avec les différentes manières de projeter des films, on peut toujours exploiter de nouveaux espaces pour faire des projections. Non seulement dans la nouvelle dynamique culturelle portée par notre ministère, mais même dans la dynamique générale de toute la gouvernance politique culturelle de notre pays, il est important de revoir la question de salles. Nous avons des grands événements, pas seulement le cinéma, que ce soit la musique et autres qui nécessitent de créer d’autres espaces de projection de films, d’espaces culturels. Mais aujourd’hui, nous sommes conscients que tout est urgent dans le pays. Le gouvernement se donne beaucoup de moyens pour résoudre les problèmes, mais je suis conscient qu’on pourra y arriver lorsque les choses vont revenir dans l’ordre. Ce n’est pas seulement à l’Etat de créer des espaces de distraction, de diffusion d’événements. Ce sont aussi les hommes d’affaires qui créent les espaces. Les salles de cinéma sont aussi rentables qu’un maquis ou un restaurant. C’est à eux d’investir dans ces espaces afin que cela puisse profiter aux acteurs culturels et à d’autres personnes. Des salles polyvalentes pourraient être créées par des hommes d’affaires. On ne peut pas toujours attendre l’Etat à ce niveau. Et si on regarde aujourd’hui dans les pays où le cinéma est dynamique, ce sont des investisseurs privés qui ont créé ces espaces, pas seulement pour le cinéma, mais pour aussi les espaces culturels bien sûr, avec toutes les commodités techniques. Et j’invite les hommes d’affaires à s’y lancer.

S : Où en êtes-vous avec l’histoire des génies et la salle de projection au sein du FESPACO qui peine à s’achever ?
M.A.S : S’il y avait véritablement des génies au FESPACO, nous n’allions pas arriver à toutes les félicitations que j’ai reçues de votre part, au regard de la qualité de l’organisation ou les objectifs que nous avons atteints cette année. Non ! Ce sont des très bons génies (rires …). La preuve en est que cette année, dans cette salle d’ailleurs, nous avons fait une dizaine de projections. Je suis un croyant. Nous avons, avec les mânes, les traditionnalistes, reçus des bénédictions de nos ancêtres, du Moghoo Naaba, des religieux, avant le FESPACO. Vous avez vu l’engouement populaire qui s’est passé dans le quartier général du FESPACO. Nous avons réfectionné la salle à l’intérieur, agrandi l’écran. Nous avons même mis des fauteuils. Il y avait des projections de très belles qualités. Avant le FESPACO, nous avons eu le festival du cinéma chinois, américain, un festival de court-métrage d’Irène Tassambedo. Nous avons eu d’autres événements qui se sont passés très bien.

S : Le Burkina Faso a enfin eu « son » Etalon d’or avec « Katanga, ou la danse des scorpions » de Dani Kouyaté. Quels sont vos impressions ?
M.A.S : Personnellement, je n’étais pas surpris. J’ai dit en 2023 dans les colonnes de Sidwaya que si nous voulons l’Etalon d’or, il faut qu’on se retrousse les manches. L’Etalon d’or ne viendra pas du néant. La preuve est que l’Etalon d’or vient d’un réalisateur déjà expérimenté. J’ai eu la chance de connaître le projet avant le FESPACO, la qualité artistique, créative de fabrication de films de Dani Kouyaté et personnellement, je ne suis pas surpris. C’est un créateur qui s’est donné beaucoup de temps pour faire le film. Il ne s’est pas fait en un, deux ans. C’est un projet qu’il porte depuis 4 à 6 ans. Voir un réalisateur africain, disons même bukinabè, essayer de mettre en image une histoire occidentale avec des Africains, des acteurs 100% locaux, en une langue nationale, cela demande de la prouesse, de la qualité de créativité et d’imagination. Lorsque j’ai vu le résultat final, personnellement, je n’étais pas surpris. Je suis fier, d’abord en tant que Bukinabè, en ce sens qu’après 29 ans, nous avons remporté le 3e Etalon d’or de Yennenga. Cela montre en quoi la dynamique qui est lancée aussi à travers les autorités, contrairement à ce que les gens ne voient pas, existe. Il y a deux ans, nous étions à une marche de l’Etalon d’or avec Appoline Traoré. Cette année, nous sommes sur la marche. C’est la dynamique qui est lancée depuis un certain moment, où l’État burkinabè donne de l’argent à quelques mois ou à quelques années, aux réalisateurs pour faire des films. Rares sont les pays africains de la sous-région et encore des pays francophones, qui investissent autant d’argent pour les réalisateurs avant le FESPACO. Lorsqu’on regarde dans les pays qui ont moins de soucis politiques, pour ne pas dire sécuritaires, ils n’ont pas réussi cela. Nous avons donné 500 millions F CFA cette année. L’année d’avant, c’était 1 milliard F CFA, et l’année d’avant c’était 1,5 milliard F CFA. C’est quand même énorme pour un pays comme le nôtre qui traverse toutes ces difficultés, et nous sommes arrivés sur le podium. Personnellement, je me pose la question, comment arriver à garder cette dynamique ? Le fait d’arriver au sommet, c’est beau. C’est comment maintenir la dynamique qui va être très très difficile. Je pense que c’est là qu’il y a la responsabilité, au niveau de notre ministere, de la politique, des acteurs. Parce qu’il faut rester et faire de telle sorte que ce succès puisse pousser impacter positivement sur l´industrie cinématographique de notre pays. Lorsqu’on dit qu’aujourd’hui que les salles de cinéma sont pleines avec le film Katanga, ce n’est pas assez. Il faut qu’on aille maintenant à la rencontre du monde entier. Parce que le cinéma burkinabè lorsqu’il va sortir de son carcan national, pour ne pas dire local, pour aller à la rencontre du monde, c’est là que la culture bukinabè, la culture cinématographique va s’imposer à l’extérieur. C’est ce qui a poussé probablement les autorités à créer l’Agence bukinabè du cinéma et de l’audiovisuel.

