La 17e Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe disputée d’avril à décembre 1991 a connu une participation honorable du représentant burkinabè, l’Association sportive du Faso- Yennenga (ASFA-Y). Les « Jaune et vert », coachés par le technicien ghanéen Malick Jabir, ont fait tomber des mastodontes du football africain pour finalement plier l’échine à Kitwé, en Zambie, face au Power Dynamos. Retour sur les péripéties d’une aventure mémorable.
En ce samedi 14 septembre 1991 au stade Arthur Davies de Kitwé face au Power Dynamos FC, le capitaine Jean Marie Nana et ses coéquipiers ont livré l’un des meilleurs matches de l’histoire de l’ASFA-Y à la 17e Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe. Mais le nul vierge qui a sanctionné la rencontre est insuffisant. Les protégés de la princesse Yennenga quittent la compétition au stade des quarts de finale par la grande porte. En effet, les « Jaune et vert », auteurs d’une participation aussi belle qu’historique, ont fait vibrer le public sportif burkinabè des mois durant dans le cadre de ce tournoi. L’aventure qui a conduit les Burkinabè au bord du fleuve Zambèze commence six mois plus tôt au Ghana. Nous sommes le dimanche 24 mars, stade de Kumasi. Pour le compte du premier tour, l’ASFA-Y vient défendre son avance d’un but à zéro acquise à Ouagadougou il y a deux semaines face à l’Ashanti Kotoko dans un environnement peu amical. Comme à son habitude, la partie ghanéenne entend user de tous les moyens (bousculade des joueurs, jets de projectiles, etc.) pour déstabiliser l’adversaire sur le plan psychologique avant le coup d’envoi.
Chaudes tractations avant le match à Kumasi
Il est 15h 45 minutes. La partie devait commencer depuis maintenant un quart d’heure. Mais sur demande de Kotoko, l’arbitre donne un ultimatum de cinq minutes aux joueurs de l’ASFA-Y pour changer la couleur rouge de leurs culottes. Le journaliste sportif Fernand Kouda a couvert une partie de cette campagne africaine pour l’hebdomadaire sportif de l’époque ‘’le Nouveau Stade ‘’. « Cet autre match avant l’heure a commencé la veille lors de la réunion technique au cours de la présentation des maillots des deux équipes. L’ASFA a présenté son maillot qui était de couleur rouge qui se trouvait être aussi la couleur de l’Ashanti Kotoko. La partie ghanéenne a tout de suite refusé que l’équipe burkinabè joue avec ce maillot.
L’ASFA-Y a eu gain de cause grâce à un arbitre accompagnateur qui faisait partie de la délégation et qui a insisté sur les textes en vigueur qui stipulent qu’en cas de coïncidence sur la couleur des maillots, c’est l’équipe qui reçoit qui devait changer de couleur. Les Ghanéens ont mal digéré cela car le rouge est la couleur fétiche de l’Ashanti et c’est à dessein que l’ASFA-Y est venue vêtue de cette couleur », se souvient le journaliste. Les « Yennenguistes » restent sereins face à la pression et la partie s’engage finalement avec une vingtaine de minutes de retard. En lieu et place de son légendaire jeu spectaculaire, l’Ashanti Kotoko, visiblement plus crispée, opte pour une partie musclée. L’ASFA-Y, elle, joue sans complexe. Devant le portier Ibrahim Diarra, les latéraux Côme Gnimassou et Inoussa Zongo ainsi que les centraux Wendwaoga Taonsa et Jean Marie Nana contiennent sans grande difficulté les assauts de l’attaque ghanéenne menée par Ben Kussi et Isaac Kwakye. Ce, jusqu’à la 39e minute. A la suite d’un coup franc, Ben Kussi profite d’un cafouillage dans la surface de réparation et trompe Ibrahim Diarra pour l’ouverture du score. Les hommes du coach Malick Jabir ne se laissent pas abattre par ce but. M’Bemba Touré, Edouard Gnimassou, Williams Mévi, Mohamed Diallo et les frères Fofana Aboubacar et Allassane s’acharnent sur les buts adverses sans succès. Les entrées de Sylvain Sanou et Daouda Sanou ne changent pas la donne à l’issue du temps règlementaire. Place donc à l’épreuve des tirs au but. Là, l’ASFA-Y réussit trois tirs sur quatre et élimine le « porc-épic ». Et c’est le début d’une belle aventure pour les « Vert et or » de Ouagadougou.
