Procès Thomas Sankara et compagnons : Le certificat de décès établi par « humanisme »

A l’audience du procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses douze compagnons, trois officiers supérieurs ont successivement comparu, le jeudi 4 novembre 2021, à Ouagadougou, au Tribunal militaire délocalisé dans la salle des banquets de Ouaga 2000. Les médecins-militaires Alidou Jean Christophe Diébré et Hamado Kafando sont poursuivis pour faux en écriture publique et le colonel-major Jean Pierre Palm est accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat.

Impliqués dans le dossier de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses douze compagnons, trois officiers militaires ont été interrogés, le jeudi 4 novembre 2021, à Ouagadougou, à l’audience du Tribunal militaire délocalisé à la salle des banquets de Ouaga 2000. Le premier à être appelé à la barre, a été le signataire du « faux » certificat de décès du père de la Révolution burkinabè d’août 1983 parlant de « mort naturelle », le médecin-militaire Alidou Jean Christophe Diébré. Agé de 37 ans, médecin-commandant et directeur central du service de santé des Forces armées populaires à l’époque des faits, le colonel-major à la retraite, est poursuivi pour faux en écriture publique. Après lecture des charges contre M. Diébré, le président de la Chambre, Urbain Méda, a demandé s’il reconnaît les faits qui lui sont reprochés. « Je reconnais avoir établi, signé et délivré trois certificats de décès dont celui de Thomas Sankara », a-t-il répondu. Selon lui, trois mois après les événements du 15 octobre 1987, soit en janvier 1988, trois femmes dont l’épouse de Sankara sont venues chez lui à domicile au camp Guillaume- Ouédraogo pour solliciter l’établissement de certificat de décès de leurs époux pour accomplir des formalités administratives à la mairie. « J’étais embêté mais j’ai fait parler mon cœur en signant les certificats en mettant mort naturelle », a-t-il témoigné. « Pourquoi avez-vous mis « mort naturelle » et pas par fusillade ? », a relancé le juge Méda. « Je n’ai fait que le diagnostic du décès mais pas la cause. Pour cela, on peut parler de mort naturelle », a-t-il soutenu en guise de réponse en insistant qu’il a agi par humanisme. « Je n’ai pas respecté la rigueur déontologique. C’est une faute professionnelle. Je le reconnais, je devais constater le décès avant d’établir le certificat », a-t-il avoué.

« J’ai mis mort accidentelle »

Pour le président, cet acte humanitaire viole la déontologie médicale et la loi. Le parquet militaire a enfoncé le clou en estimant qu’à son entendement, l’accusé à la barre n’allait pas entrer dans une défense de contestation des faits. « Mais, nous constatons qu’il est à la barre pour nier les faits », a-t-il indiqué en rappelant qu’il se cache derrière des motifs dits humanitaires pour se justifier. A entendre l’accusation, en signant de tels documents, le colonel Diébré a commis une faute professionnelle et pénale punie par la loi. Pour Me Séraphin Somé de la partie civile, Alidou Diébré est le type d’accusé à être qualifié d’irrepenti, prêt à répéter sa faute. L’inculpé n’est pas de cet avis. Il a demandé pardon aux ayants droit si son acte « humanitaire » ne leur a pas servi. Le conseil de Diébré, Me Issiaka Ouattara, a estimé que la cause du décès de Sankara n’était pas connue et des experts ont été commis par la suite pour mieux éclairer la justice. Poursuivi également pour des faits de faux en écriture publique, le colonel-major à la retraite, Hamado Kafando (63 ans), a été le 2e accusé à se prêter aux questions du tribunal. Médecin-capitaine à l’infirmerie militaire à la présidence du Faso à l’époque des faits, il s’est expliqué pour avoir délivré un certificat de décès en 1991 à Bonaventure Compaoré et autres où il est écrit « mort accidentelle ». A l’écouter, il a délivré le document pour permettre à la veuve d’entrer dans ses droits. « Mais pourquoi, mort accidentelle et pas naturelle comme Diébré l’a fait ? », a interrogé le juge Méda.

« J’ai mis mort accidentelle parce que n’ayant pas vu ou constaté le décès. La mort accidentelle est proche des circonstances de la violence. C’est pourquoi, j’ai écrit cela », a-t-il répondu. Le parquet militaire a relevé que des gens se sont organisés pour donner la mort et cela ne saurait être un accident. « Assassiner quelqu’un ou l’assassinat est loin d’être un accident », a-t-il insisté. Aux dires du colonel Kafando, il a établi le certificat à « but social ». La partie civile n’est pas d’accord avec cet avis. A en croire Me Somé, l’accusé est allé au-delà de ses missions de médecin en écrivant que Bonaventure Compaoré est décédé de manière accidentelle. « Cette mention est une volonté de banaliser la mort de mon client en faisant penser à un homicide involontaire », a-t-il déploré. De l’avis de la défense de Hamado Kafando, il y a des motifs de compréhension du mis en cause. Selon elle, l’accusation n’a pas été rigoureuse et il n’y a pas lieu de poursuivre des gens qui ont « voulu aider ».

Jean Pierre ne reconnait pas les faits

3e accusé à être appelé à la barre, le colonel-major à la retraite, Jean Pierre Palm (68 ans) n’a pas reconnu les faits de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat. Selon lui, le 15 octobre 1987, il n’avait aucune fonction de commandement car il venait d’être déchargé de ses fonctions de directeur des études et de la planification et affecté à Bobo-Dioulasso. Il a expliqué que le jour des événements, il souffrait d’un mal de dent et un réfugié politique togolais du nom de Julien Ayi venu lui rendre visite l’a accompagné chez son frère cadet, Eric Palm chez un dentiste vers le stade municipal. A leur arrivée, a-t-il précisé, le cabinet dentaire était fermé et on leur a dit d’aller à Zogona. Il a raconté que c’est en allant en ce lieu qu’ils ont entendu les coups de feu et ils se sont mis à l’abri chez le vieux Barry où ils ont passé la nuit. Le lendemain, a-t-il fait savoir, il est retourné chez son frère et il a appris que les officiers étaient convoqués au Conseil de l’Entente où il s’est rendu.

Lors de cette rencontre, a-t-il affirmé, le commandant supérieur des Forces armées, Boukary Lingani, lui a expliqué qu’il y a eu grabuge et que Sankara est mort. Invité à donner des explications sur ses relations avec Blaise Compaoré et Thomas Sankara, il a souligné qu’ils se fréquentaient. Il a reconnu qu’un mois après les événements tragiques, il a été nommé chef d’Etat-major de la gendarmerie nationale. Dans ses accusations, le parquet militaire a laissé entendre que le colonel Palm en se rendant au Conseil s’est mis à la disposition du nouveau régime pour mener des missions notamment la sécurisation et l’arrestation de personnes dont Basile Guissou. Les interrogations de la partie civile dont celles de Me Jean Patrice Yaméogo se sont focalisées sur l’agenda de l’accusé avant et pendant le 15-octobre, la nuit passée chez le vieux Barry, l’inspection d’une table d’écoute avec une mission française, etc. L’audience a été suspendue avec les questions-réponses de l’accusé. A la reprise, le lundi 8 novembre 2021, l’interrogatoire de M. Palm va se poursuivre avec la suite des interrogations de la partie civile et de la défense.

Timothée SOME timothesom@yahoo.fr

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