Sidwaya (S) : Que nous vaut l’honneur de votre visite à Sidwaya ?
Wolfram Vetter (W.V.) : Cela fait longtemps, que je suis au Burkina Faso, mais je n’étais pas encore venu à Sidwaya. Je l’ai senti comme une obligation. L’idée qui a déclenché cette visite est la Journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai, qui est extrêmement importante pour l’Union européenne, parce que la liberté de la presse est une valeur qui lui est très chère. C’est aussi pour reconnaître le travail, que les journalistes font au Burkina Faso dans des situations qui ne s’améliorent pas malheureusement. C’est la raison de cette visite, à travers laquelle j’exprime notre attachement à la liberté de la presse et reconnait le mérite de Sidwaya, qui est un instrument d’information.
S : Selon le dernier classement de Reporters sans frontières (RSF), le Burkina Faso est le 5e pays africain en matière de liberté de la presse. Quelle appréciation faites-vous de la presse burkinabè ?
W.V. : Ce classement m’a très positivement frappé. Cela prouve qu’il y a la liberté d’expression au Burkina Faso. J’ai vraiment l’impression que chacun peut s’exprimer, donner son opinion et qu’il n’y a pas de censure et de limitation à la liberté de presse et d’opinion.
Ce n’est pas donné en Afrique, dans la sous-région et même sur d’autres continents. Le Burkina Faso est 38e mondial et il est mieux classé que certains pays membres de l’Union européenne.
S : Cette journée a été célébrée, alors que deux journalistes espagnols ont trouvé la mort à l’Est du Burkina Faso. Cela ne peut-il pas jouer sur le classement du pays les années à venir ?
W.V. : La mort des trois Européens, dont deux journalistes espagnols est vraiment une tragédie qui nous a choqués, même si je ne connais pas les circonstances exactes de leur mort.
S : Etiez-vous informés de leur présence au Burkina Faso ?
W.V. : Personnellement, je n’étais pas informé, même si c’est dans le cadre d’un important projet pour nous et pour le gouvernement burkinabè, nous soutenons la lutte contre le braconnage. Je n’étais pas informé des détails sur cette unité mixte de lutte antibraconnage. Je crois que ce serait bien que la lumière soit faite sur ce qui s’est réellement passé et je me réjouis que le président du Faso se soit engagé pour que des enquêtes soient faites sur cette tragédie.
S : Malgré la présence de la Force Barkhane et du G5 Sahel, les attaques terroristes continuent avec leurs lots de victimes. Les armées républicaines sont-elles impuissantes ?
W.V. : L’engagement de Barkhane est important, tout comme celui des forces nationales et ce qui se passe dans le cadre régional, la Force conjointe G5 Sahel.
Nous les soutenons avec la formation, l’équipement, le financement, etc. Nous travaillons aussi avec les forces nationales que sont les militaires et les gendarmes, mais nous sommes aussi d’avis avec le gouvernement qu’il n’y a pas de solution uniquement militaire face au problème du terrorisme. Il y a des causes profondes qu’il faut attaquer.
Un pas important a déjà été fait au sommet de N’Djamena au Tchad en février dernier. Nous avons reconnu qu’il y a un certain avancement sur le côté militaire et qu’il fallait le sursaut politique et civil.
S : A quoi faites-vous référence en parlant de sursaut politique et civil ?
W.V. : Cela veut dire qu’il ne suffit pas de repousser les groupes armés. Il faut que les populations des localités libérées puissent retourner chez elles, ou si elles sont sur place, qu’elles bénéficient des services sociaux de base et des services régaliens de l’Etat. Il faut qu’elles aient la sécurité au quotidien, mais aussi de l’eau, des centres de santé et la justice. Ce dernier point est extrêmement important. C’est cela le sursaut civil qu’il faut organiser.
Nous sommes en contact étroit avec le gouvernement, pour identifier les zones où on va faire un effort très rapidement pour montrer que ce sursaut civil est possible.
S : Dans le cadre de la Coalition pour le Sahel, une feuille de route a été mise en place avec un volet civil et militaire. Quel est l’état de son opérationnalité ?