Encore héroïque face aux Tunisiens de l’ASM
Au second tour, l’ASFA Yennenga hérite de la formation tunisienne de l’Avenir sportif de la Marsa (ASM). Au match aller le 12 mai au stade du 4-Août, l’ASFA-Y s’en sort bien malgré quelques difficultés dans plusieurs compartiments. Ibrahim Diarra a, en effet, sorti le grand jeu dès les 8e et 10e minutes pour enrayer les tentatives coup sur coup des Marsois Fathi Gueslati et Sayari Abdel Basset.
Passée cette frayeur, les Asfasiens réagissent et à la 25e min, Daouda Sanou d’une frappe imparable des 30 mètres donne l’avantage aux siens. M’Bemba Touré, juste avant la pause, aggrave le score pour l’ASFA sur pénalty avant que Aboubacar Fofana n’inscrive le 3e but, 11 minutes après la reprise. Les visiteurs réduisent la marque à la 87e minute par Fethi Trabelsi sur une maladresse du gardien burkinabè. En seconde manche, les Tunisiens, qui ont récupéré plusieurs de leurs blessés, donnent du fil à retordre aux Burkinabè. Face à la forte domination qui leur est imposée, les joueurs de l’ASFA-Y font bloc et tiennent bon conformément aux consignes de l’encadrement. Mais à la 49e minute, Ibrahim Diarra est obligé de sortir de sa cage pour réduire le champ à l’attaquant tunisien qui s’est déjoué de Taonsa et de Nana. Le tir croisé de l’avant-centre est propulsé dans ses propres buts par Wendwaoga Taonsa qui revenait au secours de son portier. Ce but contre son camp sera le seul de la partie. Une fois encore, ça passe pour les poulains de Jabir qui accèdent aux quarts de finale. Avec ce cap franchi, l’ASFA-Y devient un adversaire sérieux pour ses concurrentes qui entendent la traiter comme telle. Le nouvel obstacle s’appelle Power Dynamos FC de la Zambie. Il est peu, voire inconnu des Burkinabè. Qu’à cela ne tienne, l’ASFA-Y portée par l’euphorie de ses exploits joue le match initial à domicile et compte sur son public. Juste avant la réception des Zambiens, l’équipe en guise de préparation s’est offert l’ASEC d’Abidjan des joueurs vedettes tels Lucien Kassi-Kouadio, Abdoulaye Traoré dit « Ben Badi », Amani Yao, et autres Gadji Céli et Michel Bassolet en match amical international par le score de 2-1. Le 1er septembre, soit un peu plus de deux mois après son dernier match dans la compétition, l’ASFA-Y reçoit le Power Dynamos FC.
Les Zambiens douchent les espoirs des Asfasiens
Alors que les spécialistes dans leurs commentaires d’avant-match prédisaient un jeu regroupé en arrière des Zambiens qui laisseraient venir l’adversaire, c’est un autre système que ces derniers vont servir aux 35 000 spectateurs du 4-Août avec l’ouverture du score 45 secondes après le coup d’envoi par Aggrey Chiyangi. Quelques instants après, Ibrahim Traoré qui a remplacé Ibrahim Diarra dans les buts s’interpose pour éviter un second but et permettre à son équipe de garder espoir. Puis l’ASFA-Y se réveille. A la 15e mn, Damien Gnimassou du pied droit sollicite Williams Mévi. La frappe du jeune ailier gauche fait mouche et rétablit la parité au score. Mais la pointe de vitesse des attaquants zambiens, Linos Markawaza, Aggrey Chiyangi et Widson Nyirenda, permet de prendre à défaut constamment la défense burkinabè. Le duel aérien est gagné par les Zambiens en l’absence de garçons comme Wendwaoga Taonsa qui pouvait donner du répondant à ce niveau. L‘ASFA-Y, au terme d’une partie difficile, se contente de ce nul avant le match retour. C’est à bord de l’avion présidentiel que la formation asfasienne effectue le déplacement de la Zambie. Le coach Jabir qui dit avoir eu les informations nécessaires sur l’adversaire promet un second round de belle facture.
