« Silence du chœur » : Une chronique sur l’immigration clandestine

Agé de 31 ans, Mohamed Mbougar Sarr est un jeune auteur prolifique.

Pamphlet et chronique sociale sur une tragédie moderne et pamphlet, « Silence du chœur » du jeune écrivain sénégalais, Mohamed Mbougar Sarr, se présente comme un cri d’alarme sur le drame de l’immigration clandestine.

Prix Ahmadou-Kourouma avec « Terre Ceinte » (2015) où il évoquait l’extrémisme violent, le jeune auteur sénégalais, Mohamed Mbougar Sarr, se sert à nouveau de sa plume pour soulever une autre question d’actualité, l’immigration clandestine. Composé de 400 pages, son livre « Silence du chœur » s’inspire du drame des migrants en Sicile (archipel et l’une des 20 régions d’Italie). Il y narre avec force détails, l’arrivée et l’accueil dans un petit village sicilien imaginaire (Altino) d’un groupe de migrants venus d’Afrique subsaharienne. « Soixante-douze hommes arrivent dans un bourg de la campagne sicilienne. [Notre] époque les appelle « immigrés », « réfugiés » ou « migrants ».

À Altino, ils sont surtout les ragazzi, les « gars » que l’association Santa Marta prend en charge. Mais leur présence bouleverse le quotidien de la petite ville. En attendant que leur sort soit fixé, les ragazzi croisent toutes sortes de figures : un curé atypique qui réécrit leurs    histoires, une femme engagée à leur offrir l’asile, un homme déterminé à le leur refuser, un ancien ragazzo devenu interprète, ou encore un poète sauvage qui n’écrit plus. Chaque personnage de cette fresque, d’où qu’il soit, est forcé de réfléchir à ce que signifie la rencontre avec des hommes dont, au fond, il ne sait pas grand-chose. Tous constituent autant de regards sur une situation moins connue qu’il n’y paraît ; autant de voix désaccordées, mêlées, pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à la fin, jusqu’au silence imposé par l’ultime voix du chœur », lit-on en quatrième de couverture du livre.

Dit autrement, Mohamed Mbougar Sarr propose, au fil des pages, un « album photo » de personnages drôles, émouvants et complexes: le Padre Bonianno, aveugle, doté d’un fort caractère et parlant sérère, car ayant vécu au Sénégal ; Jogoy, migrant servant de traducteur et dont on peut lire certaines pages du journal intime ; Lucia, une assistante humanitaire, qui ne parle plus depuis le suicide de sa mère; le très bavard Giuseppe Fantini, célèbre poète qui n’a cependant pas écrit une ligne depuis quinze années; ou le polyvalent Boy Thialky Hawaï, qui, dans les « rues de la banlieue dakaroise de Guédiawaye », a exercé  » tous les métiers du monde  » :  » menuisier, chauffeur de taxi clandestin, coiffeur, entraîneur de foot, fossoyeur, maître coranique, vendeur de charbon, tradipraticien, etc ».

Le diplôme  » Migrant « 

Les dures réalités de l’immigration clandestines sont décrites au fil des pages du livre.

Attachant et palpitant de bout en bout, « Silence du chœur » décrit au lecteur les tensions plus ou moins bénignes entre les migrants, l’association Santa Marta qui s’efforce de leur venir en aide mais à qui ils reprochent une trop grande inefficacité, et une tendance xénophobe qui gagne du terrain en raison d’un mouvement d’extrême-droite mené par un certain Maurizio Mangialepre, aveuglement animé d’un désir de vengeance. Avec brio, le jeune écrivain sénégalais aborde, en un seul roman, outre l’immigration clandestine, plusieurs thématiques telles que la politique, l’économie, les amours naissantes ou avortées, les problèmes existentiels (angoisse, attente, survie, douleur de quitter les siens…, football, etc.) avec pour dénominateur commun, la sempiternelle question de la responsabilité de la classe politique africaine.

Le pillage des ressources en Afrique, l’absence de perspectives et d’emploi pour une grande partie de la jeunesse ; le fantasme de l’Europe, la démocratie de façade, etc. sont, en effet, évoqués sans détour par Mohamed Mbougar Sarr. Somme toute,  » Silence du chœur  » reste et demeure un récit émouvant sur l’immigration.  » Migrant est un diplôme qui se mérite, avec différentes mentions dont la plus prestigieuse est :  » a failli mourir pour de vrai !  » Avec ses échecs aussi. L’échec d’un réfugié, aujourd’hui, n’est plus seulement de ne pas arriver sur une terre d’accueil : c’est aussi d’y arriver sans avoir failli mourir. S’il n’arrive pas à prouver que la mort était à ses trousses, il ne vaut rien.

On ne l’accueille pas », martèle furieux, et résigné, l’un des personnages du livre… Fils de médecin, Mohamed Mbougar Sarr est né en 1990 à Dakar (Sénégal). Après des études secondaires au Prytanée militaire de Saint-Louis (Sénégal), il fait ses classes préparatoires au lycée Pierre d’Ailly de  Compiègne (France) avant d’intégrer l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Son premier roman, « Terre ceinte » – décrivant la vie d’une petite ville sahélienne fictive mise sous la coupe de milices islamiques djihadistes – reçoit, entre autres, le grand prix du roman métis de Saint-Denis-de-la-Réunion et celui du roman métis des lycéens.  » Terre ceinte  » a été par ailleurs adapté au théâtre par le dramaturge et metteur en scène burkinabè, Aristide Tarnagda lors de la dernière édition des Récréâtrales.

W. Aubin NANA

nanaubin@yahoo.fr

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