W.V. : Au sommet de N’Djaména, les chefs d’Etat de la coalition ont adopté une feuille de route organisée, selon les quatre piliers de la coalition : la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des forces de sécurité, la stabilisation et la coopération au développement. Dans chaque pilier, la feuille de route identifie des priorités et les actions à mettre en œuvre à court et moyen terme. Cette feuille de route donne une bonne direction de ce qu’il faut faire ici au Burkina Faso, mais aussi dans les autres pays du G5 Sahel. Le président a créé un comité interministériel de suivi des décisions de N’Djamena et nous travaillons en étroite collaboration. Nous espérons qu’avant le prochain sommet en juin ou juillet 2021, on pourra déjà montrer les résultats. C’est important de prouver que quelque chose se met en place. Il faut cette démonstration, pas seulement pour les Burkinabè qui sont concernés, mais aussi pour les Européens et les autres partenaires qui soutiennent le Burkina Faso. Il faut que l’investissement qui est énorme, produise des résultats concrets pour la population.
S : Etes-vous favorable à une négociation avec les terroristes ?
W.V. : Honnêtement, c’est quelque chose que je ne peux pas décider. Je crois que le président a déjà donné la direction. A un moment donné, il faut négocier. La question est toujours quand et avec qui ? Et là, je n’ai pas suffisamment d’informations sur la situation mais je crois, à la fin d’un conflit, il y a toujours la négociation.
S : La situation sécuritaire au Burkina Faso demeure préoccupante. Qu’est-ce que l’Union européenne fait en termes d’accompagnement au pays dans la lutte contre le terrorisme ?
W.V. : L’Union européenne dans le passé était plutôt un partenaire au développement. Mais les choses ont beaucoup changé. Quand je suis arrivé au Burkina Faso, j’ai découvert ce que nous faisions déjà et c’est assez impressionnant. Nous avons des programmes pour soutenir le ministère de la Sécurité. Nous avons par exemple les Groupes d’action rapide de surveillance et d’intervention au Sahel (GARSI). Ces unités qui sont dans le Boucle du Mouhoun ont vraiment des succès remarquables. Elles sont formées et équipées par l’Union européenne. On fait des actions similaires avec d’autres partenaires pour soutenir, entraîner et former des unités.
On fait cela aussi au Nord, au Sahel et à l’Est. La prochaine étape c’est la formation à une échelle un peu plus importante des militaires. Nous avons dans la région, au Mali et au Niger, des missions de formations de militaires et de gendarmes. Nous allons aussi engager ces missions ici au Burkina Faso. C’est le souhait du président qu’on soit aussi engagé aux côtés du Burkina Faso. Nous travaillons aussi à travers l’appui au budget de l’Etat et nous finançons également des actions militaires et de la gendarmerie. Par exemple, nous allouons des montants importants au budget de l’Etat pour qu’il soit utilisé pour l’achat d’équipements de la communication. Un autre volet qui passe à travers le budget de l’Etat pour des réformes des ressources humaines, des forces nationales. C’est dire, que l’Union européenne utilise plusieurs instruments mais toujours en parfaite collaboration avec l’Etat.
S : Que représente la Journée de l’Europe, célébrée le 9 mai de chaque année ?
W.V.: Le 9 mai est le début de l’intégration européenne. Nous sommes très fiers de cet événement déclenché à l’époque par le ministre des Affaires étrangères français, Robert Schuman. Il est l’homme qui a souligné la nécessité de tourner la page après des décennies de guerre. En Europe, la première moitié du 20e siècle a été, en effet, extrêmement violente. Il y a eu des millions de morts. L’Allemagne et la France étaient des ennemies. Ce qui est difficile à imaginer aujourd’hui. Cela a été quand même une période terrible en Europe et pour tout le monde. Selon Robert Schuman, cette idée de lancer l’intégration européenne devait se faire étape par étape.