Pour ce duel retour, son équipe est privée en plus de Taonsa, de Côme Gnimassou, Daouda Sanou et Ibrahim Traoré. Mais la prestation honorable de ses protégés lui donnera raison. En effet dans le jeu, les Yennenguistes dominent leur sujet. La défense autour du capitaine Jean Marie Nana est imperméable. Les longues balles adverses sont ratissées par un remarquable M’Bemba Touré qui portait régulièrement le danger dans le camp opposé. Malheureusement pour lui et ses coéquipiers, la maladresse dans les gestes décisifs empêche les « Vert et or » de scorer. Et malgré leurs efforts, le coup de sifflet final intervient sur un nul vierge, synonyme d’élimination sur l’ensemble des deux rencontres. Pour l’entraîneur burkinabè et ses joueurs, c’est la fin d’une mémorable histoire de football. « Nous avons été éliminés à Ouaga car là-bas nous ne connaissions pas encore l’équipe. Après le match, j’ai bien regardé leur système de jeu, leur tactique, etc. J’ai travaillé en conséquence et le résultat vous l’avez vu, nous avons contrôlé tout le match et fait un bon travail mais nous n’avons pas eu la chance », a confié Malik Jabir, à l’issue de la rencontre.
Les raisons d’une chevauchée fantastique
Selon le journaliste Fernand Kouda, les raisons de ce parcours exceptionnel résident dans le fait que les joueurs bien que n’étant pas de renommée internationale étaient super motivés et surtout très solidaires dans le jeu. Mais comme le coach Jabir, il est convaincu que c’est le fait de n’avoir pas creusé l’écart au match aller qui a empêché les Burkinabè de rééditer l’exploit de Kumassi en terre zambienne. En 1991, les joueurs de l’équipe nationale, les Etalons, étaient majoritairement issus de l’ASFA-Yennenga et de l’EFO. Donc les joueurs se connaissaient assez bien. L’impérial Ibrahim Diarra ne dit pas autre chose lorsqu’il mentionne que « la force de l’ASFA-Y c’était la solidarité ». Il donne le classement de l’époque, ces joueurs qui ont écrit les plus belles pages des Yennenguistes : « dans les 11 titulaires, il y avait près de 10 joueurs en équipe nationale. Ibrahim Baya ou moi Diarra au but, les frères Côme et Damien Gnimassou les deux latéraux. En défense centrale, Taonsa Wendwaoga et Ahmed Gamboné.
Les milieux défensifs étaient Amadou Traoré ‘’Le Rouquin’’ et Edouard Gnimassou épaulé par Diallo Mohamed ‘’Vieux’’ et en attaque, Aboubacar Fofana (meilleur buteur du championnat), John Baderman ou Afrey Mensah et Mevy William ». Il mentionne que « d’autres joueurs étaient là comme Charles Kaboré (un douanier), Issiaka Tapsoba, bref, de nombreux bons joueurs qui évoluaient également en son temps en équipe nationale ». Il regrette que les dirigeants aient voulu garder le noyau, mais beaucoup de joueurs sont partis par la suite. Pour Amadou Traoré ‘’Le Rouquin’’, le travail abattu par le staff technique de l’époque a été louable. « Nous avions également un entraîneur expérimenté qui était Malik Jabir. Après notre victoire face à l’Ashanti Kotoko, nous avons continué notre préparation et on s’est retranché à Koubri pendant quelques mois pour le match contre l’AS Marsa de Tunis », a-t-il rappelé. Le redoutable milieu défensif des années 90 ajoute que la motivation des joueurs n’était pourtant pas pécuniaire. « Il n’y avait pas de grosses promesses de primes pour nous amener à jouer mais quand on gagnait, on nous donnait des 30 000F ou 25 000F qui n’étaient pas rien par rapport à ce qu’ont gagné nos aînés », précise Amadou Traoré « Le Rouquin ».
