Le tribunal militaire a entendu les observations des différentes parties au procès du putsch, le mercredi 3 avril 2019, sur les éléments vidéo diffusés la veille.
Après avoir visionné des pièces à conviction vidéo, les parties au procès du putsch du CND ont formulé leurs observations y attenantes, à la reprise de l’audience le 3 avril 2019. Et comme d’habitude lorsqu’il s’agit d’opiner sur des pièces du dossier, les hommes en robe noire ont fait preuve de lyrisme dans leurs inspirations accusatrices et défenderesses. Le parquet a vu à travers les images de violences, « le summum de l’horreur à l’état brut ». Dans ses développements, le procureur militaire s’est demandé « comment l’on peut frapper à ce point quelqu’un qui vous supplie ».
Il s’est indigné d’avoir vu « des personnes à terre, à qui on assénait des coups inqualifiables ». Pour les parquetiers, « ceux qui ont fait cela doivent avoir l’humilité de reconnaître qu’ils se sont vraiment laissés aller ». Appelés en confrontation, l’accusé Abdoul Karim Baguian, dit Lota a dit n’avoir aucune observation à faire et le soldat Seydou Soulama ne s’est vu dans aucune vidéo et a nié avoir été au studio Abazon pour y tirer une roquette. Idem pour le sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo.
Le sergent-chef Ali Sanou a reconnu s’être rendu à la radio Laafi de Zorgho mais a nié être entré dans le bâtiment pour y détruire quelque chose. Minata Guelwaré a, pour sa part, expliqué qu’elle n’est pas « la seule dame au Burkina Faso », répondant ainsi au parquet qui l’a assimilée à la dame décrite par le directeur de la radio Laafi comme ayant fait partie de l’expédition punitive contre ledit média. L’ancien député CDP, Salifou Sawadogo a dit préférer s’exprimer quand ses avocats seront présents. Quant au général Gilbert Diendéré, il a laissé le parquet être maître de ses « affirmations gratuites et interprétations ».
Ces réactions ont provoqué déception et l’amertume dans le camp des avocats de la partie civile. Me Guy Hervé Kam a confié avoir « pensé que l’humanité allait prendre le dessus » et que les mis en cause allaient faire amende honorable. Pour lui, les accusés persistent dans le mépris, ce qui ne peut pas conduire au pardon. Me Prosper Farama a, lui, rendu hommage aux Burkinabè « qui ont eu l’intelligence de penser qu’il fallait filmer et laisser à la postérité ces images pleines d’enseignements ».
« Les vidéos ne prouvent rien »
Pour lui, les vidéos sont le film de l’horreur. « C’était du terrorisme à visage inhumain », a-t-il soutenu. Et le fait de voir dans les images des hommes cagoulés portant la tenue léopard de l’ex-RSP lui a fait dire que les actes de violences étaient bien prémédités. Les avocats de la défense, tout en déplorant les violences sur les vidéos, ont produit un son de cloche différent.
Me Mahamadi Sawadogo, l’avocat du soldat Seydou Soulama a demandé au tribunal de rechercher les véritables coupables en faisant noter que certains accusés n’étaient que des exécutants, tandis que Me Latif Dabo a nuancé l’action de son client Lota en relevant qu’il est apparu sur une image en train de calmer une dame faisant preuve « d’hyperactivité ».
Me Régis Bonkoungou, pour sa part, a laissé entendre qu’il ne s’agit pas de faire le procès de l’ex-RSP. Du reste, a-t-il poursuivi, la violence lors des événements du coup d’Etat n’était pas dans un seul camp. En l’espèce, il s’est focalisé sur « l’absence de preuve attestant la culpabilité des accusés », notamment celle de son client, le sergent-chef Ali Sanou. Pour Me Alexandre Sandwidi, les vidéos n’apportent rien de nouveau. Il a suggéré que l’accusation mette des éléments précis sur la tête de chaque accusé.
Me Sandwidi a aussi plaidé pour que les autres parties ne diabolisent pas les accusés dans la mesure où ce sont des citoyens burkinabè qui seront amenés à vivre dans la même société à l’issue du procès.
L’avocat de Diendéré, Me Olivier Yelkouni, a déploré que la vie privée de son client importe peu au parquet qui a diffusé des éléments le présentant dans son cadre familial, portant atteinte, selon lui, à l’humanité du principal accusé (cf. séquence filmée par Ismaël Diendéré mettant en scène des cadres du CDP Michel Ouédraogo, Salifou Sawadogo et Fatou Diendéré). Mais pour le parquet, il s’est agi de démontrer les connexions entre les ailes politique et militaire du coup d’Etat.
L’audience de l’après-midi a débuté par un débat entre le ministère public et Me Idrissa Badini de la défense sur le principe de l’oralité dans le procès pénal. Pour les parquetiers, les procès verbaux des accusés en instruction sont à mettre à côté de leurs déclarations à la barre et faire le tri afin d’établir la vérité. Par contre, Me Badini a laissé entendre que les PV ne sont valables qu’à titre de renseignement et non de preuve. Pour lui, la déposition à la barre est plus à considérer d’autant plus que le prévenu est autorisé se taire et même à mentir devant le juge d’instruction.
Incident entre avocats et parquet
Passé ce débat, Me Prosper Farama, après un temps accordé par le tribunal pour une concertation entre tous les avocats impliqués dans le procès, a attiré l’attention du président de la juridiction, Seydou Ouédraogo, sur des observations du parquet qui peuvent faire l’objet d’un incident d’audience.
« Il s’agit de l’observation consistant à dire »Nous comprenons l’attitude de certains avocats qui veulent justifier leurs honoraires » et celle relative à l’absentéisme de certains conseils aux audiences », a précisé l’avocat porte-parole. Et d’ajouter que ce sont des propos indécents et pouvant porter atteinte à l’honneur de la profession.
Il a souhaité que de telles déclarations soient évitées dorénavant. Après une suspension d’une dizaine de minutes ordonnée par le président du tribunal, le procureur militaire, Alioune Zanré, a pris acte des préoccupations des avocats, s’est excusé de les avoir vexés et a indiqué que l’intention du parquet n’a jamais été de le faire. Me Farama a aussi exprimé les sincères excuses des différents conseils au parquet pour toutes les fois où leurs propos n’ont pas été mesurés et ont été agressifs à l’encontre de l’accusation.
Le tribunal a aussi pris acte du règlement de l’incident dans la sagesse. Il s’en est suivi des interventions d’avocats des différentes parties. Après cela, il y a eu la projection d’une compilation de vidéos d’une durée de près d’une heure et demie, dans laquelle on voyait entre autres des personnes tuées ou blessées par balles, des jeunes en colère et très hostiles aux putschistes.
Dans la série, il y avait aussi des reportages de la télévision BF1 sur le bilan des violences dans des hôpitaux à Ouagadougou (11 morts et 164 blessés), sur les difficultés pour le des journalistes d’exercer et la réduction de leur rédaction au silence. L’assistance a aussi eu droit à une interview accordée par Diendéré à France 24 dans laquelle il a donné les raisons ayant conduit au putsch. L’action de la Croix rouge au moment des faits était également de la série de vidéos. Les parties opineront le vendredi 5 avril 2019 à partir de 9 heures sur ces éléments audiovisuels.
Fabé Mamadou OUATTARA
& Jean Philibert SOME