En 1950, sa proposition a, dans un premier temps, consisté à intégrer la gestion du charbon et de l’acier qui étaient des industries militaires. L’objectif global était de parvenir à une gestion ou une exploitation commune de ces matières pour mener la guerre. Après cette étape, d’autres secteurs et d’autres politiques ont été intégrés. Cette année, la célébration du 9 mai coïncide avec les dix ans du Service européen des affaires étrangères. Autrement dit, cela fait dix ans par exemple, que l’Union européenne soit devenue une mission diplomatique. C’est pourquoi, je suis ambassadeur au même titre que mes collègues, c’est-à-dire les ambassadeurs des pays membres, la France, l’Allemagne, etc. Cela a été une étape importante dans le processus de l’intégration européenne. Nous sommes très fiers de ce qu’on a pu faire pendant plus de 70 ans. Mais nous devons cependant reconnaître qu’il reste encore beaucoup à faire. C’est un processus qui est toujours en cours.
S : Quelles sont les activités au programme de cette célébration ?
W.V.: Il n’y aura pas de célébration grandiose au regard de la crise sanitaire. Le samedi 1er mai dernier, nous avons organisé un match de football qui a opposé nos collègues des missions européennes à l’Association des journalistes sportifs du Burkina (AJSB). Le lundi 3 mai 2021, nous avons eu un sympathique apéro, une émission de la télévision du Burkina. Aujourd’hui mardi 4 mai, nous sommes au «Journal de tous les Burkinabè». Il y aura le mercredi 5 mai une exposition-photos grandeur nature sur l’avenue Kwame Nkrumah.
Ce sont des photos de toutes les régions du Burkina réalisées par des photographes burkinabè. Notre objectif est de contribuer à la revalorisation de cette avenue. En outre, nous aurons un défilé de mode. A ce propos, nous travaillons avec des femmes qui produisent du très beau textile. Il sera utilisé par des designers burkinabè pour produire des robes qu’on verra le samedi 8 mai 2021. Le lendemain, nous bouclerons la boucle avec le kilomètre du Faso avec des enfants qui vont courir sur l’avenue Kwame Nkrumah.
S: Pourquoi et quelles sont les caractéristiques de la TeamEurope qui été mise en place au Burkina?
W.V. : L’Union européenne est un partenaire important dans la coopération et le développement. Les Etats membres sont, à ce titre, très engagés. L’Allemagne, le Danemark, l’Autriche, la France, etc. sont des acteurs importants dans cette coopération. La crise liée au coronavirus survenue l’année dernière a encore permis de mettre en lumière cette coopération entre les Etats membres. D’importants investissements ont été réalisés sur le plan sanitaire. Nous avons soutenu le gouvernement burkinabè dans la gestion des conséquences économiques et sociales de cette pandémie. La part contributive de la délégation de l’Union européenne et celle des ambassades des pays membres de l’UE a été énorme.
L’idée a été également de donner plus de visibilité à l’action et à l’engagement européen avec en toile de fond une amélioration de la coordination entre Européens. Il s’agissait de faire ressortir notre complémentarité et aussi s’assurer ensemble de l’impact de notre action sur le terrain. Cette démarche a été très appréciée au niveau politique à Bruxelles. Cela entre en droite ligne de la nouvelle démarche de la TeamEurope et de ce que nous essayons d’appliquer au niveau de notre coopération, de manière plus générale. Dans les années à venir, nous allons ensemble travailler sur un projet-phare, sous l’égide de la TeamEurope. J’espère que les actions de l’UE seront davantage connues et reconnues à travers cette nouvelle approche.
S : Depuis 1959, l’Union européenne entretient un partenariat avec le Burkina Faso. Comment appréciez-vous cette coopération ?
W.V.: Elle est très satisfaisante. Le Burkina Faso est un pays modèle en matière de coopération. Il est un partenaire extrêmement important pour l’Union européenne. Ce partenariat a été renforcé en 2015 à travers un soutien multiforme au scrutin de novembre 2015. C’est un partenaire important en dépit de la fragilité et de la jeunesse de sa démocratie. Ce qui est important pour la stabilité de la sous-région. Le pays des Hommes intègres a réussi l’organisation de ses premières élections libres et démocratiques en novembre 2015.