S : Comme par coïncidence, ce film est le 3e tourné en langue nationale qui remporte l’Etalon d’or. Quelle doit être la place des langues nationales dans les productions cinématographiques burkinabè voire africaines ?
M.A.S : Cela montre le caractère d’originalité de nos créateurs. La force d’un cinéma, c’est du moment où le comédien, le réalisateur épouse ses forces, ses connaissances endogènes. Si, les Allemands font des films dans la langue nationale, les Français, les Chinois, pourquoi voulons-nous aller épouser autre chose dans laquelle, nous ne sommes pas, ou nous ne sommes pas à l’aise ? Aujourd’hui, Dani Kouyaté est parti avec la langue nationale que tous les comdiens bukinabè maîtrisaient. Cela a facilité certainement la réaction des autres comédiens. C’est important aujourd’hui de se poser sur ces connaissances endogènes, locales, pour faire de telle sorte qu’à partir du local, on puisse avoir le global, pour ne pas dire la généralité. Aujourd’hui, combien de gens partent dans les cinémas pour voir des films en hindou ? Ils ne le font pas en Morée ou en Bambara, ou en Goulmancema. Pourquoi, c’est nous qui devons épouser ces langues et pas les autres qui épousent nos langues ? Je pense que c’est simple. Allons-y d’abord du local pour être dans le global. Et n’oubliez pas que le scénario a été écrit en français. Je me pose la question, comment le réalisateur a réussi à partir du français en morée ? C’est souvent cette subtilité qu’il faut voir. Et cela aussi est dû à la qualité des comédiens. On sent qu’ils ont pris en compte vraiment le scénario, le projet à cœur, et ils se sont beaucoup donnés pour faire ressortir cela. Il y a la direction d’acteurs, la qualité des comédiens et de l’imagination du réalisateur qui ont aussi joué. C’est un projet qui a bénéficié de très peu d’argent pour la qualité de ce film. Et j’espère bien que nombreux sont les réalisateurs, les producteurs, qui vont s’imprégner de cette expérience pour faire en sorte qu’on ait des productions encore plus fortes. Je crois fort que si Dani Kouyaté avait reçu beaucoup plus de soutiens, la qualité sera encore plus forte que cela.