Le coup de l’EFO
Quid de l’élimination en quart de finale ? Avant de croiser le Power Dynamos, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts. Le gardien de but de l’ASFA-Y et de l’équipe nationale, Ibrahim Diarra, était sur les tablettes du club rival, l’EFO. Et le club stelliste, apparemment, ne voyait pas d’un bon œil le parcours des «Yennenguistes » en campagne africaine. C’est du moins ce qui ressort dans ce témoignage de Amadou Traoré « Le Rouquin » : « L’EFO nous a joué un sale coup contre notre équipe en arrachant notre gardien de but (Ibrahim Diarra) qui était très en forme et qui venait de livrer un grand match à Kumassi face aux Black Stars comptant pour les éliminatoires de la CAN Sénégal 92. Ils sont allés le cacher à l’hôtel Silmandé.
Nos dirigeants l’ont cherché partout, ils ont tout fait pour le retrouver, mais Diarra était porté disparu à l’approche du match. On a donc joué le match aller face aux Zambiens, sans lui. C’est Baya qui a joué et qui s’est bien comporté dans les buts ». Le portier international burkinabè signera en effet la saison qui suivra chez le club rival, l’Etoile filante de Ouagadougou. Mais avant, « Le Rouquin » reconnaît que l’équipe zambienne s’est bien préparée. « Elle a pris de l’avance en passant quelques jours à Abidjan tout en réussissant à avoir les vidéos de nos matchs pour exploitation », a-t-il indiqué. Cette bonne préparation a payé et a porté ses fruits lors du match aller à Ouagadougou. « Ils nous ont cueillis à froid dès les premières minutes de jeu. Il fallait se battre pour remonter le but. C’est en seconde période qu’on a réussi à égaliser. Le match s’est terminé par un nul de 1-1 but partout », a-t-il raconté.
Quelques regrets tout de même
Cependant, 30 ans après, les acteurs de l’époque nourrissent aujourd’hui quelques regrets sur leur élimination face au Power Dynamos. Amadou Traoré « Le Rouquin » avoue que l’ASFA aurait pu remporter le gain du match au retour à Kitwé. « Nous avons eu une très bonne occasion. William Mévy a balayé toute la défense sur le côté et a lancé le ballon pour notre avant-centre, John Baderman qui a voulu faire un crochet avant de marquer. Finalement, la défense est revenue lui chiper le ballon. Par la suite, on a eu un penalty. Une faute commise sur M’Bemba Touré dans les 18m où l’arbitre a sifflé et je ne sais plus ce qui lui a pris pour qu’il retourne la faute contre nous. Il y avait une équipe camerounaise (qui y était là pour jouer également un match de Ligue des champions) qui assistait au match. Les joueurs de cette équipe ont fait notre bagarre. Ils ont même voulu entrer sur le terrain pour protester », se remémore-t-il. L’épisode du match aller avec leur portier Ibrahim Diarra sera oublié au retour.
Il était là et a livré une copie propre, selon ses coéquipiers. « Il a repris confiance et nous a sauvés », raconte « Le Rouquin ». Le portier Ibrahim Diarra revient sur ce qui s’était passé au match aller, à Ouagadougou. « D’aucuns ont dit que c’est parce que je suis parti que l’ASFA-Y a été éliminée et j’ai dit non ce n’est pas un seul joueur qui fait une équipe. C’est le collectif », rappelle Ibrahim Diarra. Dans l’ensemble, l’intraitable gardien de but reconnaît qu’il a commis des erreurs durant des matchs, mais garde également de beaux souvenirs. « Contre l’AS Marsa, on menait 3-0 et on encaisse un but « bête ». Mon défenseur Jean Marie Nana me fait une rétro-passe où je ne devais pas prendre de la main. Je reconnais mon erreur parce que j’attendais que le ballon entre dans les 18m avant d’aller le chercher et c’est là que l’attaquant tunisien a surgi pour chiper le ballon et marquer entre mes jambes », détaille l’actuel coach de Royal FC. Qu’à cela ne tienne, ce parcours de l’ASFA-Yennenga reste la meilleure performance accomplie jusque-là par un club burkinabè.
Adama SALAMBERE
Voro KORAHIRE