Dimanche 11 août 2019, les fidèles musulmans du Burkina vont célébrer la Tabaski. A l’orée de cette fête du sacrifice, Sidwaya a rencontré l’un des imams du CERFI, Nouhoun Bakayogko. Dans cet entretien, il situe l’importance de la fête pour la communauté musulmane et sa portée spirituelle.
Sidwaya(S) : Que représente la fête de Tabaski pour le musulman ?
Nouhoun Bakayoko (N.B.) : La fête de Tabaski a un sens profond en Islam. C’est le centre de sacrifice par excellence. Dans l’histoire de la religion, du monothéisme, celui qu’on a communément appelé le père de monothéiste, Ibrahim ou Abraham selon les écritures, a reçu l’injonction de Dieu de sacrifier par amour, le fils aîné qu’il avait tant attendu pendant longtemps. Parce que sa femme Sarah avait atteint 99 ans et n’avait pas eu d’enfant. Avec l’ordre de Dieu, il va marier Adja, sa seconde épouse qui eut Ismaël comme fils. Il a été donné un ordre d’aller rester dans le désert de l’Arabie. C’est là-bas qu’il va recevoir la recommandation d’immoler cet unique fils. Mais, il ne va pas le faire par autoritarisme. Il va poser la problématique à son fils. Il va lui dire, si c’est l’ordre de Dieu, j’obéis. Donc deux sacrifices. Le papa sacrifie son unique fils et le fils sacrifie sa vie pour Dieu. Et c’est ce sens que nous redonnons à la fête du sacrifice appelé la Tabaski au cours de laquelle, les musulmans immolent également un animal en mémoire à Ibrahim qui voulait immoler son unique fils. Dieu n’a pas voulu qu’il fasse du mal à son fils, mais il voulait juste mettre à l’épreuve sa foi parce qu’en définitive, il lui a donné un bélier à la place du fils.
S : Comment les musulmans doivent fêter ce jour de réjouissance ?
N.B. : C’est certes une fête, mais c’est un moment de mémoire, de se souvenir du sens profond de ce sacrifice. Si quelqu’un à accepter d’obéir à Dieu pour sacrifier son fils unique qu’il a attendu pendant longtemps, quel sacrifice en tant que croyant, je suis prêt à faire pour Dieu. C’est ce qu’on doit avoir en mémoire lors de la fête. Il est recommandé de célébrer assez tôt cette prière contrairement à la prière du Ramadan pour permettre aux gens d’aller à l’immolation. Il est recommandé que tout le monde aille à la prière, c’est-à-dire hommes comme femmes, même celles qui sont indisposées puisque la prière doit se faire dans un espace vide sauf contrainte particulière. Elles ne viennent pas prier mais pour écouter le serment, communier avec l’ensemble de la communauté. Après l’immolation, il faut se congratuler du fait que Dieu nous a donné la possibilité d’atteindre ce moment et de le louer. Lorsqu’on va à la prière, l’élément qui est magnifié, c’est la glorification de Dieu. La commémoration consiste en la prière, l’immolation et aux salutations.
Ce n’est pas parce que c’est le jour de la fête qu’on doit s’autoriser ce qui est interdit. On doit bien manger et boire, mais pas ce qui est illicite (le porc, alcool…).
S : Quels types d’animaux peuvent-être sacrifiés ?
N.B. : Il nous revient que des revendeurs d’animaux font des traitements spéciaux sur les bêtes juste avant de les vendre. En islam, ce n’est pas autorisé. Selon les spécialistes du domaine, lorsqu’on fait ce genre de traitement, c’est après deux semaines qu’on doit pouvoir consommer cet animal. Lorsque vous le faites à moins de 72 heures pour donner une forme meilleure à votre animal pour pouvoir le présenter au marché, c’est contre- indiqué en islam. Parce qu’on ne doit pas cacher les défauts d’une marchandise et la vendre en l’islam. Si vous cachez les défauts de votre animal par un traitement spécifique, vous n’êtes pas en phase avec la norme. Le client, s’il le sait, il ne doit pas l’acheter. S’il ne le sait pas, vous l’avez trompé. L’animal doit être en bonne santé. Il ne doit pas être amputé de quelques parties. Deuxièmement, l’animal qui est recommandé, c’est un bélier qui a tout au moins 6 mois révolus, 1 an pour la chèvre et 2 ans pour le bœuf. Il ne doit pas être chétif, à la limite sa chair n’est pas consommable. Après le bélier, c’est le chameau et le bœuf et vous pouvez vous associer à 7 pour acheter un bœuf. Si c’est un bélier que voulez immoler à l’image du prophète qui disait : « j’immole un animal non seulement qui remplit ces deux conditions, qui n’est pas malade qui n’est amputé de rien au niveau physique, mais qui a trois caractéristiques, qui mange dans le noir, qui regarde dans le noir, qui marche dans le noir. C’est-à-dire, tout blanc, il a du noir autour de la bouche, du noir autour des yeux et du noir autour des pattes ».