S : Si la qualité des films burkinabè est reconnue par le jury international pour la compétition avec à la clé de nombreux films sélectionnés, à côté certains réalisateurs burkinabè expriment leurs mécontentements de ne pas être sélectionnés au FESPACO malgré la quantité de leurs productions. Que répondez-vous à cela ?
M.A.S : Nous n’organisons pas le FESPACO que pour les films burkinabè. Cela n’est pas encore arrivé dans l’histoire du FESPACO. Je croise les doigts pour que cela n’arrive pas. Il peut arriver un FESPACO qu’on n’ait pas de film bukinabè. Si c’est un festival pour le film bukinabè, il va falloir qu’on enlève la mention panafricaine et aussi l’intégrité. Nous organisons le FESPACO pour le continent africain, parce que nous avons accepté d’accomplir cette mission d’organiser ce festival tous les deux ans. Mais si nous avons cette chance qu’il y ait des films bukinabè qui arrivent aussi dans la selection, tant mieux. La preuve est que depuis 29 ans, nous courons derrière l’Etalon d’or de Yennenga et nous sommes arrivés à l’avoir cette année. Si, à chaque édition, c’est le film du même pays qui remporte les prix ou les grands prix, cela amènerait le FESPACO à perdre sa valeur, tout l’engouement, tout le respect, le label FESPACO de qualité, de la force d’imagination, de création de professionnalisme que nous avons. Ce qui fait que même malgré les difficultés que nous traversons, nombreux sont ceux qui quittent au Sultanat d’Oman, aux Etats-Unis, au Brésil, en Afrique du Sud pour venir au FESPACO. C’est parce qu’ils reconnaissent la qualité de la programmation, des membres de jury, des belles activités et de l´organisation. Le FESPACO devrait être un tremplin pour les réalisateurs africains de se faire connaître. La preuve est que nous avons créé la section Burkina films. Nous n’avons pas créé un festival de cinéma bukinabè à côté du FESPACO ou en marge du FESPACO. Nous l’avons intégré dans le programme général, pour ne pas dire dans la sélection officielle, afin que les gens qui viennent du monde entier puissent voir les films bukinabè pour le reprogrammer dans leur festival, parce que nous savons qu’il y a des milliers de personnes qui viendront du monde entier pour voir le FESPACO. Nous ne voulons pas que ce soit juste les spectateurs bukinabè qui voient nos films. Quelle est la plus-value à ce niveau ? Depuis 2021, nous avons créé la section Burkina. Les films burkinabè qui ne sont pas dans la sélection arrivent à y participer. Pour ceux qui se plaignent, c’est tout à fait légitime parce qu’à un certain moment, lorsqu’on se donne des moyens, de la force de créer et qu’on n’a pas été sélectionné, nous sommes frustrés. Je pense que cette frustration, c’est le fait que ces personnes ne voient pas les autres films. En tant qu’artiste, si je ne suis pas sélectionné dans un festival, je me poserai la question de savoir, pourquoi on ne m’a pas selectionné ? Il faut avoir aussi la sagesse artistique, d’aller voir les autres films. Nous refusons d’aller voir les films des autres. Un créateur devrait être à mesure d’aller voir les autres films, pour se remettre en cause, apprendre de l’autre, voir comment il a tourné; en somme, voir comment il a réussi à faire de telle sorte que son film soit sélectionné au festival, et moi pas. On ne pourra jamais apprendre et avancer si on ne regarde pas le travail des autres. Le cinéma, c’est vrai, il est technique et financier, mais en même temps, il est créatif. On ne pourra jamais être créatif à partir du moment où on refuse d’aller à la rencontre des autres créations.

S : Ces plaignants le font à travers des campagnes médiatiques. Cela ne ternit-il pas l’image du FESPACO ?
M.A.S : Pas du tout ! Nous n’organisons pas le FESPACO pour un réalisateur. Et dans ma démarche aussi, je n’irai pas rencontrer les réalisateurs individuellement. Nous avons des séances de rencontres entre réalisateurs, producteurs, et si je devrais le faire, il va falloir que l’État, pour ne pas dire mon ministère, me donne les moyens de faire le tour du continent africain, pour rencontrer tous les réalisateurs. Notre travail, c’est d´aller sur d´autres festivals de films, de recevoir des films, de mettre en place un comité international de sélection de films, où des hommes et des femmes qui regardent au minimum 2 à 3 000 films par an, vont les visionner pour les sélectionner et les projeter. Ces plaignants sont-ils allé voir les autres films burkinabè, sud-africains, nigériens … ? C’est cette sagesse artistique que je demande à tous les créateurs, à tous les professionnels. Aujourd’hui, un réalisateur professionnel qui connaît son métier, qui aime le cinéma, devrait pendant le FESPACO, s’il n’a pas un film en competition, se dire que cette année, je n’ai pas été sélectionné, mais c’est une occasion pour moi de voir le maximum de films, de rencontrer des producteurs, des comédiens, etc.. Et après le FESPACO, il va essayer, dans sa stratégie de création, de se faire une idée du cinéma, de trouver sa démarche artistique pour rebondir afin d’être à la prochaine d’édition du FESPACO. Je pense que c’est ainsi qu’on crée.

