Octobre rose est une campagne annuelle de sensibilisation au cancer du sein, lancée en 1985 aux Etats-Unis. Cette année, le Burkina célèbre également ce mois en mettant l’accent sur la sensibilisation et le dépistage. Le thème de cette édition est « Agissons ensemble pour un avenir sans cancer du sein ». Nayi Zongo, professeur titulaire de cancérologie à l’université Joseph-Ki-Zerbo, responsable du programme national de lutte contre le cancer nous en parle.
Sidwaya (S.) : Le vendredi 4 octobre 2024, le ministre Kargougou a procédé au lancement officiel du mois d’octobre rose à Kienfangué, à travers l’opérationnalisation des cliniques mobiles. Comment appréciez-vous cette initiative ?
Nayi Zongo(N.Z) : C’est historique pour le Burkina de voir un tel engagement de tout le gouvernement, jusqu’au président du Faso lui-même, qui a placé la campagne sous son haut patronage cette année. Nous avons également vu l’implication des ministres qui ont livré des messages poignants et motivants aux femmes pour encourager le dépistage du cancer du sein. Le ministère a fait des efforts importants en rendant gratuit, le dépistage par échographie et mammographie dans les centres hospitaliers universitaires et régionaux qui en disposent.
S. : Quelles sont les activités innovantes de cette édition du mois d’octobre rose ?
N.Z: Le dépistage est aussi gratuit dans les cliniques mobiles déployées dans toutes les régions. Ce service mobile est une révolution : il permet aux femmes vivant loin des grandes villes, dans les villages et hameaux, de se faire dépister gratuitement sur place, ce qui élimine à la fois les obstacles géographiques et financiers. Cela devrait susciter une adhésion massive au dépistage. Le ministère a également renforcé la communication par des campagnes dans les médias et les réseaux sociaux. Il a organisé des rencontres avec les partenaires techniques, financiers, et des associations pour un soutien accru
et une sensibilisation continue.
S. : Pourquoi octobre rose a-t-il été institué ?
N.Z : Octobre rose est un concept mondial, né aux Etats-Unis grâce à Evelyn Lauder. C’est un mois dédié à la lutte contre le cancer du sein, symbolisé par le ruban rose. Les objectifs initiaux sont de faire adhérer les femmes au dépistage, de mobiliser les ressources nécessaires, et d’engager toutes les parties prenantes : gouvernements, société civile, partenaires financiers et les médias. La communication est clé pour sensibiliser et amener un changement de comportement.
S. : Quelle est l’importance d’octobre rose pour la lutte contre le cancer du sein au Burkina ?
N.Z : Au Burkina, octobre rose intensifie la lutte. Il motive davantage les parties prenantes, permet de sensibiliser les femmes et incite le gouvernement à rendre gratuit les services de dépistage. C’est un moment pour faire le point sur les actions de l’année écoulée et prendre de nouveaux engagements pour atteindre un avenir sans cancer du sein.
S. : Quelles actions concrètes ont été menées jusqu’à présent ?
N.Z : Le dépistage du cancer du sein n’est pas préventif, mais il permet de détecter les cas précocement pour une meilleure prise en charge. Le dépistage augmente le nombre de cas identifiés, car on découvre plus de cas aux premiers stades, ce qui augmente les chances de guérison (jusqu’à 94 %). Grâce au dépistage, on détecte plus de cancers à des stades précoces, réduisant ainsi le nombre de décès. Bien que nous ne puissions empêcher la survenue de cette maladie, nous pouvons prévenir les décès grâce à un dépistage régulier.
S. : Avec toutes ces actions, quel constat peut-on faire concernant l’incidence de la maladie ?
N.Z : Comme pour d’autres cancers, l’incidence est en hausse, notamment en raison de l’augmentation de la population. En 1998, le Burkina Faso comptait 8 millions d’habitants. Aujourd’hui, nous en avons environ 23 millions. La sédentarité croissante et la qualité de l’alimentation contribuent également à cette tendance. Avant 2010, nous n’avions pas de cancérologues spécialisés. Ce qui explique pourquoi, Aujourd’hui nous détectons plus de cas qui seraient auparavant restés non diagnostiqués.
S. : Peut-on guérir du cancer du sein ?
N.Z : Oui. Détecté tôt, le cancer du sein se guérit dans plus de 94 % des cas. Le dépistage est essentiel pour repérer la maladie à un stade précoce. C’est grâce à cette détection précoce que nous pourrons éviter que les femmes ne meurent de cette maladie. Si le dépistage est fait à temps, la majorité des cas peuvent être guéris. Ce n’est pas une fatalité, mais la détection précoce est cruciale.
S. : Comment percevez-vous l’évolution des mentalités au Burkina vis-à-vis du cancer du sein ?
N.Z : Les mentalités ont beaucoup évolué. En 2013, le concept de cancer était peu connu, car le mot n’existait même pas dans nos langues locales. Aujourd’hui, chaque Burkinabè comprend ce qu’est le cancer. Nous avons aussi réussi à combattre les idées préconçues qui associaient les maladies graves aux pratiques de sorcellerie. Le cancer est désormais perçu comme une maladie naturelle, et nous avons gagné du terrain sur le plan social et anthropologique.
S. : A la fin d’octobre rose, quel bilan faites-vous des actions menées et des difficultés rencontrées ?
N.Z : Il est encore tôt pour dresser un bilan complet, car c’est le dernier jour de la campagne, et nous recueillons encore les résultats finaux. Cependant, nous pouvons déjà dire que l’engagement des parties prenantes est historique et que nous avons atteint un nombre record de femmes sensibilisées et dépistées. Le ministère visait un million de femmes sensibilisées et 6 000 dépistages par écho mammographie. En attendant le bilan final, nous sommes convaincus que le Burkina Faso est sur la voie pour devenir un modèle dans la lutte contre le cancer du sein.
Interview réalisée par Wamini Micheline OUEDRAOGO