C’est pour nous un motif de satisfaction. Etant un partenaire clé, nous avons, à ce titre, investi ces sept dernières années, un milliard d’euros au Burkina Faso. Et ce, dans divers domaines à savoir, la santé, l’eau, l’assainissement, les infrastructures, et les transports, etc. Nous sommes également très fiers de ce que nous avons accompli dans le domaine de la culture. C’est aussi un secteur important pour l’UE, car, il évolue très bien. Nous sommes aussi très engagés dans la cohésion sociale, la sécurité et aussi l’humanitaire avec la situation de plus d’un million de déplacés. Comme vous le voyez, nous avons un portefeuille extrêmement large et diversifié. C’est unique dans le monde de voir un partenaire à la coopération utiliser d’importants moyens et ce, à une grande échelle.
S : La crise sanitaire de la COVID-19 impacte-t-elle votre action au pays des Hommes intègres ?
W.V.: Beaucoup, étant donné que le Burkina Faso, à l’instar des autres pays, est relativement touché. A ce jour, je crois savoir que nous sommes à 161 morts. Ce qui est certes triste, mais limité, comparé à d’autres pays en Afrique et surtout en Europe. Toutefois, les conséquences économiques et sociales sont importantes. Elles vont beaucoup influer sur notre action de coopération. Le gouvernement burkinabè a présenté un plan national de vaccination contre la COVID-19. Nous entendons le soutenir à travers le mécanisme COVAX qui va mettre à la disposition du Burkina Faso, environ
1 400 000 doses de vaccin au début. Ce mécanisme est financé en partie par l’Union européenne. Au regard des conséquences économiques et sanitaires de la pandémie, nous sommes engagés à accompagner les actions du gouvernement burkinabè.
S : L’UE vient de lancer une initiative humanitaire d’un montant de 100 millions d’euros pour soutenir les campagnes de vaccination en Afrique. Le Burkina Faso, qui n’a pas encore reçu une seule dose de vaccin à la date du 2 mai 2021, pourra-t-il en bénéficier ?
W.V.: Le Burkina Faso a très tôt fait part de son intention de faire partie du mécanisme COVAX. Pour pouvoir bénéficier de la livraison de ce vaccin, il faut au préalable avoir un plan national. Et cela a été fait de manière très sereine et sérieuse par le gouvernement burkinabè. Maintenant que le plan est adopté, rien n’empêche qu’une première livraison des vaccins soit faite et à la campagne de vaccination de démarrer.
S : La plupart des pays européens sont représentés au Burkina Faso par leurs ambassades. D’aucuns pensent que la délégation de l’Union européenne au Burkina Faso fait doublon.
W.V.: L’UE n’est pas un Etat. C’est déjà un point distinctif. L’autre différence se situe au niveau des questions consulaires. Par exemple, la délégation de l’UE ne donne pas de visas. Mais il y a tout de même d’autres choses où nous sommes assez proches, notamment au niveau des fonctions assignées à une ambassade. Nous sommes ainsi impliqués dans le travail consulaire. Nous soutenons notamment les pays qui ne sont pas représentés ici au Burkina Faso. Cet aspect consulaire est assez important à relever. Mais, l’Union européenne est dans un processus d’intégration qui n’est pas encore achevé.
Dans notre travail quotidien, nous sommes très proches aujourd’hui de ce qu’une ambassade fait, et en plus avec des moyens importants grâce aux contributions de nos Etats membres et du mandat qu’ils nous ont donnés. Les Etats membres veulent que l’UE joue pleinement son rôle. En ce qui me concerne, mon rôle est de convier régulièrement les ambassadeurs des pays membres présents au Burkina Faso et de coordonner notre travail, de nous mettre d’accord sur l’analyse de la situation et aussi les réponses communes à donner à certaines questions. Nous nous rencontrons toutes les deux semaines. Et nous le faisons avec beaucoup de dévouement. Au final, c’est très utile pour le Burkina Faso d’avoir un partenaire telle que l’UE qui agit de manière cohérente et coordonnée.
Interview réalisée par
Jean-Marie TOE et W. Aubin NANA