S : Au fil des éditions, l’engouement des acteurs du 7e art ne faiblit pas à travers leur participation au FESPACO. Quelles peuvent être les raisons ?
M.A.S : Personnellement, je ne sais pas. Je vais peut-être poser la question à un citoyen lambda, à vous, journaliste, critique, observateur, qui devrait le savoir. Je viens d’un pays où j’ai eu la chance de vivre la passion du cinéma. J’ai beaucoup vécu à l’extérieur. J’ai connu beaucoup de festivals. J’ai travaillé dans beaucoup de festivals. J’ai cette passion du cinéma. J’ai cet amour de bien organiser les choses et d’accomplir fièrement aussi la mission qu’on me confie. Quand je suis arrivé au FESPACO, je sais que je n’étais pas l’enfant prodige. Je le reconnais. Tous les qualificatifs, certainement vous l’avez appris vous aussi, ont été lancés contre moi. Parce que je serais un étranger ou je ne connais pas la scène cinématographique du Burkina, ou encore je veux vendre le FESPACO à l’étranger. A partir du moment que je recevais ces qualificatifs, je les prenais comme un défi. A partir du moment que je sais que je suis de père et de mère eux-mêmes né burkinabè, et j’ai eu cette chance d’avoir étudié d’abord au Bukina, à l’étranger, d’avoir ces connaissances et que les premiers responsables du pays m’ont demandé de venir prendre la direction du FESPACO, je me suis dit, voici une occasion pour moi, bien que j’aie longtemps hésité, de servir mon pays. Je savais que toutes les actions que je menerais en Europe auraient moins d’impacts que dans mon pays. Mon pays a plus besoin de moi que ce que je fais à l’extérieur. C’est normal. Je gagnais ma vie. J’avais ma famille. J’étais dans de très bonnes conditions pour travailler. Mais je pense qu’à un moment de l’histoire de tout un chacun, lorsque ton pays a besoin de toi, il va falloir que tu répondes. Nous sommes comme des soldats pour notre pays. Tout citoyen est un soldat pour son pays. Et c’est ce qui m’a motivé à venir en me lançant personnellement le challenge de faire du FESPACO un festival de son temps. J’ai réussi à constituer autour de moi des hommes et des femmes qui avaient la même volonté que moi. J’avais cette vision de faire du FESPACO, l’événement incontournable dans le monde entier. Justement, j’ai été entendu par les autorités qui m’ont accompagné. Si on a une vision et vos autorités ne vous comprennent pas, en tant que technicien, vous n’atteindrez pas les objectifs. Aujourd’hui, si nous sommes respectés, si les gens sont contents du FESPACO, ce n’est pas pour moi. C’est pour le peuple. Et surtout, dans ces moments-ci, on a besoin d’un label, d’un projet qui fait la fierté du burkinabè aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui attaquent le Burkina Faso. Nombreux sont ceux qui détestent le Burkina Faso. Mais aujourd’hui, ces personnes sont fiers de dire que le Burkina Faso est debout. Et ceux qui sont venus du monde entier, qui ont vu ce qui s’est passé, seront nos ambassadeurs à l’extérieur de notre pays. C’est eux qui remettent en cause ce que les gens disent du pays. Et c’est cela ma mission en tant que soldat de ce pays. Je pense que peut-être c’est cela aussi qui emporte les choses. Mais il faut reconnaître qu’il y a des hommes et des femmes qui nous suivent. Le comité national d’organisation, la délégation générale du FESPACO, et en tête, nos patrons, pour ne pas dire, nos autorités qui nous amènent de l’avant. Je pense que ce n’est pas seulement au FESPACO, mais dans tous les services, dans toutes les missions que nous avons, c’est ce que nous devrons faire. J’aurais pu essayer de rester dans mon espace doré quelque part, dans les responsabilités que j’aurais pu avoir ailleurs, mais qu’est-ce que j’aurais pu donner à mon pays ? C’est ce que nous sommes en train de mener tous ensemble. Et c’est important. Je profite de votre micro pour dire à la diaspora qu´il est temps de revenir. C’est comme cela que nous allons bâtir ensemble notre pays.

S : De nos jours, quel regard portez-vous sur les productions cinématographiques avec surtout le nombre record de films en compétition à cette édition du FESPACO ?
M.A.S : Le FESPACO a reçu un nombre record de films. Mais il faut souligner que les inscriptions étaient payantes cette année. Pour la première fois dans l’histoire du FESPACO, il fallait faire payer pour s’inscrire. Nous contribuons tous à l’effort de guerre. Comment un réalisateur ne peut pas contribuer au minimum 30 000 F CFA pour l’inscription de son film et pourquoi pas recevoir plus tard des prix à hauteur de 20 millions F CFA. Dani Kouyaté a inscrit son film à 30 000 F CFA et il a eu 20 millions F CFA, hormis les prix spéciaux. Nous avons néanmoins réussi et cela montre en quoi le label FESPACO est toujours fort. Parce que ce n’est pas que les Burkinabè. A l’extérieur aussi, les realisateurs qui se sont inscrits ont payé. La qualité de la production était énorme. Le comité national d’organisation a eu du mal à sélectionner les films. C’était très difficile de pouvoir choisir les films. La preuve est qu’on a gardé les 235 films. Parce qu’on ne pouvait pas les mettre à côté. La concurrence était forte avec des films de très bonne qualité. Cela montre en quoi, contrairement à ce qu’on peut dire, le cinéma sur le continent africain marche. La production est là. La nouvelle génération n’attend pas d’avoir des milliards F CFA, de grosses sommes, de gros financements pour faire des films. Et les sources de financements sont variées. Le cinéma aujourd’hui, il ne faut pas attendre que le financement de son pays. Il faut aller chercher aussi les moyens ailleurs. Il faut avoir des stratégies de production, des productions visionnaires, des productions qui créent des coproductions entre d’autres pays et se mettre ensemble en collectif. C’est ce que beaucoup de jeunes ont compris et qui se sont mis en place. La preuve est qu’on a reçu de très bons films. Même au Burkina, contrairement à ce que l’on dit, nous avons reçu 80 de films et nous avons sélectionné 50%. Dans la sous-région, nous avons les statistiques, rares sont les pays qui ont autant de films. Dans un pays encore en guerre. Imaginez-vous si on n’était pas en guerre, combien de films nous allions recevoir ? A cela s’ajoutent les lieux de tournage et l’impact de cette création au niveau de l’économie du Burkina est énorme. Quelques films sont en train de sortir. Pour me résumer, il y a eu de très beaux films. Nous étions même surpris. Nous nous disions comment le jury allait se départir de tout cela ? Mais ils y sont arrivés.