S : Comment et qui doit immoler la bête?
N.B. : Premièrement, il faut bien traiter la bête. Il est vrai qu’on va l’immoler, mais, ce n’est pas pour autant qu’il faut le torturer. C’est pourquoi, le prophète de l’islam a dit clairement par rapport à cet acte : « Dieu aime qu’on soit parfait dans ce que l’on fait. Même s’il s’agit d’immoler ». Il faut respecter l’animal à immoler, faire en sorte qu’il ne voit même pas le couteau. Les anciens ont tellement compris cela que le matin de la fête, il lave bien le mouton. En réalité, il ne s’agit pas de le torturer, mais de l’offrir à Dieu. Lorsqu’on veut offrir à Dieu, on donne quelque chose de bien et présentable. Pour l’immoler, il faut le coucher sur son flanc gauche et du coup, il est tourné vers la Kibla( vers la direction de la prière, c’est-à-dire l’Est) et le couteau doit bien être aiguisé par avance. Il ne faut pas coucher l’animal avant de commencer à chercher le couteau ou bien avant de commencer à aiguiser le couteau. En trois tranches, c’est fini. Vous l’avez immolé.
S : Qui doit immoler ?
N.B. : Tout croyant musulman qui est pubère et qui a les moyens de s’offrir un animal doit immoler. Parce que Dieu dit : « Celui qui immole un animal par obéissance à lui, ce jour-là tous ses poils comptent en bénédiction pour cette personne ». Il est difficile de faire une œuvre qui soit meilleure que le fait d’immoler ce jour-là. C’est recommandé et c’est même une obligation à la limite. L’immolation est une obéissance à Dieu. Les femmes qui ont les moyens doivent immoler. Mais elles ne sont pas obligées de faire l’acte d’immolation. Elles sont recommandées à assister, si elles peuvent résister au sang. Si, elles ne peuvent pas ce n’est pas une obligation.
S : Cette année le Burkina va fêter dans un contexte marqué par l’exacerbation de la menace terroriste. Quel doit être l’attitude des musulmans vis-à-vis de leurs frères déplacés ?
N.B. : C’est une fête de commémoration hautement spirituelle, faite pour Dieu, mais aussi une fête de partage également. Vous verrez que dans la répartition de l’animal, on va recommander que la viande soit répartie en deux ou trois parties. La première partie vous l’offrez aux amis. La deuxième aux nécessiteux et la troisième pour la famille. Cela montre qu’il y a un sens de partage. C’est le moment privilégié pour penser à tous ceux qui n’en ont pas et à tous ceux qui auraient bien aimé fêter dans leur famille et qui, pour ces raisons tragiques, finalement se retrouvent loin de chez eux et qui n’ont pas, non seulement cette joie, mais cette opportunité de gouter à la nourriture. C’est le moment de penser à toutes ces personnes non seulement en prière, mais également en acte pour compatir à leur épreuve.
S : Vos voeux pour le Burkina qui souffre de plusieurs maux (terrorisme, insécurité alimentaire, afflux de déplacés…)
N.B. : Très sincèrement, c’est de demander au seigneur des cieux, de la terre qui a secouru Ibrahim dont nous célébrons l’acte fort d’immolation de sacrifice qui a placé sa famille dans un désert où, il n’avait pratiquement pas de provisions et qui s’est occupé de cette famille ; voire de toutes ces familles qui sont en difficultés par le fait de ce terrorisme. Je demande au seigneur de réconcilier les cœurs des frères et sœurs du Burkina. Parce que nous avons une seule nation, pas deux et elle nous appartient à tous. Tout le monde a droit à cette terre. Il est bon que les cœurs se désarment de la haine et de tout ce qu’il y a comme animosité et qu’on redevienne des frères et des sœurs pour vivre ensemble. Je demande aussi au seigneur de pourvoir au mieux aux besoins de la nation comme il en a pourvu à la famille d’Ibrahim qui était seule dans le désert sans provisions.
– Abdel Aziz NABALOUM
Aziz CONGO et Nicole SORGHO (Stagiaires)