Possible trêve sociale

Le 3 janvier 1966, la Haute- Volta, aujourd’hui Burkina Faso, voyait sa jeune histoire politique (six ans après son accession à la souveraineté internationale), basculée avec un soulèvement populaire. Le premier président du pays, Maurice Yaméogo, a été poussé vers la sortie après plusieurs jours de manifestations des forces sociales, les syndicats notamment. Dans les faits, le mouvement syndical s’opposait à la mise en place d’un parti unique, l’Union démocratique voltaïque, voulue par Maurice Yaméogo. Mais la grogne trouvait aussi et surtout son fondement dans «les mesures drastiques », qui devaient être supportées par l’ensemble des travailleurs, notamment la réduction des allocations familiales de plus de 50%, le rabattement des salaires de 20% et le blocage des avancements des travailleurs sur deux ans. Le père de l’indépendance payait ainsi pour sa gestion décriée des affaires de l’Etat dans un contexte économique assez difficile. Ce soulèvement populaire a été, à n’en point douter, la résultante de la détermination populaire des Voltaïques à se libérer de gouvernants avec lesquels ils n’étaient visiblement plus en phase.
54 ans après, le monde syndical s’est rappelé à notre souvenir à plusieurs reprises, avec entre autres, les grèves générales des 17 et 18 décembre 1975 contre l’instauration d’un parti unique en Haute- Volta par le président Sangoulé Lamizana, le «tsunami » contre l’assassinat de Norbert Zongo en 1998, l’insurrection populaire de 2014 et la grève générale contre le putsch du 16 septembre 2015. En 2020, les contextes politique, économique et sécuritaire sont bien différents. Mais sur le plan de la fronde sociale, la tension est vive et il serait illusoire de se voiler la face. En effet, si le dialogue social a été « institutionnalisé» entre le gouvernement et le monde syndical, il est bien regrettable que depuis quatre ans, les deux parties n’aient pas pu sacrifier à cette tradition annuelle, ô combien importante. Après une suspension de deux ans, les rendez-vous des mois de mai, juillet et décembre 2019 ont tous « foiré ». La raison est connue : le préalable de l’annulation du prélèvement de l’Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) sur les indemnités des travailleurs du secteur privé. Alors que les négociations semblaient aller dans le sens du dénouement heureux avec la remise des propositions du gouvernement à l’Union d’action syndicale (UAS), le 2 décembre 2019, la loi de finances 2020 vient d’étendre ce prélèvement aux agents du secteur public, au nom de la justice et de l’équité dans le traitement des travailleurs. Cette nouvelle donne risque à coup sûr de durcir la position de l’UAS qui n’est pas «prête à trahir le flambeau dressé par ses devanciers ». A défaut d’engranger de nouveaux acquis, elle entend plutôt travailler à préserver l’existant.
C’est dire donc que 2020 s’annonce palpitant sur le front social, tant les positions des deux parties semblent inconciliables. A plusieurs reprises, le Premier ministre et le président du Faso ont appelé de tous leurs vœux, à la trêve sociale au regard de la difficile situation sécuritaire que traverse le pays. 2020 est aussi une année électorale pour le Burkina Faso et il serait judicieux que le pays aille à ces élections dans un climat social apaisé. « J’ai donné les instructions au gouvernement pour la reprise des travaux de la conférence sur l’harmonisation des rémunérations », a annoncé le chef de l’Etat dans son traditionnel message à la Nation à l’occasion du nouvel an. Cette trêve sociale, on peut y parvenir, pour peu que les deux parties soient sincères l’une envers l’autre et fassent des concessions.

Jean-Marie TOE

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