S : Le 29e FESPACO s’est tenu sous le thème : « Cinéma d’Afrique et identités culturelles ». Dans notre contexte actuel, quel doit être la place du cinéma dans la quête de notre souveraineté ?
M.A.S : D’abord, le thème est déjà une contribution du cinéma dans cette dynamique. Dans la situation dans laquelle nous sommes, les questions d’identité culturelle, de souveraineté, de retour aux sources, la prise de conscience de nos valeurs, c’est tout cela. Le cinéma africain a toujours été dans cette dynamique. Lorsqu’on prend les grandes créations de Gaston Kaboré, de Idrissa Ouédraogo, Souleymane Cissé, le cinéma africain a toujours été en apanage direct avec les valeurs africaines. Tous les grands films africains étaient aussi toujours en rapport avec ces identités culturelles. Si on arrive vraiment à centrer sur ces identités, le cinéma aujourd’hui, qui est l’un des meilleurs moyens de communication à l’extérieur, peut toujours impacter, montrer nos valeurs ailleurs. Lorsqu’on prend le cas du film Katanga qui est un exemple probant, aujourd’hui, si vous le trouvez au festival de Shanghai, des Chinois verront ce film, entendront la langue morée, l’habillement, l’accoutrement, ce sont nos valeurs qui se transportent. Je crois que les Bukinabè qui sont en Chine ne sont pas nombreux, mais voir nos valeurs s’imposer dans une population chinoise va être formidable. Aujourd’hui, voir ceux qui ne nous aiment pas, dans une salle quelque part en Occident, en train de regarder un film qui parle en Mooré, ils vont remettre en cause même leur opinion vers le Bukina. Je pense que le cinéma est le meilleur vecteur. Et le FESPACO a contribué à ce niveau avec un colloque. Nous avons reçu de nombreux communicateurs, de communicatrices venues du monde entier. Nous espérons bien que d’ici deux éditions, nous allons éditer un livre pour toutes ces communications, afin de permettre à vous, les journalistes, les chercheurs, les étudiants, de pouvoir lire. Nous avons déjà fait pour les deux éditions passées. C’est comme cela qu’on peut contribuer. Je suis très fier aussi que c’est un film qui répond à cette thématique qui a été récompensé comme Etalon d’or.

S : Les trois pays de l’AES sont dans une dynamique de confédération. Est-ce qu’au niveau du cinéma, il y a des projets dans ce sens ?
M.A.S : Il y a beaucoup de projets et les acteurs s’y mettent. Au niveau du FESPACO, avec notre ministère, un accord de collaboration et de coproduction a été signé entre les pays du Sahel durant le FESPACO. Je pense que d’ici là, les choses vont se mettre en place d’une manière très pratique. Avant même le FESPACO, les acteurs du cinéma ont été au Mali, au Niger et bien sûr au Burkina. On a eu un stand AES aussi au niveau du Marché international du cinéma africain (MICA). Maintenant, il va falloir donner du contenu aux différents projets, parce que pour moi, il ne suffit pas seulement de signer des conventions ou d’avoir des stands. Il faut qu’on injecte des projets réels, concrets pour que les trois pays puissent vraiment travailler mutuellement pour le cinéma. Même avant l’avènement de l’AES, il y a déjà eu des collaborations artistiques entre le Mali et le Burkina, le Mali et le Niger, le Niger et le Burkina. Il y a même des acteurs nigériens qui vivent au Burkina, au Mali et vice-versa. On vient de rentrer d’une mission du Mali pour le 40e jour du décès de Souleymane Sissé. Nos deux ministres se sont parlé et ont parlé aussi de cette collaboration artistique, cinématographique qui devrait se faire dans les jours à venir. Je pense que la mise en place de l’Agence va dynamiser tout cela.

S : Le FESPACO, l’Institut supérieur de l’image et du son (ISIS), le Secrétariat technique du Centre national de la cinématographie et de l’audiovisuel (CNCA) et la Direction de la cinématographie et de l’audiovisuel ont été fusionné pour donner l’Agence burkinabè de la cinématographie et de l’audiovisuel. Comment appréciez-vous cette décision ?
M.A.S : Avant d’être nommé, j’étais l’un des fervents défenseurs de cette agence. Nous sommes dans une dynamique de rationalisation des ressources afin de redonner du contenu aux projets, pas seulement culturel ou artistique, mais à tout ce qui est économique, qui impacte la population et autres. Je pense que l’Agence répond à cette dynamique qui comprend aussi la création de Faso Mèbo, la fusion de l’Ecole des douanes et l’ENAREF, celle de la SNC et de la maison de la Culture, entre autres. Il y a une vision des autorités à laquelle nous, en tant que soldats, pour ne pas dire techniciens, allons donner du contenu et une bonne gestion de la chose pour impacter. Je tiens à souligner que le Burkina a toujours été à l’avant-garde de ce genre de projet. Personnellement, j’ai reçu beaucoup d’appels, de messages, même avant que je ne sois nommé à la tête de cette agence, de félicitations de notre vision pour le cinéma pour avoir créé l’agence. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, nous ne sommes pas les premiers à le faire, peut-être les premiers sur le continent africain, mais elle dans plusieurs pays européens comme, l’Allemagne et la Suisse, en Arabie Saoudite avec le Doha Film Institut

S : Vous avez été nommé Directeur général de cette agence. Quels sont vos chantiers prioritaires ?
M.A.S : Il faut surtout attendre de voir la mise en place de cette agence et la vision que les autorités donnent. Pour ma part, cela va permettre de réunir toutes les intelligences de ces différentes structures, de mettre en commun tous les acteurs, et d’avoir une vision unique pour accompagner notre cinéma, afin qu’il puisse impacter artistiquement socialement, financièrement sur les acteurs. A partir du moment où une structure existe, et que les premiers animateurs de cette structure ne sentent pas l’impact direct sur leur vie sociale et économique, cela n’a pas de sens. Je demande donc aux acteurs du cinéma burkinabè, aux professionnels, de prendre à bras le corps ce projet, cette vision de nos autorités, pour qu’ensemble, nous puissions arriver positivement à impacter notre industrie du cinéma, et une fois de plus d’être les champions, les avant-gardistes de tout ce qui est création, imagination, du secteur cinéma et audiovisuel.

S : La création de cette agence permettra-t-elle de résoudre l’épineuse question du financement du cinéma et de l’audiovisuel ?
M.A.S : Concrètement, je n’ai pas encore pris fonction. Je n’ai pas encore reçu de lettres de mission. Après les premières discussions que j’ai eues avec mon ministre, j’en ai bonne foi. Le projet qui est en train de se concocter vous sera présenté. Comme vous êtes nos partenaires de tous les jours, vous serez les premiers à être informés. Le projet est en train de se faire et toutes les activités, les dimensions, la vision globale de cette agence seront mises à votre disposition et à la disposition des professionnels. Il faut juste qu’on se donne le moyen de faire un très beau projet, avec l’appui de tous les acteurs. Mais je suis certain que cela, contrairement à ce que pensent beaucoup, ne va impacter négativement ni sur le FESPACO, ni sur l’ISIS, ni sur le CNCA, ni sur la direction du cinéma.

S : Peut-on au moins avoir quelques bribes du projet ?
M.A.S : Oui. Mais vous avez parlé du financement. Je pense que dans cette agence, un fonds de cinéma est prévu. Le pays traverse des moments très difficiles de son histoire, et l’Etat bukinabè, nos autorités encore, essaient d’anticiper. Le FESPACO 2025 est déjà passé et FESPACO 2027 est pour bientôt. Si le fonds a été créé, il peut déjà donner des ressources, du contenu, pour que les acteurs du cinéma, les professionnels, puissent travailler pour se maintenir au niveau de l’Etalon d’or.
Ensuite, on va revoir la politique du financement de notre cinéma. J’ai parlé d’industrie. Nous avons une très belle réflexion avec nos autorités, la délégation générale du FESPACO et l’agence pour voir quels sont les différentes procédures de financement que nous devrons mettre en place afin d’en faire bénéficier aux acteurs et à l’industrie du cinéma, parce que c’est important à ce niveau. Aussi, au niveau de l’ISIS, c’est de redonner toutes les lettres de noblesse à notre école du cinéma, en permettant aux étudiants d’avoir une formation théorique et pratique et en phase avec leur monde, leur génération d’aujourd’hui. Cela permettra à notre politique du cinéma de s’imposer, de donner beaucoup plus de facilités aux réalisateurs, aux producteurs et surtout d’être en phase de leur temps. Parce que c’est important et d’aller à la rencontre du monde. Il est toujours beau de créer, d’avoir du contenu pour nos populations. Mais il est important sur le plan économique que tout ce que nous créons puisse s’imposer à l’extérieur. C’est ça qui fait la force de nos créations et nous donne de l’espoir et de ressources pour aller plus loin. L’agence va prendre tout cela en compte, pas forcément pour être le champion du cinéma, la capitale du cinéma, mais pour faire du cinéma burkinabè un moyen de communication, d’abord local, national, et aussi à l’extérieur. Parce que c’est notre seul pouvoir aujourd’hui de parler au monde, à ceux qui comprennent autrement, est d’envahir les autres écrans. Aujourd’hui, les plus forts sont ceux qui disposent des moyens de communication. Les plus forts sont ceux qui ont du contenu et parlent avec les moyens de communication efficaces et efficients. C’est ce que nous voulons donner à notre cinéma à travers la création de l’Agence burkinabè du cinéma et de l’audiovisuel.

S : Cette fusion va-t-elle changer quelque chose dans le format actuel du FESPACO ?
M.A.S : Non, pas du tout. Il n’y aura pas de changement du format du FESPACO. Cela va beaucoup plus dynamiser le FESPACO, parce qu’on sera tous embarqués dans le même navire et dans la même vision. Que ce soit l’école du cinéma, le CNCA, la direction du cinéma, le FESPACO, tous les acteurs seront mis dans cette mouvance de travail, et à chaque fois, le projet sera réfléchi, conçu ensemble avec tous ses départements pour aller de l’avant. Je pense que la première vision de l’Etat, il était d’être à l’écoute des acteurs, des professionnels du cinéma. C’est à nous de donner du contenu pour impacter l’industrie du cinéma.
Personnellement, je suis confiant.

S : Que proposez-vous pour que le cinéma burkinabè continue de rayonner sur le continent et dans le monde ?
M.A.S : C’est ce que l’Etat a fait en créant l’agence. Nous sommes déjà dans une très bonne dynamique. La dynamique n’est pas venue seulement du couronnement de Katanga, mais c’est beaucoup plus dans les deux ou trois dernières années. Il ne faut pas balayer ce qui est passé. Il y a eu tout un travail qui a été fait auparavant. Et justement, pour pouvoir maintenir cette dynamique, avec la création de l’agence, il faut donner beaucoup plus de ressources, qui ne seront pas forcément suffisantes, aux producteurs et aux réalisateurs afin de pouvoir continuer à créer. La création, aujourd’hui, ne se fait pas par rapport à un projet, un objectif qui est très proche. Le FESPACO 2027, c’est déjà très proche. Je parle des FESPACO 2029 et 2031. A partir du moment où on aura un projet à long terme, avec une structure bien managée, des ressources et une politique qui tient compte de tout ce qu’on a comme projet, on maîtrisera la dynamique. Cela ne veut pas dire qu’au FESPACO 2027, les Bukinabè ne peuvent pas remporter l’Etalon d’or de Yennenga. Mais aujourd’hui, l’objectif du cinéma bukinabè, ce n’est pas seulement de remporter l’Etalon d’or de Yennenga, mais aussi les festivals de Cannes, de Berlin, à Locarno. Le Burkina Faso peut être fier de dire qu’il a déjà remporté trois Etalon d’or de Yennenga. Les pays qui l´ont fait ne sont pas nombreux. Mais, on veut remporter le Festival de Cannes, la palme d’or, l’Ours d’or. Cette arrogance artistique peut nous pousser à aller plus loin, parce que là, la compétition est internationale. On a les ressources, on a les femmes, les hommes, les créateurs, les techniciens. Tout est possible.
Dans cette bonne dynamique, on va toujours avoir de beaux projets pour le FESPACO et dans d’autres festivals. Il faut que nos films arrivent à impacter la vie sociale aussi de ceux qui vivent au Burkina. J’ai toujours dit, le cinéma, c’est une industrie. Nous voulons vivre de notre cinéma. Il va falloir qu’on travaille de telle sorte que les choses changent.

S : Vous avez dit que le cinéma, c’est la création. N’aviez-vous pas peur de l’Intelligence artificielle qui commence à intégrer le cinéma ?
M.A.S : Non. On a toujours peur des nouvelles inventions. Je n’ai pas peur parce qu’en aucun cas, l’Intelligence artificielle ne pourrait remplacer l’intelligence humaine. C’est vrai, souvent cela fait douter, mais en même temps, ce qui est beau dans la création humaine est que tout ce qui se crée par l’intelligence humaine se distingue de l’Intelligence artificielle. On le voit dans les films, mais rapidement, les professionnels arrivent à détecter que ce n’est pas une création humaine. Elle peut contribuer à améliorer la création humaine, mais en aucun cas, elle ne va remplacer la création humaine. C’est aux acteurs aussi de voir comment utiliser l’intelligence artificielle à bon escient. Vous journalistes, il n’y a pas très longtemps, on a dit que votre travail allait disparaître. La preuve est que le journalisme existe toujours. L’humain va toujours au-delà de ce qui a été créé artificiellement. Même dans le cinéma proprement dit, la question de diffusion s’était posée à un moment. On avait dit que avec les plateformes, les salles de cinéma allaient disparaître. Avec les tablettes que nous avons, on ne va plus regarder des films à la télévision. Mais aujourd’hui, on diffuse toujours des films à la télévision et souvent en famille.

S : Le président du Jury officiel du FESPACO 2025, Souleymane Cissé, est décédé quelques jours avant le début de la biennale. Que représentait-il pour le cinéma ?
M.A.S : C’était le baobab. C’était le dernier grand baobab de notre cinéma, de notre histoire cinématographique, de celui qui nous a fait aujourd’hui. Parce que si nous sommes là aujourd’hui en train de parler du cinéma, c’est grâce à cette personne comme Souleymane Cissé. La preuve est que nous avons voulu l’avoir une fois de plus comme président de jury. C’est un créateur qui a beaucoup contribué à la reconnaissance d’abord de notre cinéma, après avoir remporté beaucoup de prix au festival de Cannes et dans d’autres festivals.
Il a formé de nombreux réalisateurs. Il a de nombreux sympathisants et a été à toutes les éditions du FESPACO. Sa particularité pour moi personnellement, c’est toujours d’être en phase avec les jeunes. Je le voyais au FESPACO 2023, lorsque nous avons fait la marche la Paix, c’est-à-dire de la place des Cinéastes jusqu’au siège du FESPACO, devant avec le vélo et qui rigolait avec les jeunes. C’était formidable. Lorsqu’on discute avec lui, il se donne toujours le temps d’échanger. Il faisait partie de ceux qui disaient, nous avons créé le FESPACO, mais aujourd’hui, c’est le FESPACO qui nous porte. C’est une grosse perte pour notre cinéma, pour notre génération. Il a donné tout ce qu’il pouvait au monde des créateurs, du cinéma et à notre fierté d’être créateur africain. J’étais personnellement très choqué lorsque j’ai appris son décès à 48 heures du FESPACO. Nous avons essayé à notre manière de lui rendre hommage durant le FESPACO. Nous avons décidé de ne pas le remplacer dans le jury parce qu’il ne sera jamais remplaçable. Des interlocuteurs ont continué à faire le travail. A 48 heures du FESPACO, le président du conseil d’administration du FESPACO, Dr Konaté, a été pour l’enterrement et pour les obsèques. Notre ministre et nous-mêmes, étions à Bamako pour le 40e jour. Le ministre a présenté ses condoléances à toute la famille. Je pense qu’il restera à jamais dans nos cœurs. Il va continuer à nous éclairer, à nous donner surtout la force de se battre et de créer. Malgré son âge avancé, il a continué à créer. C’est ce que je retiens beaucoup de lui. Il ne se lasse pas parce que la créativité, la création n’a pas d’âge. Il continue à s’adapter aux conditions de création actuelle. Je pense que nombreux sont les jeunes qui peuvent s’inspirer de lui pour continuer.

S : Quel mot avez-vous pour les autorités, le peuple burkinabè …
M.A.S : Une fois de plus, c’est de remercier vraiment les autorités burkinabè pour les efforts qu’elles ont fait pour l’organisation du FESPACO. Pas forcément de cette édition, mais tout le FESPACO. Je suis un acteur avisé des festivals dans le monde entier. Je sais comment il est très difficile de porter une mission comme le FESPACO. Surtout pour cette 29e édition qui était une édition de confirmation et de tous les défis. Nombreux étaient ceux qui attendaient l’échec de ce FESPACO. Je crois que nous avons, avec tout le soutien du gouvernement burkinabé, les partenaires techniques locaux ou internationaux, tous ceux qui ont cru au FESPACO, fait de cet événement l’une des plus belles réussites de notre FESPACO. Je pense qu’il est important de remercier la population burkinabè du fait qu’elle a compris la mission du FESPACO. Elle a compris la dynamique de nous approprier notre événement et de donner la possibilité à ceux qui sont de l’extérieur de venir communier avec nous parce qu’ils seront les porte-paroles de cet événement à l’extérieur. Avec les acteurs, je pense qu’il est temps de se mette tous ensemble, de voir la vision de nos autorités qui est lancée, de les accompagner, d’apporter nos connaissances et notre savoir-faire afin que notre cinéma, qui est beaucoup envié, puisse garder cette dynamique et aller au-delà de ce que nous apportons, pas seulement au Burkina, mais au monde entier.

Interview réalisée
par la Rédaction

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